- beauté de la Nature
- pulsion de destruction
Partout c’est la barbarie, sous une forme ou une autre…
On n’est pas dans une crise morale, politique, financière ou religieuse,
on n’est en rien de tout cela,
on est dans une crise évolutive,
on est en train de mourir à l’humanité pour naître à autre chose,
c’est la même barbarie partout,
il faut qu’on arrive au moment où la Conscience entre dans une autre dimension.Satprem interview 1982
Le 13 novembre
Quelques jours avant l’horreur,
J’ai pensé mettre un poème sur le blog, comme une introduction à la COP21.
Mais le 13 novembre est arrivé
et cela m’est apparu soudain bien dérisoire…
Comme tout le monde, je me suis senti d’abord retourné émotionnellement,
– surtout une grande tristesse pour les victimes innocentes, mais aussi colères et peurs pour tout ce gâchis.
Puis, il a fallu fermer assez rapidement la cacophonie médiatique
– cette immense caisse de résonance émotionnelle délétère et malsaine, ce « cloud » sombre et tumultueux qui entretient le chaos intérieur -,
pour réfléchir à la situation,
En fait, je me suis aperçu, passé le choc, que je n’étais pas vraiment étonné par ce qui était arrivé,
c’est comme si je m’y attendais,
avec tous ces marqueurs d’une situation explosive clignotant au rouge depuis longtemps.
Réflexion préliminaire sur le 13 novembre
D’abord une situation sociale, économique et politique en France,
déliquescente, voire catastrophique,
avec cette possibilité latente d’un déchaînement de violence cathartique pour des pans entiers de la société déclassée, méprisée, ignorée,
ne participant pas au grand festin de l’hyper-consommation indécente des classes sociales, choyées par le marché.
Dans mon langage de la philosophie intégrative :
« la désintégration méthodique du tissu social, aux antipodes de toute politique sensée d’intégration, provoque « l’intégrisme » le plus violent ».
Or il se trouve que les assassins ont été en majorité recrutés dans nos banlieues en déshérence, en abandon, en ghettoïsation,
et ils sont très jeunes, en pleine période de rébellion radicale.
C’est comme si je les comprenais, même si je ne peux bien sûr excuser la folie de leurs actes.
D’autre part il y a la calamiteuse politique extérieure de la France,
avec un président, qui semble le plus souvent agir dans un style surréaliste, voire « ubuesque »(1)
avec son aventure belliqueuse au Moyen-Orient :
la France seule aux avant-postes face aux djihadistes du Mali et maintenant de Daech,
– un cocorico patriotique avec drapeaux bleu blanc rouge et Marseillaise en guerre,
rappelant de sinistres souvenirs, les folles tentations militaristes du passé :
avec les sanglantes représailles possibles, une surenchère de la violence « oeil pour oeil, dent pour dent »,
la vieille histoire répétitive de l’espèce humaine sombrant progressivement dans la haine.
J’en viens à respecter la prudence d’un Obama protégeant d’abord son peuple
dans un non-interventionisme prudent – même si l’utilisation massive des drones me parait effrayante, car annonçant les abominables et inhumaines guerres technologiques du futur.
Pour légitimer cette guerre, il y aurait la défense de la démocratie comme un étendard de cette sorte de religion de la modernité garante de la liberté de chacun.
Dommage que cette religion issue des Lumières du 18e siècle, avec son beau slogan « liberté, égalité, fraternité », ait montré toutes ses limites, ses incapacités, ses mensonges, en ce moment plus que jamais, peut-être :
– la liberté ne devient plus surtout, que la médiocre liberté de consommer jusqu’à l’addiction, les produits matériels et virtuels d’un marché devenu fou.
– l’égalité ! elle est de plus en plus risible, tellement la fracture sociale entre les riches et les pauvres est devenue abyssale.
– La fraternité ?… On la cherche désespérément, quand l’individualisme est au poste de commande, aidé peut-être par le retour au tribalisme des réseaux sociaux…
(1) cet adjectif vient du père Ubu, un tyran sinistrement comique, inventé par Alfred Jarry en 1896, à l’orée du carnage de 14 – 18, pour sa pièce de théâtre « Ubu roi ». Le slogan favori du tyran, quand quelqu’un vient l’importuner, c’est « A la trappe, à la trappe, Cornegidouille ! » que l’on pourrait traduire présentement par « des Rafales, des Rafales, encore des Rafales ! »
Le déni spirituel et religieux du matérialisme techno-scientifique
Alors, – oh! chère pauvre âme, l’éternité serait-elle pas perdue pour nous !
Arthur Rimbaud Une saison en enfer
Mais il y a pire encore :
ce sont les deux grandes zones d’ombre de notre société matérialiste, techno-scientifique et de consommation généralisée, orchestrée par son néolibéralisme économique ;
ce sont les deux points aveugles d’un Occident triomphant, qui court à marche forcée du progrès vers sa perte :
il s’agit d’une part du déni de la dimension religieuse, spirituelle, transpersonnelle de l’être humain
et d’autre part, plus grave encore du déni de la Nature.
Il y a d’abord ce trou de vide, ce néant de la culture matérialiste, techno-scientifique, où la vie a perdu la plus grande part de son sens spirituel, face à ce qui est son fondement :
l’énigme de la mort, la souffrance absolue de notre condition fragile et passagère :
elle est traitée par la médecine technicienne comme une solution expéditive, efficace et hygiénique, le plus vite possible, vers le néant des crémations funéraires, la disparition des cendres sans prière dispersées nulle part…
C’est dans ce néant techno-scientifique, où règne seulement l’hédonisme plat du moment présent à consommer,
que s’engouffre bien sûr la vitalité de l’Islam et sa pointe acérée, le radicalisme djihadiste.
Je ne les cautionne pas, j’essaie de comprendre :
Face à une absence de sens profond de l’existence consumériste, entretenue à grand fracas par les médias,
face à la paupérisation de franges de plus en plus importantes de la population exclue du festin,
ou abandonnée au chaos d’une sous-culture virtuelle, encourageant les réflexes tribaux et émotionnels,
face aux slogans simplets d’une pseudo-religion prônant le recours à la violence et le sacrifice de soi-même, comme le sens possible d’une consolation pouvant répondre au profond désespoir d’une partie de la jeunesse,
des adolescents se font sauter avec une ceinture d’explosifs, entraînant la mort des « mécréants » aux alentours,
geste de désespoir absolu et d’espoir religieux absolu,
devant lesquels nous restons en état de sidération, dans l’incompréhension la plus totale,
car nous avions pris l’habitude de nous satisfaire de cet hédonisme à la petite semaine, aux terrasses des cafés, aux divertissements de paillettes à la mode.
Brutal retour au réel,
à l’inextinguible, répétitive et fondatrice souffrance humaine,
dont il n’est pas possible de faire l’économie, si l’on veut accéder à l’éclosion de l’âme ou de la Conscience, seule manière d’intégrer la mort, seule manière d’approcher notre transcendance et ce sentiment d’Unité profonde qui pourrait peut-être encore nous sauver,
– même si le transhumanisme, du côté de la Silicon Valley, nous promet l’avenir radieux d’un corps artificiel, devenu immortel, muni d’une pensée préprogrammée avec puces intégrées ;
même si le succès récent de la méditation de la pleine-conscience, venue elle aussi d’outre -atlantique, voudrait peut-être nous aider à dépasser ce grand vide spirituel, en nous rappelant aux lumières de la pleine Conscience – à condition qu’elle ne tombe pas dans une médiocre technique anti-stress.
Le déni de la Nature et la COP21
« Ma plus grande inquiétude, c’est la pollution dans nos cerveaux. »
Jean Malaurie
Nous retrouvons la COP21,
c’est la 21e réunion des chefs d’états de la planète,
Depuis 20 ans : des échecs, encore des échecs fondés sur des dénis et des égoïsmes étatiques venant surtout des pays occidentaux, les plus riches et les plus pollueurs.
Le déni de la Nature est très ancien,
un archaïque déni puisant sans doute son origine, aux sources d’un monothéisme judeo-chrétien ambigü :
« Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettezles poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre. »(Genèse,1 28).
Ce pouvoir exorbitant de l’homme, seul représentant de dieu sur terre et chargé de la domination ou de la gestion de la Nature,
va dégénérer à partir du 16e siècle, avec l’arrivée des soi-disant Lumières :
le pouvoir avec tous les excès du progrès et de la techno-science, va progressivement se transformer en omnipotence.
Et nous en sommes arrivés là ! Omnipotents mais effrayés par nos saccages :
une Nature à l’agonie, en danger d’extinction (2) pour une multitude d’espèces,
ce réchauffement climatique comme une épée de Damoclès susceptible de frapper rapidement le coup de grâce…
Et les chefs d’états, soumis qu’ils sont sont aux exigences des lobbies économiques et financiers régimentant la planète, sauront-ils enfin, à la 21e fois, faire preuve d’un peu de sagesse et de courage ?
Nous exhortent encore une fois les indiens Kogis, modèles sans faille d’une relation d’amour ancestrale avec la Terre- mère :
Aujourd’hui, la terre est malade, la nature est malade ; si nous ne faisons rien, problèmes et difficultés vont se multiplier. Si nous voulons essayer de soigner la terre, la protéger, c’est ensemble que nous devons le faire. Ce n’est pas une question kogi, française, ou suisse, c’est une question qui concerne toute l’humanité. Nous devons faire la paix avec la nature. C’est pour cela que nous sommes venus en France, à votre rencontre, pour essayer de se parler, d’échanger, de penser ensemble comment protéger la terre. » Arregocés Coronado
(2) ce sera mon prochain article à partir du livre « la 6e extinction » d’Elizabeth Colbert
La poésie, hymne à la Nature
Heureusement il y a la Poésie !
Elle excelle pour mettre des mots sur les deux grands dénis :
pour la Religiosité, les premiers textes religieux fondateurs, sont le plus souvent des hymnes au Divin ;
quant à la Nature, la poésie n’en finit pas de la chanter,
poésie de l’émerveillement et du ravissement,
déification, divination de la Nature,
regard neuf, regard originel,
lavé de toutes les prétentions à dominer, à transformer, à détruire.
La Poésie de la Nature est aussi un retour au chamanisme de la Nature, la première religiosité humaine,
quand les chasseurs-cueilleurs faisaient fusion avec Elle.
Et ce n’est pas un hasard si Eugène Guillevic excelle en ce genre,
lui qui a vécu près des menhirs de Carnac et qui est comme un descendant des bardes du chamanisme celte.
Voici un de ses poèmes qui en porte l’empreinte évidente :
LA TERRE
Ne la traite pas
Comme une déesse
La terre –Et pourtant !
*
Drôle de matrone
qui fait les porcs,
les poux, les colibris,
Les vautoursEt nous.
*
A tous la terre
délègue une part
De son orgueil.Et nous la remercions
De ce qu’elle nous donnepar nos excréments.
*
Elle a un ventre
Une matrice
Toujours en état de grossesse.Mais qui, quoi
La féconde ?Elle sans doute.
*
Toujours en même temps livrée
au soleil, à la nuit.Elle s’en accommode,
S’en réjouit peut-être.*
Jamais la terre
ne se vautre dans l’airMême pas dans l’azur.
*
Ce goût de la terre
A faire de la beauté.
Pour le plaisir de qui ?Est-ce pour son équilibre ?
Est-ce sa victoire
sur quelque chose en elle
qui lui en veut ?*
Il peut sembler que la terre
Ait plus de plaisir
A faire une femme
Qu’un homme.Question de courbes
Sans doute.*
Elle n’imite rien
Ni personne.Toujours elle invente
Et nous ne faisons
Que continuer son travail.*
Pas sûr que la terre
Soit toujours pareille.Elle peut devenir étoile.
*
L’orage.
Est-ce la terre qui s’exprime –
Est-ce dirigé contre elle ?*
La terre fait la fière,
Bougonne le ciel.Mais j’y suis pour quelque chose
Dans ce qu’elle montre,Ne serait-ce
que par mes pluies.*
Tu est très bonne
Terre.Pendant que toi
toujours tu travailles,Tu nous laisses dormir
Quelques heures par jour.*
Une idée comme ça :
Le soleilEst le fruit
préféré de la terre.*
Riez, riez !
Je vous dis qu’elle,
La terre,
Est le centre du monde.*
La terre :
Notre honneur.*
Guillevic « Accorder »
poèmes 1933 – 1996
édition établie et postfacée par Lucie Albertini-Guillevic
Tags : chamanisme, conscience, ecologie, meditation, mort, nature, poésie, société, spiritualité, technologie
Que c’est douloureux et beau de lire tout cela. Du chaos nait l’étoile dansante, dirait Eve Ricard.
Faire du drame de la beauté, de la joie, malgré tout, pour tout, contre tout, avec Tout…
Intégrer le tout, en soi, autour de soi, s’agenouiller devant, lui qui nous rappellera à l’ordre après nos pauvres essais d’écologie bagarreuse et de partis argentés…
Toi, le Tout, sanctifié par les sagesses qui nous laissaient ivres d’humilité devant le cosmos…
La mort… Faire de la mort quelque leçon de joie, oser la Joie de la béatitude, deva
devant elle…. la mort. Je l’affronte tout le temps, recueillant de pauvres animaux, j’en étais venue à la haïr, à la fuir avec terreur. Mais elle revenait tout le temps, me rappelait sa vie de mort. Il a bien fallu que j’ose la regarder, sombrer dans le rien pour me fondre dans le Tout…
Grâce à elle… Il a bien fallu oser l’accepter, faire avec l’horreur, et sublimer pour survivre…
Ce qui ne tue pas rend fort, dit un sage fou. Certes. Mais il faut alors l’intelligence du don de soi
au Tout….
Homme, reviens à la nature, sois épuré: i l faut réviser tes fondamentaux spirituels en toute ouverture, pardonner ou lutter, ce que veut, mais réfléchis enfin …
Merci pour ces articles, ces poèmes de vie, de forces vives, face à toutes ces horreurs qu’il nous faut enfin surmonter et dépasser pour comprendre… la leçon… de… d’amour….?
Wouah ! Que c’est beau ! Que pourrai-je ajouter ? Sinon renchérir !
C’est vrai, la vraie spiritualité, la spiritualité première, a d’abord à voir avec la mort.
Ce sont les premiers rites funéraires des premiers hommes, jusqu’à la méditation de la pleine conscience à la mode actuellement. Celle-ci n’est pas d’abord un antistress ou un truc pour mieux s’engager par rapport à la COP21 (voir le mouvement « Amplified » http://www.amplifield.com),
la méditation c’est accueillir dans le silence et l’immobilité, la mort d’un ego toujours prêt à s’agiter, accueillir le Vide, la Vacuité, le Rien de la disparition possible de ce moi, à l’origine avant sa naissance, ou à sa fin quand il sera résorbé dans le grand Tout.
De ces petits voyages dans le Vide, on en sort tout revigoré, mieux préparé à absorber le chaos ambiant d’une fin de cycle…
Il est vrai que le terme de « crise évolutive » est bien adaptée à notre situation , je vois bien dans ma vie personnelle que chaque crise est une occasion réelle profonde et durable de changer et ce mot crise porte malheureusement une connotation péjorative dans nos sociétés . Nous arrivons à une période de grands changements que nous le voulions ou non et beaucoup de gens ne sont pas prêt à lâcher ce qu’ils connaissent … il n’y aura plus ce clivage entre riche et pauvre mais que des égos apeurés prêts à tuer pour sortir vainqueur de la bataille … mais avons-nous encore besoin d’une bataille de plus pour comprendre que nous recherchons tous la même chose à savoir l’amour et la paix …Merci à vous Alain pour cette pertinente réflexion qui mérite un grand partage autour de moi ! Bonne journée à vous !
merci Jeremy pour cette réflexion très pertinente. En effet, krisis en grec a une valeur positive : « opportunité et changement ». Si l’être se crispe et refuse cette opportunité, il va choisir ce qu’il connait le mieux depuis si longtemps : la guerre, la destruction pour résoudre la crise, ce qui malheureusement n’est pas une résolution et ne fait que repousser et refuser l’opportunité du changement ;
car comme le dit Satprem et comme vous le dites très bien aussi, c’est le changement de conscience qui est demandé à l’être humain en temps de crise, c’est à dire derrière les changements formels nécessaires, l’évolution de la Conscience humaine vers plus de conscience et plus d’amour.
Ce qui est nouveau, c’est que la gravité de la crise a changé, elle s’est mondialisée, surtout par l’intermédiaire de la crise écologique qui est planétaire et n’épargnera personne ; et on ne voit pas très bien comment la guerre pourra résoudre ce problème, encore moins le déni. L’être humain est face à sa responsabilité d’évolution de conscience : soit il comprend, soit il est amené à disparaître. Soit il choisit l’amour pour la nature, qu’il a jusqu’ici méprisée et piétinée, soit il meurt : la 6e extinction.
Bonjour,
Bravo et merci pour ce beau texte, ainsi que pour le commentaire d’Anny, très inspiré lui aussi.
J’ai envie d’ajouter quelques compléments relevant de mon domaine particulier; pour ce qui est du domaine de la conscience, je laisse cela à plus avancé que moi, et je me nourris avec intérêt de ce que vous écrivez.
Je suis d’accord avec les raisons indiquées dans votre article. Mais je voudrais ajouter quelques compléments portant sur un passé plus lointain que les guerres du 21° siècle pour mieux éclairer les évènements.
L’Occident(Europe occidentale et Etats Unis) paie la politique qu’il a mené depuis un siècle et demi vis à vis du Moyen-Orient et du monde arabe en général. Dire cela aujourd’hui vous expose souvent à la vindicte de l’interlocuteur; ce n’est pourtant que la réalité.
Depuis 1860 environ le monde arabe a eu à faire face , entre autre, à
– l’interventionnisme français et anglais dans l’empire turc pour y « protèger » les chrétiens
– la colonisation brutale (France au Maghreb) ou insidieuse (Angleterre en Egypte)
– le mépris manifesté ouvertement pour les populations concernées,et, pire encore, pour l’islam
– le découpage du Moyen-Orient en 1920 au profit des intérêts économiques de la France et de l’Angleterre: le pétrole, déjà
– le soutien inconditionnel à l’état d’Israël et le cancer palestinien
– le soutien inconditionnel aux dictatures qui assuraient l’alliance avec l’Occident, donc l’accès au pétrole bon marché.
Je m’arrête là; on pourrait continuer au 21° siècle.
De tout cela sont nées des réactions nationalistes et religieuses bien compréhensibles; avec malheureusement leurs mouvements extrêmistes abominables.
Oui, l’Occident est en partie responsable de ce qui lui arrive, et moi non plus, je n’ai pas été étonnée; ce qui ne signifie en rien que je comprends la forme que prend cette réaction.
Une fois qu’on a dit cela, comment en sortir? Je n’ai pas bien entendu la solution miracle. Le développement de la conscience, c’est bien beau, mais ça va prendre du temps! Le temps des évènements et le temps de la conscience ne coïncident pas.
Je voudrais faire état d’un article d’Edgar Morin paru dans le Monde il y a quelques semaines: il donnait des directions d’actions qui me semblent susceptibles de faire avancer les choses. D’une part, en Europe, travailler à une véritable intégration des populations musulmanes pour qu’elles ne se sentent plus rejetées ou méprisées. D’autre part au Moyen-Orient travailler à la création d’un grand état fédéral rassemblant sur un pied d’égalité toutes les communautés qui aujourd’hui s’entredéchirent. Pour réussir sur ces deux points, il faudrait de la part de tous une réelle volonté de paix; il faudrait des hommes politiques courageux, tenaces, visionnaires, et ils ne courent pas les rues.
Toutes ces réflexions ne m’ont pas empêchée de goûter le très beau poème sur la Terre.
merci Claudine pour ces toutes ces informations intéressantes, en particulier celles relatives à l’histoire du 19e et du 20e siècle, qui explique bien la responsabilité écrasante de l’Occident par rapport au chaos actuel au moyen orient. Il faudrait bien-sûr ajouter au 21e siècle la désastreuse expédition de G. Bush en Irak, suivie de la non moins désastreuse intervention en Lybie, avec notre Sarko national se faisant lui aussi chef de guerre – la Lybie étant la prochaine proie de l’EI.
Pour les idées d’Edgar Morin, je suis un peu plu circonspect, surtout en ce qui concerne la création d’un grand état unit
…d’un grand état unitaire qui réconcilierait comme par magie tous les groupes qui s’entredéchirent actuellement. Cela me semble totalement irréaliste dans la situation actuelle et digne d’un voeu pieux qui n’apporte rien.
Quant à la véritable intégration des musulmans en France, tout le monde est d’accord, sauf le FN, qui semble réunir de plus en plus la majorité des électeurs, ce qui pose un insoluble problème de réflexion pour notre philosophe vieillissant…
au plaisir de vous lire de nouveau.
Edgar Morin suggère la création d’un état fédéral. Cela semble bien sûr un peu utopique aujourd’hui. Mais qui aurait parié sur la construction de l’Union Européenne en 1939 ?. Si l’UE bat de l’aile aujourd’hui, elle n’en existe pas moins; et pour l’instant elle préserve la paix entre ses membres. L’histoire présente parfois ce genre de retournement spectaculaire; il n’est pas interdit d’espérer dans la sagesse des hommes.
Je ne connais pas très bien l’histoire, Claudine, mais 1939 me semble un peu tôt pour la réelle construction européenne, qui commence, je crois, plus tard, vers 1950, avec les traités de coopération économiques autour de Robert Schumann, c’est à dire après la guerre.
Je crois malheureusement qu’il en sera de même pour le Moyen Orient, après la guerre, quand les hommes seront lassées de leur folie, on pourra évoquer, peut-être, la possibilité d’une unification, et ce n’est pas demain la veille, et je crois qu’Edgar Morin se trompe encore une fois : on ne peut pas construire l’unité, quand la guerre fait rage, il faut attendre la fin d’un cycle.
Pour ce qui est de l’Europe, il a fallu attendre longtemps entre la première idée et la réalisation. Je n’ai pas trop le temps de me rafraichir la mémoire, mais il me semble que la première mention d’une République européenne remonte au XV° siècle, avec Coménius. Ensuite Victor Hugo ne doute pas que se réaliseront un jour les »Etats Unis d’Europe ». Sur un plan déjà plus avancé, Aristide Briand, le grand ministre des Affaires étrangères de la France pendant l’entre-deux-guerres, reprend la même idée, approuvé par Churchill. Bien entendu, avec l’arrivée des régimes fascistes au pouvoir, tout tombe à l’eau; et il faut attendre, comme vous le dites, que la folie des hommes se calme et qu’ils tirent les leçons de la catastrophe vécue pour que cette idée prenne enfin vie. Notons que l’impulsion initiale est venue de la France avec Robert Schuman; et qu’elle a été fortement impulsée par le courant transnational de la démocratie chrétienne.
Je pense que pour le Moyen-Orient il en sera de même. La solution n’est pas pour tout de suite. Les passions sont encore trop exaltées. Mais la perspective d’une entente, à long terme, n’est pas impossible. Encore une fois, Edgar Morin ne propose pas l’unité, mais la formation d’une vaste fédération. Je crois que c’est la seule solution, après la fin du cycle actuel, comme vous le dîtes.
C’est intéressant Claudine cette réflexion sur l’histoire de l’Europe.
Pour Robert Schumann, même si je ne suis pas expert en la matière, je dirai que cette belle idée, sans doute comme vous le dites issue de la démocratie chrétienne transnationale, n’est pas aussi belle dès le départ, car entachée par les intérêts économiques de la grande industrie, je crois au niveau de la métallurgie, et tout le monde sait que ces intérêts ne sont pas du tout altruistes pour les peuples… Il y avait déjà pourrait-on dire « le vers dans l’oeuf » et l’on assiste en ce moment à un mouvement de régression nationaliste, à cause en grande partie des aberrations venant des politiques économiques et financières transnationales, avec pour les peuples l’impression que finalement rien n’a beaucoup changé (chomâge de masse, mais surtout mépris de masse).
Si d’ailleurs on veut extrapoler en terme de vision du monde, je ne crois pas du tout à un lent progrès linéaire de l’humanité allant de plus en plus vers l’unité qu’elle soit européenne, moyenne orientale ou mondiale, mais à des cycles de progression / destruction qui reviennent inlassablement au niveau collectif surtout,
et en ce moment après les grandes espérances de l’après guerre mondiale, nous sommes repartis vers une période de de régression touchant une grande partie du monde.
Oui, je suis en grande partie d’accord avec votre dernier paragraphe. Bien sûr que le progrès n’est pas linéaire, bien qu’une présentation maladroite de mon intervention précédente pouvait le laisser penser.On peut observer des retours en arrière, parfois violents et longs. On peut aussi observer des avancées importantes, sous l’effet des circonstances ou de personnalités particulièrement rayonnantes.
Cependant, sur le très long terme, à l’échelle de quelques millénaires, on ne peut pas nier des progrès dans les domaines de la conscience, du respect des autres. Ces progrès vont dans le sens d’un approfondissement de ces thèmes, mais aussi d’un élargissement à des groupes humains de plus en plus vastes. L’unité n’est pas un but en soi; le respect de l’autre est beaucoup plus important, et il me semble que c’est une valeur qui monte, malgré les apparences et les violences actuelles.
Je lisais dernièrement (mais je n’en ai par gardé la référence) le compte rendu d’un ouvrage qui affirmait que, laissés entre eux, sans intervention extérieure, des groupes d’hommes réagissent tous de la même façon: par l’entraide. Je ne sais si c’est vrai; mais cela laisse tout de même une note d’optimisme.
« un accord historique mais fondé sur un ‘droit mou’ « , titre le journal le Monde du 15/12 à propos de la COP 21.
Historique en quoi? Reprenons les termes du journal: La sentence et le coup de maillet de Fabius scellant l’accord de « 195 pays – presque toute la planète – ont été salués par une longue ovation (…) ponctuée d’embrassades et d’éclats de voix (…) ». « moment de ‘transe collective' » d’après le négociateur de la RDC (Congo) qui ajoute: « la veille encore nous nous regardions en chiens de faïence, avec des positions diamétralement opposées ».
Ce moment d’émotion à se retrouver sans frontières dans la joie de s’être dépassés pour faire avancer la fraternité humaine, cela me rappelle il y a une vingtaine d’années la même émotion collective à l’ONU quand de Villepin convainquit l’Assemblée de refuser l’intervention militaire en Irak. Certes, les USA sont partis guerroyer, mais seuls.
Droite ou gauche, peu importe. Il y a chez Villepin et Fabius, ces littéraires marqués par des études humanistes, une même volonté résurgente, réaliste et efficace, de mettre leurs capacités et celles de la France au service de l’espèce humaine, et cela honore profondément notre pays.
Et puis ces deux petites étincelles de conscience planétaire à vingt ans d’intervalle…
puisse ce début renforcer l’espérance et le courage collectif à changer le monde.
C’est une opinion, François, une opinion parmi la foultitude des opinions disponibles dans le champ (chant) quantique…
Inutile de vous de vous dire que je ne suis pas d’accord et peut-être même d’une opinion diamétralement opposée,
et cet article du journal Le Monde, dont vous vous inspirez, m’a profondément agacé, surtout après les articles très sceptiques du numéro du samedi soir, juste avant la comédie finale, le show nombrilique, dont ce pauvre journal s’est malheureusement fait l’écho, sans aucune distanciation ni posture critique – ce qui d’ailleurs ne m’étonne pas et explique que je lis de plus en plus rarement ce pauvre canard devenu « brosse à reluire » des pouvoirs en place.
Outre l’aspect « le grand show » préparé de longue date à la gloire de nos politiciens surtout français (cocorico, encore !!!), il ne faut pas être très malin pour comprendre que ce n’est pas demain la veille que toutes ces grandes déclarations de principe seront mises en application :
pas avant 2020 de toute manière, et il faudra auparavant, que chaque état signataire passe par les fourches caudines de son parlement respectif.
Vous voyez déjà le problème du 2e grand pollueur mondial, les U.S.A, où ce pauvre Obama devra obtenir l’acquiescement de son parlement républicain à grande majorité climato-sceptique et défendant les intérêts de la sacro-sainte économie américaine fondée sur la surexploitation du pétrole. Je pense qu’une kyrielle d’états emboitera le pas de l’oncle Sam, et qu’il faudra encore des dizaines et des dizaines de COP avant d’aboutir à des mesures concrètes d’envergure.
Vous vous confondez aussi d’admiration pour ce vieux briscard de la politique Fabius, à l’école du mensonge et de la duplicité par son mentor le sieur Mitterrand – je me prends à sourire François de votre naïveté. Par contre le show, la pièce de théâtre finale, était parfaite, un metteur en scène de génie, de bons acteurs,
et ces pauvres français, complétement anesthésiés par la société d’hyper-consommation, après avoir applaudi en majorité, de même qu’ils ont applaudi à l’état d’urgence auparavant, se sont précipités vers les emplettes des fêtes de Noël pour acheter foie gras, huitres modifiées génétiquement et viandes sous vide, importées par avion des grands élevages industriels des Amériques.
Une fois que cela a été dit – ça fait du bien -, la sagesse tendrait à me faire dire que je n’en sais rien du devenir de l’humanité en ce tournant critique qu’il lui est demandé de traverser.
Il y a sans doute des notes d’espoir, mais pour moi, elles seraient plutôt à aller chercher du côté de la société civile, comme dans ce film intéressant intitulé « Demain », que je viens d’aller voir. Une salle archi-pleine, composée essentiellement de jeunes, a applaudi à la fin et je me suis surpris à faire de même.
Bon week-end, mon cher François
Bravo pour votre dernière intervention. je pense de même
….. sauf en ce qui concerne votre jugement très sévère sur Le Monde. On y trouve des analyses critiques, y compris sur le sujet des résultats de la COP 21.
Oui, c’est peut-être un peu exagéré, mais le titre triomphaliste du Monde d’aujourd’hui : « Accord décisif sur la Syrie à l’Onu » a tendance à me donner raison.
Derrière l’unité de façade contre Daech, rien n’est résolu du problème syrien : le sort de Bachar el Assad avec un conflit sous jacent Iran-Russie contre Etats-Unis et pays occidentaux, avec en plus l’Arabie séoudite et ses alliés, dont le jeu n’est pas très clair avec un autre conflit sous jacent sunnite – chiite.
Rien ne me semble décisif là dedans, et l’Onu est coutumière de ses accords de façade qui ne font que souligner son impuissance.
… par contre p. 12 du même journal, un article très intéressant intitulé « Daechwood ou l’esthétisation des videos islamistes » montrant comment les propagandistes de Daech qui envoient leurs videos sur internet, s’inspirent très fidèlement des procédés cinématographiques occidentaux à grand spectacle comme les films hollywoodiens, les western, les jeux video, là où la violence pour la violence est exhaltée pour provoquer jouissance et addiction. La bande annonce du dernier film de Tarantino « les 8 salopards », dont l’image est partout, aurait particulièrement inspiré les metteurs en scène macabres de Daech.
J’aime votre spontanéité, Alain.
J’hésitais à prendre, dans cette entrée du blog, le contre pied d’un tonalité trop unilatérale à mes yeux.
Poussé par une actualité que j’ai lue avec ma compassion pour ces pauvres chefs d’Etat qui ont fait mieux qu’à Copenhague, j’ai pris le risque de réagir fermement.
Ca ne m’empêche pas bien sûr de rejoindre votre lucidité sur les limites pratiques du texte, ni votre sagesse : »on ne sait rien du devenir de l’humanité ».
Bonnes fêtes, Alain.
François
Bonne fêtes François,
je lis ce matin une phrase de Tchouang-tseu, un maître taoïste, comme vous le savez sans doute que je révère, et qui me fait penser à votre réponse :
« Ainsi le Maître utilise son talent pour s’harmoniser avec les deux côtés et demeure dans le Tao, qui fait toutes choses égales.
Cela s’appelle « marcher sur les deux chemins à la fois ».
Je rajouterai : « marcher tout droit et avec courage vers le Mystère… »