« A la merveille » : émerveillez-vous !

Courir il faut
pour s’émerveiller de ce nouveau film de Terrence Malik « A la merveille ».

Il vient de surgir de ce magma médiocre du cinéma ordinaire, formaté  pour nous endormir, nous anesthésier.
Lui, il vient crever l’écran de sa Beauté
pour nous chavirer l’âme dans un tourbillon de lumière.

Mais de quoi nous parle-t-il ce film au juste ?
Il nous parle de l’Etre, il nous parle de la Vie…
Et de quelle manière l’Etre aime se dévoiler le mieux ?
Il aime se dévoiler par l’Amour, bien sûr.
Et comment l’Amour aime-t-il s’incarner ?
par une histoire d’amour entre un homme et une femme,

une simple et banale histoire d’amour.

Elle porte ses pas d’abord, comme pour annoncer la couleur,
vers le temple des temples, le Mont Saint Michel,
décor mystique où l’image se met à tournoyer
pour une folle sarabande échevelée,
ivresse des corps, des regards, des mains emmêlés
danse nuptiale sur fond de ciel et de mer envasée,
la caméra s’emballe dans la virtuosité,
les plans sont soulevés comme des feuilles par un élan d’extase.
Terrence Malik est à l’oeuvre  :
la banalité devient émerveillante,
l’ordinaire extraordinaire,
Beauté essentielle qui transforme tout de sa magie ensorcelante.
Les mots ne sont plus de mise,
ils sont chuchotés de temps en temps en « voie off »
comme une prière, un cantique venu d’ailleurs,
entrecoupés de longs silences.
Nous sommes passés de l’Autre Côté,
une sorte de rêve éveillé
où il suffit de s’abandonner,
se laisser traverser par le souffle des images.
car l’Etre quand il a besoin de parler de lui-même pour annoncer le Sens
a toujours besoin de s’envelopper de l’essentielle Beauté.

Mais arrive bientôt le temps du désamour

Selon la loi implacable du Tao, où toute chose rencontre son contraire,
arrive le temps des épreuves qui laminent l’ amour.
La mise sur le grill nécessaire de la vie quotidienne,
le spectre de l’incommunication en sa vallée de frustrations,
l’environnement délétère : pavillons préfabriqués dans une plaine mortuaire
au fin fond d’une ‘Amérique stéréotypée,
pollutions et déchets flottant dans la rivière,
pelleteuses et bulldozers ravinant la terre,
la vie cadenassée dans ses rôles,
la technologie triomphante grignotant sournoisement l’âme,
les regards qui se détournent, les silences gênés,
la colère et les tristesses de l’impuissance d’aimer ;
et face à ce naufrage, un prêtre doutant affreusement de l’Amour divin,
devant la misère ordinaire des déclassés, des déchus, des souffrants, des exclus, des malades et des mourants.
La caméra s’attarde, explore sans complaisance les bouches édentées, les regards effarés, les corps brisés,
une musique sourde, funèbre, l’enterrement nécessaire de l’amour
chacun retourne dans son pays
digérer la face obscure de sa vie.

Amour et renoncement

Me viennent à l’esprit ces réflexions d’Osho sur l’amour, dans son livre « La voie de l’amour » commentant les poèmes d’Amour de Kabir :

L’amour ordinaire est une sorte de sommeil :
vous vous attachez à l’objet d’amour, vous commencez à devenir jaloux, vous devenez possessif – et votre possessivité, votre jalousie empoisonnent vraiment l’amour. Elles le détruisent.
L’amour est détruit par la jalousie et la possessivité.
au moment où vous essayez de posséder votre objet d’amour, vous avez renié l’amour.
Vous avez déclaré que vous n’aimiez pas.
L’amour n’est possible que s’il n’y a ni possessivité, ni jalousie.
Cela veut dire que l’amour a atteint au renoncement.
Vous aimez une personne, mais vous ne voulez pas en faire un ou une esclave,
vous aimez la personne, mais vous respectez sa liberté,
vous aimez la personne, mais votre amour ne devient pas une prison.
vous aimez et pourtant vous restez détaché.
vous aimez, vous aimez immensément, mais pourtant vous ne vous accrochez pas : c’est cela le renoncement.
si votre amour est assez grand pour contenir le renoncement, alors seulement il est amour.
si votre renoncement est assez grand pour contenir l’amour, alors seulement il est renoncement.
Et la plus grande croissance, la plus grande évolution, c’est lorsqu’un homme peut être aimant et pourtant dans le renoncement.

Une fin mystique

ça se termine lentement, dans la beauté toujours :
par un long chemin solitaire dans la campagne du petit matin
il mène au Mont St Michel, là-bas dans le lointain,
comme une promesse,
dernière image,
invitation sans doute à la dimension mystique de l’amour,
chuchotements de la voix off venue du ciel
silence
défile le générique
personne ne sort,
chacun « scotché » sur son fauteuil.

La beauté va rester là longtemps après à tournoyer  :
dehors, les lampadaires dans la nuit froide
sont comme des cierges incandescents,
les ombres courbées sur le trottoir comme des revenants

Le film continue longtemps encore son travail de transfiguration,
avec l’envie d’y retourner.

 

 

 

 

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8 réponses à “« A la merveille » : émerveillez-vous !”

  1. Catherine B dit :

    Moi, c’est bizarre l’effet que m’a fait ce film. L’effet c’est que justement il ne m’a pas fait d’effet. Sur la route du retour, je replongeais dans l’atmosphère du film, mais je n’arrivais pas à en dire quelque chose. Peut-être parce que ça colle tellement à ce qu’on vit que forcément la conscience ne se pose pas. Comme si ce film, c’était le continuum de notre vie, de ma vie, où l’on ne cesse d’y croire et de douter, de s’interroger, comme un balancier, un oscillement…enfin, je ne sais pas bien,je laisse infuser…

    • « Comme si ce film, c’était le continuum de notre vie, de ma vie, » oui, c’est ça, Catherine, j’ai ressenti la même chose : l’histoire du film est tellement banale, tellement ordinaire, qu’elle peut effectivement arriver à n’importe qui d’entre nous, mais à la différence de vous, Terrence Malik a réussi à en faire quelque chose de si extraordinaire, que cela m’a fait un énorme effet. Une transfiguration du réel par la Beauté qui m’a profondément touché. Par contre effectivement j’ai trouvé difficile d’en parler, il m’a fallu faire appel à Osho pour une grille d’interprétation et je trouve ça d’ailleurs un peu décalé.

  2. Je me permets de vous écrire car je suis très troublée par vos 3 derniers envois tant ils font écho à mon ressenti et ma vie personnelle actuels…
    Si j’avais un doute sur le fait que nous soyons tous reliés par une énergie, une onde ou vibration ou un esprit supérieur, maintenant il est dissipé.
    Mon époux était un artiste marcheur voyageur photographe témoignant de son instant présent au monde. Il partait plusieurs fois dans l’année, à travers le monde pour réaliser ses photos.
    Début Mars, il est parti en Normandie et après avoir visité Le Havre s’est rendu à Honfleur le 04 Mars 2013. Il a marché le long de la Seine, a rejoint la digue du Ratier et a continué à marcher vers la mer, appareil photo en bandoulière et sac au dos pour photographier l’horizon…
    On ne verra pas cette photo; Philippe s’est éclipsé en tombant dans l’eau. Seul son sac à dos a été retrouvé.
    C’était un homme humble qui n’aimait pas parler de lui; lors d’une de ses expositions, il répondait à un journaliste « l’oeuvre est plus importante que l’auteur »…
    Je veux simplement témoigner que nous sommes tous unis, apprenons à découvrir notre sensibilité à travers la nature, l’art et surtout le regard.
    Voyons, regardons…
    Merci pour votre blog qui apporte tant de réconfort et d’espoir.

    • Catherine B dit :

      Je suis émue face à la densité de votre époux Sabine, j’avais écrit densité de votre époux, alors que je voulais écrire densité de l’oeuvre de votre époux mais cela rejoint très certainement les deux dimensions, l’oeuvre et l’homme se rejoignent pour créer ce supplément d’âme, ce trois de la rencontre qui parle, qui vibre en celui qui reçoit. Je pense à vous.

      • o mon dieu, sabine, je suis très ému, voire bouleversé par votre témoignage. Je n’y vois effectivement que synchronicité et reliance dans une dimension qui nous dépasse et à laquelle il faut s’abandonner et faire confiance.
        Outre le fait que je pars souvent ainsi, moi aussi, seul, sac à dos en bandoulière avec appareil photo et carnet de notes, pour rejoindre la mer et la longer amoureusement sur ses sentiers côtiers, qui sont souvent dangereux par les rochers glissants sur les falaises, la marée montante, le vent qui bouscule et étourdit,
        il y a aussi le fait que le 4 mars dernier j’étais dans cette exposition de Geneviève Asse, dont je parle dans l’article précédent et où je me suis senti étrangement happé par le bleu de la mer des tableaux, comme dans une dissolution ultime.
        j’aimerai beaucoup découvrir l’oeuvre de votre mari et lui rendre un bel hommage sur ce blog, surtout que j’ai toujours considéré ce blog perdu dans l’immensité de la toile, comme une bouteille à la mer dont le message est balloté par l’infini qui l’entoure.

    • Catherine B dit :

      Votre mari n’avait pas besoin de parler, tant ses photos parlent pour lui. C’est de la poésie, ses photos, car elles disent plus et mieux que ne sauraient dire une parole. Il avait raison de se taire votre mari et de laisser parler son oculaire si clairvoyant! C’est troublant tellement c’est parlant!

      • oui, Catherine, je suis tellement d’accord avec vous…
        Cela nous ramène à notre film « A la merveille », où c’est la puissance des images qui fait la différence sur un contenu du plus banal et des mots chuchotés, souvent à peine audibles, qui pourraient ne pas être là.
        L’image quand elle se remplit de la dimension spirituelle de la vie se suffit à elle-même, et son message est bien plus puissant que n’importe quel mot. La poésie essaie bien de rivaliser avec elle en employant le pouvoir de la métaphore ou du symbole, mais ce n’est pas pareil.
        Les religions ne s’y sont pas trompés : l’image de Jésus sur la croix ou du Bouddha en posture de méditation avec son sourire. Mais les théologiens ont aussi interdit l’image voyant en elle une trop redoutable concurrence.

  3. Pascal Caro dit :

    Et bien, personnellement ce film « à la Merveille » n’a pas eu d’écho en moi. Ce type de cinéma ne me parle pas. Je perçois ce que vous en dites, mais trop désincarné à mon goût.

    Quant au témoignage, c’est une toute autre histoire qui me touche dans sa simplicité abrupte. Je ne puis que dire « Avec vous »Sabine.