Je me promenais, il y a quelques temps, le long de la côte méditerranéenne, sur un sentier enchanteur, quand un arbre s’élançant élégamment vers le ciel, attira mon attention et déclencha en moi cette vision intégrative , c’est à dire, d’abord, les multiples manières de voir un arbre :
Le naturaliste se lancera dans une classification compliquée pour montrer toute la diversité de l’espèce, ses embranchements, ses familles, sa structuration…
Le scientifique ne verra que la cellulose du bois de l’arbre et parlera de « polymère linéaire et non ramifié » ou de « substance macromoléculaire de type polysaccharide venant du glucose »…
L’écologiste soulignera les bienfaits de l’arbre absorbant le CO2 et libérant généreusement l’oxygène, mettant en garde contre les destructions massives en particulier dans la forêt amazonienne, poumon de la planète…
L’économiste ne verra que la rentabilité d’une matière première, utile pour la consommation de masse et son profit personnel, au point qu’il organisera de manière efficace tout un trafic d’arbres à travers la planète, exploitant main d’oeuvre et plantations industrielles, réquisitionnant tous les moyens de transport disponibles, spéculant sur les places boursières…
L’architecte lui sera sensible à la beauté et aux fonctions de ce matériau noble, apportant chaleur et protection à la maison, et il proposera un habitat écologique de style…
Le peintre en fera un de ses motifs de prédilection avec, parmi les plus grands, Corot, Watteau, Van Gogh, Mondrian, plus récemment Alexandre Hollan.
Le poète lui aussi chantera la gloire de cet être vivant, essentiel, source d’inspiration et de réconfort : écoutons Victor Hugo :
« Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime. »
Le religieux et l’homme spirituel, verront en l’arbre un être d’une haute spiritualité, reliant la terre et le ciel, s’élançant courageusement vers la lumière, d’autant plus haut que ses racines sont profondes. Les bouddhistes révéreront l’arbre Bodhi à Bodhgaya, sous lequel le bouddha reçut l’ illumination, les chrétiens parleront du pommier, l’arbre du paradis originel, les celtes honoreront le bouleau et son tronc blanc symbole de pureté.
L’énergéticien travaillera le qi gong ou le yoga, en prenant l’arbre pour modèle pour bon nombre de ses postures, etc.
On pourrait ainsi continuer longtemps cette liste pour souligner les innombrables manières de voir l’arbre.
En fait nous sommes dans la première phase de la vision intégrative, qui consiste d’abord à discerner et accepter la diversité des manières de voir une seule et même chose. Elle s’oppose à la vision unidimensionnelle ou »intégriste » qui rejette cette diversité avec mépris, pour n’en privilégier qu’une seule, ce qui va entrainer le réductionisme de la réalité et un déséquilibre du monde, une sorte de disfonctionnement. Actuellement nous sommes en plein dans cette problématique, où il nous est difficile en Occident de nous dégager d’une culture vieille de plus de 400 ans et qui privilégie une vision unilatérale, scientifique, technique et matérialiste, où l’économie devient de plus en plus omniprésente.
Ainsi, par exemple, pour revenir à l’arbre, la vision économique va vouloir imposer son trafic, sa vérité, au détriment des autres manières de voir, provoquant à la longue une crise écologique, mettant en péril l’équilibre de la planète.
Pour l’arbre – mais aussi pour toute autre chose – il est donc de toute urgence qu’une vision globale prenant en compte la diversité des points de vue sur la réalité, s’impose. Dans la théorie évolutioniste de la conscience, telle que la présente en particulier Ken Wilber et Don Beck : cet élargissement des points de vue se nomme, au niveau individuel, le stade du « formel réflexif » (formop) qui permet un certain recul, une distance critique par rapport à un seul point de vue, pour permettre une vision pluraliste et mondocentrique du réel, sortir du conformisme unidimensionnel et rentrer dans un pluralisme multiculturel, caractérisant, au niveau collectif, le stade du « postconventionnel » ou de la « postmodernité », que Don Beck appelle le « Mème Vert ».
En psychothérapie, cela donne lieu à un mouvement que l’on nomme l’éclectisme ou le « multiréférentiel » , c’est à dire la multiplication et la multiplicité des techniques qui s’ajoutent les unes aux autres, sans lien apparent et sur un même pied d’égalité.
Mais nous ne sommes pas encore dans une vision intégratrive complète, nous sommes seulement dans la première phase, nécessaire, de la vision intégrative.
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Ce que j’aime dans l’idée d »une approche multi-référentielle, c’est son potentiel d’ouverture et flexibilité, tout en restant relativement modeste. Le problème est, je crois que nous sommes d’accord là-dessus, le risque d’incohérence à cause d’un patchwork pas bien réfléchi. Par exemple une séance on travaille selon ce cadre référentiel, et une prochaine séance selon un autre cadre qui « contredit » le processus précédent.
Un modèle intégratif pourrait éviter cet écueil -et c’est sa valeur. C’est une grande ambition que Wilber a indiqué avec son ironie (au moins je l’espère) qui le caractérise et que j’aime souvent, en donnant comme titre à un de ses livres clé: « Une Brève Histoire de Tout ».
Ce que je crains un peu – et ce serait l’absurdité ultime – un intégrisme genre: « Mon modèle est plus intégratif que le tien »…
oui, Maarten, tu poses deux questions importantes :
la première la question de l’incohérence possible de la multiréférentialité ou de ce que j’appelle « l’éclectisme » et à un niveau collectif « la postmodernité », où toutes visions de la réalité sont sur le même plan, sans lien évident, dans une sorte de bric à brac, de bazar, de complexité confusionnelle, etc… je crois que c’est cette multiplicité des psychothérapies et de leurs techniques qui fait peur à des partisans d’une approche unidimensionnelle beaucoup plus simple et finalement plus confortable intellectuellement. C’est sûrement une manière de comprendre l’aspect répressif et réducteur de la loi Bachelot qui ne reconnait que la vision médicale, psychopathologisante des symptomes psychiques (ou à la rigueur la vision de la psychologie classique enseignée à l’Université) et fait le déni de la multiplicité des courants psychothérapeutiques. De la même manière l’économiste qui abat les arbres de la forêt amazonienne va faire le déni de la complexité de la vision écologiste ou de celle du poète et du spirituel. Il y a beaucoup d’esprits qui sont encore en plein 19e siècle et ne peuvent accepter la richesse – complexité de la vision éclectique, plus large, plus riche, plus complexe.
Mais il est vrai qu’il nous faut maintenant réfléchir aussi à plus de sens et de cohérence à cette vision éclectique qui ne suffit pas. Je voudrais faire un deuxième article sur cette question.
Tu poses une deuxième question sur le possible dogmatisme d’une vision intégrative méprisante par rapport aux visions d’un niveau inférieur reposant sur des certitudes unidimensionnelles et tu fais sans doute allusion aux postures de Ken Wilber, dont on a déjà discuté ici au sujet du livre de Frank Visser. Tu as raison, je pense que la qualité primordiale de la vision intégrative, c’est la patience : dans 10 000 ans l’être humain, peut-être accédera de manière significative à un niveau de conscience suffisant pour penser et agir en fonction du Tout…
Je crois qu’il y ait un malentedu entre nous, Alain. Je le dirai un peu autrement: je crois qu’il y aura toujours *des* thérapies intégratives, ou *des* modèles intégratives. Des modèles qui, chacun, ont une vision bien plus large, et qui ont tous une cohérence interne; mais qui entre eux ont aussi des interpétations différentes; par exemple sur le pré-trans débat, ou Ken Wilber et A.H. Almaas ont des perspectives bien différentes et, qui donc, activent des processus différentes.
Et je crois que c’est très bien ainsi.
La plus triste situation serait: une pensée unique sur l’Un!
Ce serait bien, Maarten, si tu pouvais nous partager ici le modèle intégratif de Almaas – très peu connu en France, malheureusement – de manière à ce que nous puissions mieux comprendre le différent avec Ken Wilber et s’il faut effectivement renoncer à un modèle unique intégratif de l’Un ou du Tout, tel que Ken Wilber s’est donné comme prétention de penser.
Ce n’est pas simple comme demande, Alain. Peut-être plus tard je pourrai donner un début de réponse; problème c’est que ce modèle d’Almaas est (bien évidemment) complexe.
Mais d’abord, pourquoi pas se réjouir dans une multiplicité de modèles intégratifs?
et non, Maarten, je ne me réjouis pas du tout, je vois là au contraire une manifestation supplémentaire de l’éclectisme de l’époque ou du Mème Vert, entrainant confusion et combats de visions personnelles. Je serai plutôt un adepte de la « philosophia perennis », c’est à dire cherchant depuis l’origine des grandes traditions orientales et occidentales un modèle unique d’évolution et d’involution du Tout, capable d’intégrer toute chose et en particulier ce que nous sommes en train de vivre actuellement comme crise majeure de l’évolution de la conscience humaine. C’est sûrement ma formation philosophique qui vaut ça. C’est pourquoi le modèle de Ken Wilber uniciste me séduit tant et j’y ai trouvé des réponses que je me posais depuis longtemps. Par contre je déteste le dogmatisme, bien sûr, et je suis ouvert à tout enrichissement possible de ce modèle, c’est pour cela que si Almaas l’enrichit, c’est tant mieux, mais il faut encore le prouver avec rigueur, en dehors des querelles de personnes et d’ego.
Peut-être, encore, on ne parle pas de la même chose, Alain.
Il y a un eclecticisme où un thérapeute utilise un patchwork de diverses modèles peut-être pas incohérents entre eux.
Je contraste cela avec plusieurs écoles qui, chacun ont un modèle cohérent de la pratique et les stages du processus; mais ces modèles ne s’intègrent peut-être pas. Là, je ne vois vraiment pas de problème.
Il y avait toujours des chemins différents pour des personnes différents, par exemple.
Il n’y pas nécessairement de guéguerres, à ce moment-là, quand il y a respect et humilité.
Je ne crois pas que le modèle d’Almaas enrichit celui de Wilber – et cela ne m’étonne pas que ni Wilber ni Almaas semblent très intéressés de développer une telle intégration.Et cela ne me semble pas une question d’egos, mais une réflexion de la richesse de la Vie.
Dans le monde du langage (et donc des modèles), je crois qu’il y aura d’ailleurs toujours des facettes différentes, représentées par des modèles différentes, qui semblent contradictoires. L’unité sous-jacente échappera toujours, je crois, au langage.
« Dans le monde du langage (et donc des modèles), je crois qu’il y aura d’ailleurs toujours des facettes différentes, représentées par des modèles différentes, qui semblent contradictoires. L’unité sous-jacente échappera toujours, je crois, au langage. » Je me place dans le monde du « logos », Maarten, c’est à dire au niveau d’un langage relié à l’être ou à la vie ou à une possibilité d’efficience sur l’évolution de la conscience humaine. Dans cette perspective, il me semble qu’il y a des langages plus ou moins efficients, une sorte de hiérarchie ou d’holarchie, que tous les langages ne se valent pas dans leur diversité et qu’il y a la possibilité d’un langage unifiant de la conscience humaine. En même temps je comprends ta plaidoirie pour la diversité, car nous sortons d’époques où le langage dominant était uniciste et tyrannique. Il y a eu le langage des différentes traditions religieuses, puis le langage de la dernière religion : le langage scientifique, technique et matérialiste. Nous avons besoin de la diversité, de la tolérance, de l’humilité, du pluralisme, du respect des différences, etc, etc, ce sont les valeurs du Mème Vert, un sacré ballon d’oxygène après toutes ces langages unidimensionnels. Mais les danger de ce pluralisme, c’est la confusion, la séparation et l’incohérence : tout est mis sur le même plan. Avec le danger des régressions autoritaires, dogmatiques et unidimensionnelles. L’esprit intégratif c’est alors une tentative pour transcender ce pluralisme confusant, afin d’établir des liens de cohérence au sein de la diversité, dans un langage unitaire qui puisse contenter le plus grand nombre d’insatisfaits du pluralisme, et dans une direction évolutive qui transcende et inclut. Cela ne peut être construit sur un dogme contraignant, mais sur une ouverture incluante et enrichissante. Ken Wilber est une tentative intéressante pour trouver ce langage unifiant nécessaire à l’époque actuelle, Almaas aussi sans doute. Ce qui me fait dire qu’un différent entre Almaas et Wilber doit pouvoir s’unifier et s’enrichir mutuellement en une vision plus large encore , si leurs deux langages sont efficients et touchent à l’Etre dans son évolution, au delà des conflits d’ego.
Par contre le fait que l’Etre et son évolution ne puisse pas être atteint par l’esprit humain en un « logos » unifiant, ne fait pas partie de mon paradigme dominant, même si parfois la vision d’un Mystère indescriptible m’est aussi séduisant, dans un silence au delà de tout langage, auquel cas notre discussion est complétement inutile, ce qui ne me convient pas.
« Ce qui me fait dire qu’un différent entre Almaas et Wilber doit pouvoir s’unifier et s’enrichir mutuellement en une vision plus large encore , si leurs deux langages sont efficients et touchent à l’Etre dans son évolution, au delà des conflits d’ego. »
Où j’en suis maintenant, je ne vois pas comment, Alain, étant donné ce que je comprends de ces deux modèles et pratiques.
Ce qui ne veut pas dire que j’ai raison…
Mais juste une exemple: Ken Wilber se réfère souvent à Sri Aurobindo – et pas à « La Mère », sa compagne spirituelle qui a continué le travail d’ Aurobindo après après sa mort. « La Mère a exploré des dimensions dans la matière que je ne trouve nulle part dans les écrits de Wilber – et Wilber ne mentionne pas, d’après ma connaissance, pourquoi il ne la mentionne pas (ou si peu).
Wilber s’appuye aussi beaucoup moins sur le soufisme, où il y a tout un savoir sur par exemple les « Laitifa » qui est autre que celle des chakras et qui touche une autre dimension, une autre qualité de l’être.
Un peu lié à cela; Almaas fait une différence entre « essence » (« l’elixir de l’illumination ») et « énergie. Cette « essence » plus « substantielle » dit-il, que « l’énergie des chakras ».
Lié à cette notion de « Essence » (que selon Almaas, Ken Wilber n’a pas bien compris/ expérimenté, et là, je crois que Almaas a raison) il y a un autre perspective sur le processus de développement spirituel. J’y reviendrai à un autre moment, inch’Allah.
Pour le moment, je me dis tout bêtement: on s’engage dans une pratique d’une école ou mouvance, et tôt ou tard c’est « la guidance intérieure » qui prend le relais et l’appartenance à une école ou théorie devient de moins en moins pertinent.
J’aime bien le mot anglais « alone », si proche de « all one »…
oui, je crois comprendre ta gêne, Maarten. Il me semble que Almaas – que je connais très mal – et Ken Wilber n’ont pas les mêmes intentions. Ken Wilber est un philosophe conceptuel, qui propose une cartographie voulant unifier le Tout dans la plus grande diversité de ses manifestations – mais il ne peut pas être exhaustif, et qui le pourrait ? Almaas me semble être plutôt un maître spirituel proposant une pratique fondée sur le soufisme. On peut très bien envisager un enrichissement ou un éclairage de la pratique d’Almaas par la cartographie wilberienne, surtout qu’effectivement, à ma connaissance, Wilber connait mal le soufisme et n’en parle pas beaucoup. Et si Wilber ou Almaas ne le veulent pas pour des raisons que j’ignore, nous pouvons, nous, le faire. Il s’agit juste de faire des liens entre deux niveaux différents : c’est le travail de l’intégration.
Par ailleurs au sujet d’Aurobindo et de la Mère, tu as raison. Je pense que Ken Wilber n’est pas très clair avec l’idée d’une Involution spirituelle actuelle ,nécessaire, que la Mère exprime bien à sa manière. KW est bon pour décrire l’Evolution, moins bon, pour cette idée supplémentaire de l’Involution que développe aussi Krishnamurti, ainsi que le montre très bien un petit livre passionnant que je lis en ce moment : « le mystère autour de Krishnamurti » de Dominique Schmidt.
Je rejoins cette réflexion sur les mille façons de voir l’arbre. Il y a bien longtemps que les humains trouvent en l’arbre une source de matériaux utiles, mais aussi d’inspiration et d’analogie.
Je trouve pour ma part très pertinentes les notions « d’arbre de la connaissance » et « d’arbre de la vie ». En effet, que l’on considère l’évolution des croyances et autres théories, ou l’évolution des espèces, on constate la similitude de processus avec une croissance arborescente.
Je vois chaque humain comme la feuille d’un même arbre. Cette feuille grandit sur une branche spécifique, se nourrit du contexte particulier où elle est venue au monde. Ce faisant, elle métabolise son expérience en connaissance et contribue ainsi à renforcer la branche sur laquelle elle grandit, à susciter des nouveaux embranchements, et à nourrir voire faire grandir l’arbre.
Et on ne peut affirmer que les branches des arbres sont en compétition ou en coopération. Elles sont. C’est à nous d’apprendre à intégrer ces deux facettes a priori opposées. En route pour la coopétition…