Il s’en est allé Là-Bas, de l’Autre Côté…
cela a dû bien se passer pour lui, car il était préparé,
il était préparé de longue date,
le chemin était sans doute balisé
à force d’avoir rencontré, lu, médité, enseigné tous les grands textes et tous les grands sages des traditions orientales,
depuis plus de cinquante ans.
Cela m’a touché cette disparition, aussi fort que celle de David Servan-Schreiber un peu plus tôt en juillet.
Pour moi, Arnaud Desjardins a été très important :
Je me revois au début des années soixante dix,
je faisais des études de philosophie à la Sorbonne,
je m’ennuyais à mourir avec tous ces cours centrés sur la rationalité occidentale – Descartes, Kant, Hegel… je les détestais.
Heureusement, il y avait Nietzsche que je dévorais avec passion et dont j’apprenais par coeur certains passages du Zarathoustra ;
et il y avait aussi un cours de yoga, au coeur du quartier latin, rue Gît-le-Coeur – un extraordinaire nom de rue !-,
où je découvrais bientôt un bien-être nouveau, relié à mon corps et à ma respiration.
J’avais essayé en même temps, à la Sorbonne, de suivre un cours de philosophie orientale, en complément du yoga,
mais je m’y ennuyais mortellement.
Un jour, dans une librairie, en feuilletant au hasard les livres,
comme j’aime toujours le faire,
je suis tombé sur un livre d’Arnaud Desjardins,
il s’intitulait « Le message des tibétains » aux éditions La Palatine 1969.
Ce livre, il est toujours là dans ma bibliothèque,
les pages sont jaunies et il tout souligné au crayon noir.
Ce fut une véritable découverte qui m’enchanta.
C’était limpide, je comprenais tout et j’avais envie de tout lire ;
ce que je fis : je dévorais « Ashrams », « L’hindouisme et nous », « Yoga et spiritualité », etc…
Je vis aussi le retentissant film « Ashrams » et je me mis à rêver aux regards si profonds et si clairs de Ma Ananda Moyi et de Ramana Maharshi.
Bientôt, je n’eus de cesse que de vouloir à mon tour prendre les chemins de l’Inde, pour me rendre dans ces ashrams,
près de cette sagesse qu’Arnaud Desjardins avait su rendre si vivante, si attrayante, si désirable…
Et pendant dix ans, l’Inde, ses traditions spirituelles, ses lieux sacrés, ses ashrams, ses maîtres illuminés,
son peuple si attachant dont les yeux fiévreux vous regardent avec tant de gentillesse,
l’Inde devint mon premier sujet de préoccupation ;
et je ne le regrette pas, je ne le regretterai jamais,
même si les retours d’Inde dans la grisaille parisienne
furent quelquefois bien difficiles.
Merci Arnaud d’avoir contribué à cette partie essentielle
de mon chemin de vie.
Je ne peux m’empêcher de retranscrire ces mots que j’ai soulignés dans le « Message des tibétains »,
proférés par Kempo Kaloo Rinpoché en 1964,
ils me semblent toujours aussi limpides :
La Vérité est si simple, l’Etat-de-Bouddha (buddhahood) est si simple, bodhicitta est si simple. La Vérité est là; ici même dans cette cellule. La Vérité est en vous. Le silence, shunyata (le Vide) est en vous. Vous êtes le silence, vous êtes la vérité, vous êtes Bouddha. C’est là, c’est là, en ce moment, si simple, et si proche. Et pourtant nous, nous le rendons si loin, quand c’est si proche, si compliqué quand c’est si simple. Savez-vous ce que c’est que d’être tout près, être à côté de la route et de votre automobile, mais avoir perdu votre chemin ? Vous êtes Bouddha; Alors pourquoi ne le sentez-vous pas, ne le savez-vous pas ? Parce que le voile est là, l’attachement aux apparences, la croyance que vous n’êtes pas Bouddha, que vous êtes une individualité, un atma (ego individuel). Si vous ne pouvez pas retirer le voile d’un seul coup, immédiatement, vous devrez le dissoudre petit à petit. C’est parce que nous avons rendu le simple si compliqué et le proche si lointain, que les exercices si complexes, mandalas, méditation tantrique, création d’images mentales, yoga, etc… sont nécessaires. Pour réaliser l’infiniment proche, un long cheminement est nécessaire. toute une ascèse complexe est nécessaire pour traiter de tous les aspects de l’être humain, de tous les aspects de cette barrière que nous avons opposée à la Vérité. Mais pour celui qui serait convaincu, qui saurait que Cela est si proche et si simple, toutes ces techniques qui sont le patrimoine du Bouddhisme tantrique, qui font son prestige, toute cette science serait complétement inutile.
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Bonjour? le connaissiez vous de près de « prêt »…?
Attention, j’ai lu certains de ses écrits à certains moments de ma vie.. et plus d’une fois, ils ont été comme « un réverbère » dans la nuit noire…
vos écrits me font méditer, c’est quoi, »être prêt »..il a lu, médité enseigné… il y a tant de peites luciolles, dans la nuit , qui meurent méconnues, (que l’on évoque pas, dont on ne parle pas).. …alors, que la plupart du temps , des temps , ce sont elles, qui ont aidé, le « créateur », le « passeur. ».de entre autre, mots »….
comprendre « tout »?… est-ce possible?.. je plains quelqu’un qui comprendrait tout..car, il n’y aurait plus de mystères.. que d’ennui…
J’écoute vos mots.. du moins je tente… et je vais vous poser une question indiscréte.. pourquoi ces lumières, ne s’allument telles pas, chez vous? où que vous soyez, là, dans le présent…
je me permets, de vous poser la question.. car, je me la suis longtemps posée.. et que sans cesse, je revenais par delà, tous mes voyages, vers ce lieu qui était encore, alors, « si froid », si noir… empli de mystères..que je ne comprenais pas.. alors que tout s’éclaircissait ailleurs..
Bien respectueusement
T
Oui, c’est un bel hommage parce que réellement ce que toi tu as vécu Alain. Honnête, sincère.
Pour moi qui le connaissait de très près depuis plus de 20 ans il a joué un rôle majeur puisqu’il me guidait dans cette ascèse dont tu parles. J’ai une profonde et indéfectible gratitude pour la personne et le Maître qu’il était. Il est vivant au cœur de mon cœur pour l’éternité.
Amitié,
Pascal
Merci, ce que vous écrivez , Monsieur Caro… donne envie d’avoir eu la chance de rencontrer cette personne de près..
pardon… « une ascèse »… qu’est-ce que c’est.??..ça s’impose par la « volonté »?…et non, le désir? est-ce « se forcer », à..
et la joie?..l’envie?…ça me pose questions..
T
Ascèse, discipline, mise en pratique… Pour une réelle possibilité d’être heureux.
Oui cela se travaille et n’est en rien incompatible avec la joie, l’humour, l’amour… Bien au contraire.
Avec vous,
P.
merci… d’accord, ..alors, ça se fait aussi , dans sa vie de tous les jours, peu à peu pas à pas….avec soi et les autres… ok, je comprends… ce n’est pas du forçage…et ça se pratique de pleins de façons, alors…
pour moi, je dirais que c’est s’amuser, à se fabriquer, pleins de petits paradis…le plus possible..
merci…
« pour moi, je dirais que c’est s’amuser, à se fabriquer, pleins de petits paradis…le plus possible. »
Pas exactement cela, non. :-) Mais cherchez ?
merci Pascal pour ton témoignage.
Thérèse vient de poser une bonne question : « une ascèse »… qu’est-ce que c’est.??..ça s’impose par la « volonté »?…et non, le désir? est-ce « se forcer », à.. » C’est vrai qu’en Occident, nous avons une conception assez négative de l’ascèse venant du christianisme ; ça évoque les mortifications, les retraits du monde, les silices et autres gadgets, …
En Orient, c’est le plus souvent différent, c’est plus gai, plus décontracté, plus dans le lâcher-prise, l’humour, le rire ; il y a moins ce déni ou cette peur du monde, du corps, des désirs et souvent il y a une intégration entre une certaine discipline nécessaire – comme par exemple des temps de méditation quotidiens – et le lâcher-prise et l’acceptation des autres niveaux de conscience.
Je crois qu’Arnaud était dans cette intégration ; peux-tu nous en dire plus Pascal ?
comment dire? pour moi, ce que vous appelez, peut-être, « méditation »…je le sens en chaque seconde de ma vie.. je n’ai pas « besoin » de « forçages »…je ne me sens pas « obligée » à…Ce sont continuellement des désirs…qui me guident.. »du bien être »… le mien et aussi la recherche de celui des autres, ensemble…aussi…
peut-être, est-ce aussi cette recherche de « la justesse », en musique.. j’avais un frère musicien, par ailleurs, et nous en échangions, très souvent..
mais oui… de purs moments, comment dire? d’extases, de jouissance?…de bonnes heures?…
j’espère, que monsieur Arnaud a vécu cela, et le plus souvent, possible ! car, c’est trop génial…
les lumières s’allument ! ,et on les voit seulement les yeux ouverts !
avec tout mon respect
oui.!… les « sens » en éveils… non?…y compris dans le noir, la lumière se fait…y compris si l’on est « aveugle »… non?…
Ce que je peux dire Alain, c’est qu’une fois Arnaud a dit à Eric Edelman quelque chose du genre : « Vous avez pris le Zazen mais il vous manque le saké ». Un saint triste est un triste saint. Comment quelqu’un établi dans la béatitude pourrait-il manquer d’humour ?
Et Ramdas en Inde disait: « Here we laugh the ego away », ici nous chassons l’égo par le rire. Il était connu pour ses pitreries hilarantes du style mimique avec un sèche cheveu, lui qui n’avait pas un poil sur le caillou.
ouah! excusez moi d’intervenir.. Monsieur Pascal Caro…ça me parle tant ce que vous écrivez, , à propos de Monsieur Dujardin…. bien plus, pour ma part que ses lectures…même si je comprends pas tout y compris les gos… N’est-ce pas un jeu?…de stratégies, ? il y jouait?
qu’en disait-il?… si je peux me permettre..
« ici nous chassons l’égo par le rire. » : oui, bien sûr, Pascal, il y a ce rire ! Pour ma part je préfère un certain sourire, d’où émane aussi la gravité ou la compassion par rapport à cette gravité de la souffrance humaine infinie. J’aime quand les contraires sont mélangés, l’intégration suprême.
Alain, la capacité à utiliser toute la largeur de la palette avec conscience est une preuve profonde d’intégration. Le rire de Ramdas en est un exemple, mais il y a bien sûr le sourire du sage, voire la profonde tristesse qui touche au sentiment de compassion, en passant par la colère quand elle est juste, etc.