Du désamour à l’Amour, en évitant le tranhumanisme

Difficile de parler d’Amour,
encore plus difficile d’écrire à son sujet ;
aussi est-il nécessaire de choisir un style d’écriture particulier,
entre prose et poésie, l’aphorisme(1) par exemple.

L’Amour est la préoccupation majeure de l’être humain, depuis qu’il est « humain » ;
il a été invoqué, chanté, claironné dans toutes les cultures, à toutes les époques.
La grotte de Lascaux n’est-elle pas le plus belle hymne à l’Amour ?
Ne parlons pas des mythologies les plus lointaines,
elles ont donné une place majeure à toutes les représentations de cette force irrépressible.

Le paroxysme de cette invocation à l’Amour, ce fut sans doute le christianisme autour de Jésus ; pas un prêche, pas une prière, pas un rituel, où l’Amour n’est invoqué,  et cela voilà bientôt plus de 2000 ans !

Et pourtant !… pourtant, il n’y a jamais eu un tel déchaînement permanent de guerres et d’horreurs de toute sorte, il n’y a jamais eu autant d’atrocités commises au nom des croyances et des religions du soi-disant Amour ! Comme si le fait de parler à l’homme d’Amour le faisait régresser dans le pire désamour.

En fait, aucune espèce sur terre ne semble plus en désamour que l’être humain,
et c’est sur cet étrange paradoxe « Amour souhaité / désamour vécu », qu’il nous faut tenter de réfléchir.

Quel est donc ce « désamour » originel qui caractérise l’être humain et qu’il nous faut traverser, même si cela n’est pas très agréable pour notre image de marque ?

Le désamour originel

Pour parler désamour, l’apport de la science est intéressant – en l’occurrence la paleo-anthropologie, l’éthologie et les sciences du cerveau-, car la science ne rêve pas, elle peut même se montrer implacable dans ses observations :

L’homme est d’abord et avant tout, un infâme prédateur, le plus redoutable et le plus dangereux des prédateurs, qui progressivement va asseoir sa domination sans pitié sur toutes les autres espèces et la Nature entière.

C’est de plus un prédateur surdoué, car étrangement muni d’un cerveau plus gros que la normale, avec un reptilien-limbique massif au poste de commande, sur lequel est juché un cortex proéminent, qui fait caisse de résonance mentale, amplificatrice de cette cruauté prédatrice (voir l’article sur le livre de Martine Laval « N’écoutez pas votre cerveau »).

Le problème, c’est que ce cerveau n’a pas évolué depuis environs 300 000 ans. Les civilisations et les cultures se sont succédées avec cette même litanie cauchemardesque des guerres et des destructions incessantes.
Et même si certains osent croire encore à une évolution possible de l’être humain vers la Conscience / Amour, comme Theilhard de Chardin, Aurobindo, Ken Wilber et Don Beck, cela ne provoque désormais qu’un léger sourire de commisération.

L’histoire humaine avancerait donc de manière non-linéaire et non-évolutive, avec des accès de fureur et de folie collective cyclique et régressive. Le désamour est toujours là, qui guette omniprésent, contaminant le cerveau des hommes sous son emprise totalitaire, malgré les rêves et les histoires d’Amour, qui se faufilent timidement comme des parenthèses fragiles entre deux cauchemars.

Alors, face à cette dualité implacable « désamour / Amour », où le désamour semble largement dominer, il nous faut nous étudier la possibilité pour l’homme de se soigner de son désamour.

Les thérapies du désamour

1 Cela commence à Sumer, il y a 7000 ans,

dans la plus ancienne culture qu’il nous est donnée de connaître, puisqu’en amont tout a disparu, sauf quelques bribes ayant échappé à un probable déluge atlantéen.

A Sumer, au milieu d’un polythéisme foisonnant, il y a Inanna, la déesse de l’Amour, vénérée dans le grand temple d’Uruk.
Le plus surprenant, c’est qu’elle n’est pas seulement la déesse de l’Amour, mais qu’elle s’occupe aussi du Sexe, de la Guerre et de la Mort, trois grandes puissances obscures qui régissent l’être humain depuis toujours.

On attribue cette dualité d’Inanna, à l’identification de la déesse avec la planète Vénus, dont le mouvement dans le ciel commence par une descente par rapport au Soleil, avant d‘ascensionner vers sa Lumière.

Aussi, s’agit-il pour Inanna de commencer par descendre vers  le Sexe, la Guerre et la Mort, avant de s’occuper de la transcendance possible de l’Amour.

Pour le Sexe,  il y a ses prêtresses qui officiaient dans le grand temple d’Uruk : elles étaient inspirées par la déesse pour initier rituellement à la sexualité sacrée, afin de proposer une voie de transfiguration, proche du tantrisme comme plus tard en Inde. En fait, il s’agissait surtout de soigner le sexe prédateur des mâles dominants toujours prêts à s’attribuer les femelles en les violentant  – un sujet malheureusement toujours d’actualité, comme le montre l’affaire Weinstein aux Etats-Unis, faisant tâche d’huile partout ailleurs…

Quant à la Guerre, la déesse avait fort à faire, tellement cette activité fut toujours l’activité préférée de la folie humaine. La guerre s’appelait poétiquement « la danse d’Inanna », et la présence de la déesse planait partout sur les champs de bataille. Sans doute, s’employait-elle à enseigner la sagesse aux chefs de guerre, tout en consolant les victimes et leur montrant le chemin d’une transcendance oubliée –  ainsi que tentera plus tard de le faire en Inde, Krishna dans la Bhagava – Gita.

Enfin, Inanna connaît très bien le royaume des morts, elle y est descendue pendant trois jours, se dénudant progressivement de tous ses atours, jusqu’à se laisser mourir complétement, si bien qu’Enki, le dieu suprême est intervenu pour la faire remonter au Ciel. Mort symbolique d’une déesse « héroïne », qui inspirera plus tard Joseph Campbell dans son bestseller « le voyage du héros » (2), avec la mise en lumière de ce voyage initiatique nécessaire au plus profond de son inconscient, afin de remonter ensuite avec « le don des profondeurs ».

Dualité nécessaire d’Inanna, fille du dieu « An », le Ciel, et de la lune « Nanna »,
inspiratrice de la mythologie la plus ancienne, et qui n’a pas fini de nous inspirer, s’il nous prend l’intérêt de remédier chacun, au plus profond de soi-même, à cette difficile dualité humaine.

2 Les thérapies actuelles du « désamour »

7000 ans se sont passées, mais rien n’a changé véritablement pour se soigner du désamour et de ses souffrances. Ne faut-il pas toujours commencer par descendre dans les profondeurs inconscientes du désamour intérieur, avant de prétendre à une quelconque évolution de Conscience et d’Amour ?

Il n’y a plus ni dieux, ni déesses, ni mythes, ni mythologies, ni temples, ni lieux sacrés pour nous inciter à ce voyage intérieur, mais cela passe désormais par les officines privées des thérapeutes proposant leurs multiples techniques psychothérapeutiques.

Quant aux souffrances du désamour – on les appelle symptômes – ce sont toujours  les mêmes, ils tournent toujours autour du sexe, de la guerre et de la mort, seuls les mots ont changé et se sont multipliés : névroses, psychoses, dépressions, paranoïa, schizophrénie, délires, bipolarité, stress post-traumatique, deuil, burn-out, fibromyalgie, etc, etc…

Emergent alors une multitude de techniques pour une multitude de symptômes, avec pour y voir plus clair la vision synthétique de la  « psychothérapie intégrative » les regroupant autour des sept dimensions principales de l’être humain : corporelle, émotionnelle, mentale, sociale, psychogénérationnelle, énergétique, religieuse/transpersonnelle (voir la théorie des 7 corps sur  mon site internet).

Voyage nécessaire à l’intérieur de soi-même, descente obligée dans les profondeurs de l’inconscient, passage par les mémoires les plus anciennes de l’enfance, de la naissance, du périnatal, du psycho-générationnel et des vies antérieures ; traquer par des techniques de régression, l’origine de la souffrance responsable de tous les dérapages ultérieurs ;
et changer progressivement de niveau de conscience, passer de l’opaque inconscience originelle engendrant le désamour et son cortège de souffrances, à la Conscience lumineuse, porteuse de toutes les promesses évolutives.

Sur ce chemin difficile, rencontrer un jour les promesses et les plénitudes de la méditation, cette posture thérapeutique essentielle pour l’être humain, capable de tenir à distance la folie et parfaire cette promesse évolutive de la pleine Conscience.

Alors, surgit l’Amour…

Alors, quand le nettoyage intérieur du désamour est accompli,
quand la Conscience humaine a repris sa place d’élection face à l’inconscience,
tout est prêt pour la floraison de l’Amour.

Il ne s’agit pas de cet amour éphémère et limité qui s’invite parfois de manière utilitaire et conditionnelle chez les groupes humains, comme par exemple dans le couple, la famille, le travail, l’ethnie, la religion, etc…

il s’agit de l’Amour inconditionnel,
l’Amour illimité et sans restriction
l’Amour de Tout et du Tout.

Quand le travail préliminaire de la Conscience est achevé,
alors, cet Amour peut surgir par surprise, à l’improviste, quand on ne l’attend plus ;
c’est un ressenti ultime qui embrase l’être tout entier de son incandescence,
c’est une communion intime dans l’unité de toute création,
c’est l’Âme humaine enfin révélée à elle-même dans l’illimité de son Amour…

Mais de cet Amour, mieux vaut ne pas trop en parler au risque de la prétention,
cet Amour est existentiel et se refuse aux mots,
seule la poésie peut parfois l’approcher au mieux,
comme dans cette « Nuit obscure » de Saint Jean de la Croix (3):
« Dans une nuit obscure
par un désir d’Amour tout embrasée
oh joyeuse aventure
je sortis sans me montrer
quand ma maison fut apaisée (…) 

Dans cette nuit de joie
secrètement car nul ne me voyait
ni mes yeux rien qui soit
sans lumière j’allais
autre que celle en mon cœur qui brûlait…

Et elle me guidait
plus sûre que la lumière de midi
au lieu où m’attendait
moi je savais bien qui
en un endroit où nul ne paraissait… »

Comme l’indique ce texte, l’Amour aime aussi se nicher dans la région du Cœur,
Il affectionne la descente dans le Cœur,
mais cela, je l’ai déjà expliqué longuement dans un article paru dans Santé Intégrative.
Voir aussi  un article sur Kabir avec ses 94 commentaires.


Le « transhumanisme
 » ou la disparition de l’Amour

Mais ce chemin vertical du désamour vers l’Amour est actuellement en grand danger de disparition. Serait-il devenu trop difficile ou trop décevant à nos contemporains ?

Toujours est-il que face à l’inflation récente de la folie humaine, qui a endeuillé le 20e siècle de ses deux guerres barbares, il est venu à l’esprit de certains penseurs, du côté de la Silicon Valley, un rêve totalement fou.

Ce rêve s’appelle le « transhumanisme ».
Il s’agit de dépasser l’humanité trop décevante en transformant l’être humain de fond en comble grâce aux progrès spectaculaires des technosciences.

La première étape c’est « l’homme augmenté », nous y sommes déjà. Il s’agit de transformer radicalement le corps humain par prothèses et médications multiples pour vivre à l’horizon des 300 ans – certains agitent même le vieux rêve de l’immortalité physique.

Quant à l’esprit ou plutôt le mental, il s’agit d’augmenter ses capacités grâce à des implants connectés au cerveau, mettant directement à sa disposition, les mémoires et savoirs infinis des machines numériques.

Enfin, Les robots sont prêts à prendre progressivement la place des humains dans tous les secteurs d’activité. C’est une « machination » de grande envergure, car l’homme apparaît désormais obsolète ; seule serait préservée une caste de seigneurs pour régner sur ce système infernal – régression totale !.

Du coup, malgré un enthousiasme publicitaire de façade, l’engouement d’une partie de la jeunesse mondiale, et la frénésie des places financières, les dystopies se multiplient (4), fleurissent les scénarios de science-fiction apocalyptiques à la « Blade Runner »(5) :

Exit l’être humain ! à moins qu’il ne soit parqué dans quelques contrées lointaines et misérables, où il sera traité comme un esclave.
Quant à la bonne vieille Terre, tant malmenée en sa Nature précieuse par les désastres écologiques, on envisage de la quitter, en se lançant dans les voyages galactiques pour trouver une planète de remplacement – Elon Musk veut très sérieusement envoyer dès 2022 sur la planète Mars, des prétendants à cet exil d’un genre nouveau.

Voilà sûrement le pire cauchemar que l’humanité se passe actuellement en boucle ;
non seulement le chemin intérieur du désamour à l’Amour semble totalement oublié, mais le désamour reste seul en son omnipotence, au point de souhaiter la disparition complète de l’être humain, une sorte de suicide collectif technologique.

Devant cette disparition programmée, il semble qu’il n’y ait pas grand-chose à faire,
si ce n’est continuer le chemin ancien comme si de rien n’était, afin de préserver envers et contre tout, des poches de résistance intérieure, pour prendre soin de l’être humain et son chemin fragile d’évolution.

Une autre loi est à souligner : c’est dans les pires catastrophes de la folie humaine –  le transhumanisme en est une -, que l’histoire est là pour témoigner des sursauts de la Conscience / Amour. Cela semble très cohérent, puisque la Conscience et l’Amour viennent d’Ailleurs : ce sont des forces de la Transcendance qui aiment régulièrement intervenir pour veiller au maintien de l’harmonie éternelle du Cosmos, quand celle-ci est trop mise en danger par le désamour de l’homme. C’est un drôle de jeu cosmique qui dépasse complétement notre entendement ; les hindous l’appellent « la Lilà du Seigneur »(6)

(1) en grec aphorismos, du verbe ἀφορίζειν (« définir, délimiter »), est une sentence énoncée en peu de mots. Nietzsche, dans Humain, trop humain, pose que l’aphorisme doit être décodé par son lecteur, comme s’il contenait un message subliminal ou caché ; il parle alors de la nécessité d’avoir alors « une lecture lente » ou ce qu’il appelle « une rumination ». (citation tirée de wikipedia)
(2) Joseph Campbell : « Le héros aux mille et un visages » Oxus 2010
(3)Jean de la Croix « Nuit obscure, Cantique spirituelle » livre de poche Poésie/Gallimard
(4) une dystopie peut être considérée comme une utopie qui vire au cauchemar (wikipedia)
(5) « Blade Runner » célébre film de Ridley Scott en 1982 adapté du roman de Philip K. Dick : « Les Androîdes rêvent-ils de moutons électriques ? ».
(6) la « Lilà » est considéré dans l’hindouisme comme le ballet divin des âmes, c’est-à-dire une danse ou un jeu cosmique orchestré par les divinités.

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11 réponses à “Du désamour à l’Amour, en évitant le tranhumanisme”

  1. Philippe dit :

    « Et même si certains osent croire encore à une évolution possible de l’être humain vers la Conscience / Amour, comme Theilhard de Chardin, Aurobindo, Ken Wilber et Don Beck, cela ne provoque désormais qu’un léger sourire de commisération »

    commisération de qui ? rassurez vous, pas de vous quand même ? cela manquerait sérieusement d’amour :-) !
    Plus sérieusement, tout montre qu’il y a une évolution vers plus de complexité dans l’extérieur du réel et plus de conscience dans l’intérieur … que l’évolution ne soit pas linéaire, constance .. qu’il y ait des retour en arrière, c’est un fait. Mais il suffit d’examiner les 13,8 derniers milliards d’années pour se rendre compte que l’amour progresse …que la conscience progresse …
    En ce qui concerne lhumanité – le dernier livre de Steven Pinker – la part d’ange en nous – histoire de la violence et de son déclin est très bien documenté et est plutôt source d’espérance.
    chaleureusement – Philippe

    • Alain Gourhant dit :

      merci Philippe de votre commentaire et de son apport.
      Pour ce qui est de la « commisération » que l’on pourrait traduire par « compassion », oui, oui, cela vient de moi, c’est ce que je ressens pour ces grands penseurs de l’évolution, en particulier pour Ken Wilber, dont j’ai été à une certaine époque assez admiratif (voir sur mon blog les nombreux articles que j’ai écrit sur lui).

      Ma croyance actuelle, comme cet article le suggère ne va plus en ce sens, et je penche plutôt vers une vaste régression collective de l’humanité fondée sur le désastre écologique prochain, la régression de la pensée et de la conscience venant du monde virtuel, et du triomphe de la technoscience avec la venue rapide des prophéties du transhumanisme, c’est à dire la disparition programmée de l’être humain.
      Une fois cela posé, je ne me sens pas du tout dogmatique, ni voulant défendre « mordicus » ma vérité : c’est comme une suggestion, une manière de voir, qui accepte volontiers des points de vue différents comme le vôtre.

      Par ailleurs, je crois qu’au niveau collectif de l’évolution humaine, on ne peut rien dire de définitif et de sûr ; il y a comme un mystère qui nous dépasse venu d’Ailleurs – c’est le sens de ma conclusion, c’est aussi le sens de ma compassion pour tous ces intellectuels – Aurobindo y compris – qui ont transformé leur croyance évolutioniste en dogme ; et c’est l’espérance effectivement qui nourrit cette croyance à mon sens un peu infantile.

      Finalement, en ce qui concerne l’évolution, je ne crois qu’à l’évolution intérieure et individuelle possible, par un dur et long travail sur soi-même d’ordre thérapeutique, afin de passer de l’inconscience originelle à la Conscience puis à l’Amour. Cela je le crois d’autant plus, que je le pratique tous les jours non seulement sur moi-même, mais surtout dans mon métier de thérapeute.

  2. annity dit :

    C’est un article formidable. Je dois l’approfondir ainsi que les commentaires. Je suis d’accord avec vous deux, mais en tant que protectrice engagée dans la nature et sur le terrain, à mon tout petit niveau, (ce qui donne le sens de ma vie tout entière !), j’ajouterais que l’anti-spécisme actuel
    prôné par Aymeric Caron, Peter Singer, et autres journalistes et philosophes, (voir Frédéric Lenoir aussi), est très proche de la notion d’amour inconditionnel et totalissime : on aime le Tout, et on le défend. C’est très moderne et c’est un mouvement qui mériterait à être mieux développé et surtout connu, car il y en a pour toutes les consciences.
    Merci à vous, je vous aime fort !

    • Alain Gourhant dit :

      oui, bien sûr, Anny, je suis d’accord sur la signification que vous donnez à ce mot « antispecisme », comme la nécessité actuelle de penser toutes les espèces qui composent la nature sur Terre, comme un Tout qu’il nous faut révérer comme tel.

      Mais en même temps, je n’aime pas trop ce mot, d’abord il me semble laid, comme antipoétique, surgi d’une spéculation du mental inélégant de l’époque.
      Ensuite, c’est un mot dont le sens m’a semblé compliqué, j’ai mis longtemps à le comprendre.
      J’en suis resté, après consultation sur internet, sur sa signication principale, qui consiste à s’opposer à ceux qui prônent la supériorité de l’espèce humaine sur toutes les autres espèces – il s’agit bien sûr de s’opposer à la conception dominante d’origine judéochrétienne qui considère l’homme comme le principal porte-parole de Dieu, et dans sa continuité la conception de la modernité qui avec le triomphe de la technoscience donne à l’homme tout pouvoir sur la nature et les autres espèces.

      Bien sûr par rapport à ce sens je me sens « antispéciste » à fond, pire j’ai honte de l’espèce humaine, non seulement je ne considère pas qu’elle est supérieure aux autres espèces, mais au contraire elle leur est inférieure, au sens où elle ne répond pas dans son immense majorité à ce qui pourrait être sa vocation : par sa Conscience aimer et servir toutes les autres espèces et la Nature. En réalité, sauf exception, elle se comporte comme une vulgaire espèce prédatrice, la plus dangereuse des espèces, qui met dans son inconscience toute la planète et sa belle Nature en grand danger de destruction massive.

      Une fois que j’ai dit cela, il me semble toujours que le mot n’est pas très clair, pas très approprié. En fait, je reconnais l’existence de la multitude des espèces végétales, animales et humaine dans leur diversité et leurs différences et je cois qu’il nous faut commencer par reconnaître dans cette multitude, la spécificité de notre nature humaine, la plus dangereuse prédatrice, mais aussi porteuse d’une évolution possible vers la Conscience et l’Amour.
      Cela est une démarche qui n’est pas « anti ». Au contraire, « j’accepte » la nature de mon espèce humaine dans la prédation inconsciente (le désamour), pour prendre le chemin intérieur très difficile de son évolution nécessaire vers la Conscience / Amour.

      Une fois que cette étape est franchie, effectivement toutes les espèces sont réunifiées en un Tout : l’être humain le pire prédateur devient le grand amoureux, dont la meilleure représentation, je trouve, c’est Saint François d’Assise quand il est décrit si poétiquement par Christian Bobin dans son livre « Le Très-Bas ».

  3. MD dit :

    Bonjour, un rapide passage… pour un – dense et long commentaire* – de votre article :-)

    Si l’un des préceptes de Lao Tseu est : « À un homme qui a faim, ne donne pas de poisson, apprends-lui à pêcher »,
    l’aphorisme (tel que vous le définissez*) qui, à la fois résume et élargi plus encore votre article, me semblerait être :
    « À une humanité égarée qui court à sa perte, ne donne pas de direction, apprends-lui à Aimer»…

    • Alain Gourhant dit :

      merci MD, de nous rappeler la valeur suprême de l’aphorisme, bien loin des grands discours du mental toujours prêt au « trop ».
      L’aphorisme ouvre la porte à une sorte de méditation intérieure pour lui donner un surplus de sens. Nietzsche appelle cela une rumination, ce qui n’est pas mal non plus !

  4. annity dit :

    En vous lisant tous, je m’enrichis moralement. Oui, le mot anti-spéciste est mal choisi, mais il décrit une réalité vraie aussi. On pourrait dire non spéciste mais c’est kif kif. J’aimerais qu’on me traite d’unitiste en fait. Mais sans iste. Vous me suivez là ????
    Le « très bas », non plus, pas terrible, malgré tout le respect que je dois à notre ami Bobin et à François. Chaque être est moi, je suis nous. En physique quantique, un électron communique avec un autre à des milliers de kilomètres et nous rappelle à l’infiniment grand de l’infiniment petit. (C’est mal dit, pardon).
    Trouvez nous un terme unitaire, mes amis, au-delà de ces mots qui divisent, je suis personnellement pour l’unité de la Vie (et de la Mort). Vision du dessus des grandes philosophies et spiritualités au rappel ! Ah, je sais mal m’exprimer, alors sentez ce que je veux vous dire ????

    • Alain Gourhant dit :

      C’est tout à fait normal, annity, de ne pas pouvoir exprimer en mot ce que vous ressentez. Il n’y a pas de mot pour cela. C’est une expérience au delà des mots et du mental qui a créé les mots.

      Tous les maîtres spirituels ont eu ce problème de transmission de leur expérience de la transcendance, du Soi, du Un, de la non-dualité, etc, et c’est souvent leur silence, leur regard, leur présence qui a fait la différence, plutôt que leurs écrits et les grands discours.

      Se sentir Un avec Tout : impossible à transmettre par les mots : ils ne rendent compte de rien, ils sont à côté de la plaque, c’est la porte ouverte à toutes les interprétations frauduleuses du mental. Il faut en rester là avec cette incommunicabilité. Même les aphorismes, même la poésie achoppent sur cette impossibilité. au mieux ils peuvent tourner autour (du pot)…

      C’est pour cela que l’être humain est perdu : il fait trop confiance aux mots et au mental. Il faut le courage de s’enfoncer au-delà des mots, si l’on se sent attiré par une quelconque expérience spirituelle de transcendance.

    • wilhelm dit :

      insécable est un terme qui image énergiquement mais finement cette notion d’unicité, me semble-t-il, d’autant plus qu’il désigne en fait un espace entre deux mots, un blanc qui se lit en creux comme un interdit absolu à séparer, un lien invisible qui lie ces mots, les rendant interdépendants. Après avoir dit cela, je me sens tout petit petit et perdu également. Tout petit.

  5. annity dit :

    Voilà, c’est bien cela que je ressens : le Sans Mot. Le Sans Nom disait un sage.
    Nos mots divisent, fractionnent, hiérarchisent souvent, trop souvent.
    Même le mot Amour est devenu un phénomène humain.
    Je le remplace des fois par le mot Fusion. Fusion dans l’uni-vers. Unité.
    Certes, tout est individualisé, une particule fait partie d’un être global. Mais tout rejoint le tout.
    Le Rien s’immerge dans le tout au-delà de tous nos concepts humains qui sont tous dépassés par la grandeur de la vie, de l’Etre pour d’autres.
    Aimer mais c’est impossible, on tue tout le temps. Dès qu’on se déplace, on absorbe des êtres, on secoue des électrons, on mange de la salade, on écrase une fourmi.
    Aimer en ce sens ne veut rien dire : car on tue tous pour être. C’est une loi. Pour guérir d’un rhume, notre corps se bagarre, déjà. Bactéries et virus se font une guerre tout-à-fait naturelle et logique. Mais la logique nous échappe, comme je le disais pour la physique quantique.
    Aimer, pour moi, c’est accepter, se fondre dans, faire un avec. Accepter d’être mangée par des asticots à ma mort aussi, de toute mon âme. Je voulais me faire enterrer au pied d’un chêne pour lui apporter de l’engrais !
    Cet avis n’engage que moi, rires !

    • Alain Gourhant dit :

      « Le Tao que l’on peut nommer n’est pas le Tao absolu (…)
      L’indicible est à l’origine du ciel et de la terre,
      ce qui a un nom est la Mère de toutes les choses particulières… »

      Tao tö King 1
      Le vieux Lao-tseu avait compris le problème depuis longtemps !
      Ce n’est d’ailleurs pas un problème, on peut s’amuser aussi à tourner autour du Tao, avec de dérisoirs mots…
      Et heureusement que le vieux sage a été arrêté à la frontière alors qu’il se sauvait dans la montagne, et contraint d’écrire ses 81 poèmes qui nous émerveillent toujours.
      Comme quoi il y a quand même des mots qui nous rapprochent duTao !