Edgar Morin : vers l’abîme

Dans un article précédent consacré à Krishnamurti et aux neurosciences, il est question d’une mutation nécessaire de la conscience liée à un fonctionnement différent du cerveau humain – idée également développée par Martine Laval dans son livre « N’écoutez pas votre cerveau ».
Dans le même ordre d’idée, mais dans le domaine collectif plus qu’individuel – Ken Wilber parlerait d‘un quadrant différent –  il m’est apparu important de faire référence à  Edgar Morin, un des grands penseurs de l’époque actuelle, qui parle lui d’une métamorphose nécessaire à notre époque, s’en allant « Vers l’abîme ? » – titre d’un de ses derniers essais paru en 2007.

« Désormais les mots de réforme ou de révolution sont insuffisants, la seule perspective de salut serait celle d’une métamorphose. Comme nous l’avons dit (…) : quand un système est incapable de traiter ses problèmes vitaux, soit il se désintègre, soit il est capable dans sa désintégration même de se méta-morphoser en un métasystème plus riche, capable de traiter ses problèmes (…)

La désintégration étape nécessaire

Dans cette citation qui résume le processus de métamorphose, la première étape : c’est la désintégration – on pourrait dire poétiquement « l’abîme » ou le » désastre ». Il s’agit d’une sorte d’autodestruction d’un système, qui est une condition nécessaire à sa métamorphose.
C’est une idée importante qui apporte au processus d’évolution, tel que nous l’avons vu chez Ken Wilber ou Arthur Koestler, un complément de compréhension. En effet chez ces derniers, le passage évolutif d’un système à un autre se fait pour ainsi dire naturellement, en douceur, selon le principe intégratif de « transcender et inclure ».
Ici chez  Edgar Morin, ce passage est difficile, douloureux, dangereux, pire, il peut conduire à un désastre, une destruction généralisée synonyme de régression, à tel point que la métamorphose peut  sembler impossible. C’est un peu ce qui se passe dans la période actuelle :

Le système Terre est incapable de s’organiser pour traiter ses problèmes vitaux : périls nucléaires qui s’aggravent avec la dissémination et peut être la privatisation de l’arme atomique ; dégradation de la biosphère ; économie mondiale sans vraie régulation ; retour des famines ; conflits ethno-politico-religieux tendant à se développer en guerre de civilisation…
L’amplification et l’accélération de tous ces processus peuvent être considérés comme le déchaînement d’un véritable feed-back négatif, processus par lequel se désintègre irrémédiablement un système.
Le probable est la désintégration. L’improbable mais possible est la métamorphose
Article du journal Pluriel Nature n°87

La régression culturelle

Pour compléter ce tableau désastreux, il faudrait parler aussi des signes relatifs à une sorte de régression culturelle généralisée.
Il y a d’abord la culture dominante de la technoscience ; elle semble engagée dans une folle fuite en avant, dénuée de bon sens, de conscience et d’éthique. Edgar Morin dans son article du journal le Monde du 9- 10 janvier 2011 dit à ce sujet :

En 2010, la planète a continué sa course folle, propulsée par le moteur à trois visages mondialisation- occidentalisation- développement, qu’alimentent science, technique, profit sans contrôle ni régulation.

En effet, outre son matérialisme réducteur, la technoscience devient une culture de plus en plus dangereuse, par sa collusion douteuse avec le monde de l’industrie, dominé par les réflexes archaïques de prédation et de compétition au service du profit maximal de quelques uns.
Conjointement à cela, il faut parler de la culture de l’hyperindividualisme consumériste, envahissant peu à peu toute la planète et provoquant, entre autres,  une cassure de plus en plus grave entre une minorité de nantis repus et une majorité de pauvres, devenant de plus en plus pauvres, avec pour seul espoir : les exils de la faim, le repli sur les fondamentalismes religieux ou l’engagement dans le terrorisme suicidaire.
Que dire enfin de l’explosion de cette culture de la communication numérique, dont la plupart s’émerveille. Ne s’agit-il pas, outre la démocratisation incontestable du savoir sur internet,  d’une sorte de sous-culture de l’instantanéité émotionnelle pour adolescents – surtout dans les réseaux sociaux – où la puissance de réflexion de l’être humain semble reculer, au profit de messages de plus en plus courts et de plus en plus pauvres en terme de contenu ?

Avancer encore plus vers l’abîme ?

Alors, dans cette période sombre de la désintégration, comme il est difficile de voir à l’horizon quelques  signes de la métamorphose, faut-il conclure comme le fait Edgar Morin  en souhaitant un approfondissement, une aggravation de la crise, pour que quelque chose puisse enfin renaître des cendres du vieux monde ?

Dans l’état barbare actuel du monde, il n’est pas de solution actuelle qui serait vraiment vertueuse.
Il faut à la fois éviter le pire et aller dans la bonne direction : vers la société-monde et la Terre-Patrie.
Peut-être faudra-t-il avancer encore plus vers l’abîme pour qu’il y ait un véritable sursaut de salut, pour que la société-monde s’actualise en société des nations et des cultures unies contre la mort. a condition de n’y point sombrer, la catastrophe devient l’ultime chance.
Vers l’abîme

Mais au fond de cette abîme, Edgar Morin nous parle aussi de certains signes annonciateurs de la métamorphose encore possible ?
Ce sera le sujet du prochain article.

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4 réponses à “Edgar Morin : vers l’abîme”

  1. françois Butty dit :

    je me réjouis de lire le prochain article. Le phoenix est encore au fond du nid !

  2. Catherine B dit :

    On sent bien qu’il y a cette nécessité de toucher le fond pour qu’il y ait un sursaut de conscience, la mort est la meilleure amie de la vie comme disait Mozart!

    • oui, il s’agit du processus évolutif très ancien, que l’on retrouve dans toutes les traditions, de « mort et renaissance », processus que Stanislav Grof décrit très bien, en ce qui concerne la naissance de l’être humain.

  3. Pascal Caro dit :

    Ce penseur m’intéresse. Il se décrit lui-même comme pessimiste-optimiste ou son contraire. Il y a une vraie bonté chez cet homme-là qui s’intéresse beaucoup aux nouvelle émergences au travers le monde.

    Oui plus la catastrophe se précise, plus la solution pour en sortir se fait jour. Ce n’est pas un processus indolore et nous ne sommes pas du tout encore au fond du trou…