Edgar Morin : vers la métamorphose

Cette montagne, qui émerge des nuages et dont la cîme est couronnée de lumière, me parait emblématique de la métamorphose.

Dans un article du journal Le Monde du 9-10 janvier 2011, Edgar Morin nous livre cette belle citation poétique, tirée d’un proverbe turc :

Les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra

Les nuits, c’est la période actuelle ; nous avons vu dans l’article précédent, qu’elles sont souvent obscures, en proie aux forces de désintégration, flirtant avec l’abîme. Mais les nuits sont aussi enceintes du jour à venir, c’est à dire de la métamorphose possible. Ce mot est une métaphore, qu’ Edgar Morin affectionne particulièrement, pour nous parler de l’évolution souhaitable du monde  :

La métamorphose de la chenille en papillon nous offre une métaphore intéressante : quand la chenille entre dans le cocon, elle commence un processus d’autodestruction de son organisme de chenille, et ce processus est en même temps celui de formation de l’organisme du papillon, lequel est à la fois un autre et le même que la chenille. Cela est la métamorphose.

Cette métaphore, appliquée à la période actuelle, nous dit, que dans ce moment de grande obscurité, il y a des traces du papillon à venir.
Ce sont quelques unes de ces traces que je me propose aujourd’hui de vous montrer, en suivant Edgar Morin,  ce jeune homme de 90 ans qui, en compagnie de Stéphane Hessel (93 ans) tente de redonner du sens à notre époque, validant ainsi le point de vue de toutes les grandes traditions plaçant la sagesse du côté des anciens – cela fait du bien dans une époque de « jeunisme » décadent et débridé …

Pour une pensée complexe et globale

Il faut commencer par le plus important de la métamorphose : un changement radical dans la manière de penser – on appelle cela aussi le changement de paradigme. Edgar Morin est très clair à ce sujet ; il y a consacré 7 tomes dans son oeuvre philosophique principale « La Méthode » et il en fait un résumé efficace dans ce petit livre « Vers l’abîme » :

… vous devez aborder le complexe dans le sens littéral du mot complexus – ce qui est tissé ensemble. Blaise Pascal, au 17e siècle écrivait ce qui devrait être une évidence : « Toutes choses les plus éloignées étant liées insensiblement les unes aux autres, toutes choses étant aidées et aidantes, causées et causantes » – ce qui introduit déjà le sens de rétroaction. Pascal poursuit : « Je tiens pour impossible de connaître les parties si je ne connais pas le tout, comme de connaître le tout si je ne connais pas particulièrement les parties ». Pascal comprenait donc que la connaissance était une navette du tout aux parties et des parties au tout : c’est le lien, c’est à dire la capacité de contextualiser, de situer une connaissance et une information dans son contexte pour qu’elles prennent sens. Pourquoi pouvons-nous de plus en plus difficilement user de nos aptitudes cognitives…? Parce que nous subissons de plus en plus la marque de la pensée disjonctive, de la pensée réductive et de la pensée linéaire, alors qu’en notre ère planétaire les problèmes sont de plus en plus liés les uns aux autres. Nous avons retenu non pas ce que disait Pascal, mais ce que disait Descartes, c’est à dire qu’il faut séparer pour connaître.

J’ai exprimé cela à ma manière, déjà, sur mon site internet, en parlant de l’esprit intégratif et je vous renvoie à la lecture de ces pages, de même que dans un article du journal Santé Intégrative, j’ai décrit les quatre composantes essentielles de ce nouvel esprit : la vision holistique, la multidimensionnalité de la réalité, l’interdépendance et l’évolution vue sous l’angle de l’expansion de la conscience.
Il nous reste maintenant à parler de différentes déclinaisons que peut prendre cette nouvelle manière de penser dans différents domaines de la réalité. La liste n’est sûrement pas exhaustive et vous êtes invités à partager vos métamorphoses.

Le politique, l’économie et l’écologie

Edgar Morin semble en faire son principal cheval de bataille et il a raison, tellement ces domaines ont pris actuellement une importance considérable.
Il nous parle, comme un leitmotiv, d’une politique de l’humanité, afin de solidariser la planète et de prendre soin de la Terre-Patrie en grand danger ; il nous parle d’un système de gouvernance démocratique mondiale, au delà des égoïsmes des vieux états nations ; il en appelle à un civisme planétaire et à « une amplification des Nations Unies, ne se substituant pas aux patries, mais les enveloppant » ; il parle de la société- monde qui doit réguler le marché mondial selon des principes éthiques, et non le contraire comme aujourd’hui, où le marché mondial régule la société-monde sur des principes de prédation généralisée ; bref, « une politique confédérale planétaire doit se substituer à une politique impériale », dont il évoque actuellement quelques prémisses, comme par exemple le grand forum social mondial de Porto Alegre, qui s’est réuni en 2001 conjointement à la réunion de Davos des patrons de la grande industrie.
Au sujet de l’économie,  j’ai envie d’ajouter  le micro-crédit, ce formidable espoir venu du Bangladesh avec Mohammad Yunus, afin de redonner à la grande pauvreté – la honte de notre système politico-économique planétaire actuel -, un début de reconnaissance, de responsabilisation et de justice.
Il faudrait parler aussi  des entreprises citoyennes, et du business social, où des entreprises pionnières tentent de trouver un autre sens à la loi du profit maximal, pour réinvestir leur argent dans des activités sociales utiles ou des préoccupations environnementales.
Enfin au sujet de l’écologie, où il y a beaucoup d’initiatives formidables afin de sauver la nature, – notre Terre-Mère violentée par l’idéologie obsolète du combat contre la nature  – j’ai envie de citer ce passage poétique, avec lequel Edgar Morin termine son livre :

Depuis longtemps nous disons que la terre devrait être le jardin commun de l’humanité. Or ce qu’il y a de très beau dans le jardin, c’est la coopération entre la nature et la culture. Le jardin, c’est là où les deux coopèrent au lieu de s’entredétruire. S’y développe le co-pilotage de la nature et de la culture. C’est à l’échelle de la biosphère que les forces conscientes humaines et les forces inconscientes  de la nature devraient coopérer.
civiliser la terre, en faire un jardin, c’est une tâche gigantesque. Nous n’en sommes qu’aux préliminaires. Nous n’avons même pas encore conscience de cette patrie terrestre. Candide se retirait du monde en disant: « je vais cultiver mon jardin ». aujourd’hui avec le nouveau Candide, il faut dire en retournant au monde : « Essayons de cultiver notre jardin ».

Il y a encore beaucoup d’autres domaines où la métamorphose a commencé son travail, en particulier le domaine de la santé et de la médecine avec les pionniers que sont Thierry Janssen et David Servan-Schreiber: j’en parle  beaucoup sur mon site.
Mais il y a aussi le domaine de l’éducation, où Edgar Morin s’est beaucoup investi,
ce sera l’objet du prochain article.

 

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11 réponses à “Edgar Morin : vers la métamorphose”

  1. Thérèse Allart dit :

    Bonsoir…
    Je découvre ce soir cet article… Et, il me fait du bien… Merci!…

    Cela devient si difficile, parfois, de « chercher » « retrouver » « trouver » du sens et du « bon sens  » parfois, pour l’humain… et son avenir..

    Merci!…
    Bien respectueusement
    Thérèse

  2. Catherine B dit :

    L’abîme, ça veut dire le Palais de L’Esprit, c’est beau, hein?

  3. Catherine B dit :

    Non, non, ce n’est pas perso, ça vient d’une traduction de l’hébreu et ma foi, c’est fort vrai je trouve, non? c’est en se confrontant à l’abîme que l’on peut espérer com-prendre possiblement quelque chose! et l’esprit c’est la lumière qui sort de l’obscurité!

    • oui, tout à fait, c’est très beau et ça va complétement dans le sens de « mort et renaissance » : c’est au fond de l’abîme que l’esprit humain souvent se réveille et trouve une évolution favorable.

  4. Catherine B dit :

    oui, c’est bien cela qui est magnifique dans la vie, c’est que rien n’est jamais arrêté, figé, statique, tout est toujours dynamique si le souffle passe, et il n’y a qu’une seule objection contre la vie, c’est la mort réelle, l’arrêt du souffle. Aussi toutes les épreuves, éprouvantes comme toute nature d’épreuve peuvent être vécues comme des opportunités d’élargissement de conscience, et jamais aucune d’elle n’est une objection contre la vie, car la vie toujours, dépasse ce passage éprouvant sinon ça voudrait dire que les épreuves sont une objection contre la vie, c’est Bertrand Vergely qui développe cette idée dans un livre qu’il vient d’écrire, c’est très beau et très revigorant en cette période plutôt frileuse!
    J’en profite pour vous remercier du beau travail que vous faites Alain, vous êtes un embellisseur d’espace!

  5. merci catherine, je suis d’accord avec tout ce que vous dites, sauf : « …une seule objection contre la vie, c’est la mort réelle, l’arrêt du souffle. »pour moi, même l’arrêt du souffle est une continuité de la vie et même sa fine fleur, c’est une porte vers le Vide. D’ailleurs le yoga en parle et le pratique très bien en recherchant l’arrêt du souffle (kumbakha extérieur et intérieur), pour s’entraîner à ouvrir cette porte.

  6. Catherine B dit :

    Oui, alors ce sera l’oméga qui rejoindra l’alpha des origines pour aller au-delà de la forme dont nous sommes coutumiers, en fait une vraie méta-morphose comme l’intitulé de votre billet Alain.

    ça me fait penser à cette très belle phrase d’Eliot qui dit: « d’arriver là d’où nous étions partis et de savoir le lieu pour la première fois »

    Vous avez raison Alain, même la mort du souffle est une naissance à autre chose, il y a « juste » que la conscience s’est envolée, peut-être parce qu’alors nous ne sommes plus que lui, le souffle, il a pris toute la place dans le lit!

    Enfin, je dis ça mais j’en sais rien et tant mieux, je préférerai toujours le doute aux certitudes.

  7. oui, moi aussi, de toute manière je préfère le doute et le mystère; il y a une curiosité / émerveillement du mystère de la vie qui semble se jouer des formes et au delà des formes.

  8. Anne-Marie dit :

    La conscience m’a toujours interpelée. Je n’ai jamais été d’accord avec ce qu’on m’en disait : « caractère dérivé ancestral ou conscience de soi ». Ce soir 2 ans après cet article, suite à l’hommage à Philippe Pianetti, je viens donner ma conception.
    J’avais remarqué que « ma conscience » se déchirait lorsque, autour de moi, je pressentais un désastre, une souffrance. Souvent il m’était difficile d’intervenir puisque ça ne me concernait pas. Parfois, elle m’a réveillée. Je pense à ce jeune « marine »(américain) qui s’est opposé à la guerre en Irak en Février 2003, disant à G. Bush : « M.le président, je ne suis pas entrer dans les marines pour aller faire la guerre dans un pays …. » Tout de suite après, les journalistes ont parlé d’interpellation. Rien ne m’avait choqué alors que jécoutais les informations et au milieu de la nuit, elle me réveille. Je savais donc que je devais défendre le marine que j’avais vu sur l’écran de ma TV. Je suis donc allée sur le site d’Arte, je leur ai rappelé l’incident à N.Y. et je leur ai dit que si on ne laissait pas le jeune tranquille, on aurait la preuve que les USA ne savent pas ce qu’est la liberté d’expression, marque distinctive de l’occident. Ma conscience est là pour empêcher les dérives autoritaires. Mais je ne savais pas à quoi l’attribuer. Beaucoup d’incidents m’ont sollicitée. Et il y en a où je n’ai pas su, ou à qui m’adresser pour les résoudre pacifiquement, de façon juste.
    Jusqu’à jeudi dernier où je me retrouve, poussée par je ne sais quelle curiosité, dans un groupe biblique. Dur, dur. Le texte étudié était sur une feuille de papier, mais il est tiré de la bible. Un auditeur a posé une question. Qu’est-ce qui est 1er ? L’amour ou la foi ? Silence ou gargouillis. Plusieurs fois il pose sa question. Et j’ai répondu « la conscience est la preuve que Jésus vient habiter directement dans les coeurs »(c’était dans le texte). Et répondre ça, m’a fait prendre conscience qu’en effet, même si on ne le sait pas, Jésus peut habiter des coeurs. Le livre de F. Leiter-Flack « le laboratoire des cas de conscience » cherche dans la littérature mais ne m’a rien apporté. C’était trop « intellectuel ». Par contre la question de cet homme, qui a renouvelé plusieurs foi sa question, et moi qui lui réponds, alors que je ne suis pas religieuse, j’ai même en abhorration ces salamalecs… Je ne pense pas retourner dans un tel groupe.
    Mardi, juste avant le jeudi dont je parle, je me suis réveillée avec la question « que signifie cherchez le royaume de Dieu et sa justice ? » Et quelques heures plus tard je trouvais la réponse : C’est rendre le monde libre et gratuit.
    Je crois qu’il nous faut traduire ce monde pour les souffrants en mots compréhensibles, bienveillants, afin qu’ils retrouvent leur dynamisme, leur enthousiasme, leur confiance, leur liberté.

  9. Anne-Marie dit :

    Bien sûr, concernant le jeune marine il faut lire « liberté de conscience » et non liberté d’expression. Car c’est bien la conscience qui nous fait prendre des risques. C’est elle qui est habitée par Jésus. Et c’est elle qui m’a fait démissionner 4 fois de mes employeurs. Je ne le regrette pas, simplement je me suis cru instable.