Les entretiens de Millançay

Millançay, vous connaissez ?
C’est un trou perdu en Sologne, au milieu des petites maisons trop individuelles, des champs clôturés de barrières et de barbelés, avec partout des panneaux :  « propriétés privées, défense d’entrer ! » ou :  « attention chiens méchants« , sans parler de la forêt à proximité avec ses pancartes  « attention chasse gardée« , où l’on entend parfois au loin les coups de feu de la sale guerre contre la nature et ses animaux agiles.
Mais à Millançay,  il y a aussi, comme chaque année fin septembre, comme un miracle, une trouée de lumière, une parcelle de paix et de bonheur partagé, une parenthèse de grâce : tout converge,  sur une place du village entourée d’un champ transformé en vaste parking,  vers un grand chapiteau de toile blanche – le blanc est une couleur sacrée. Là se tient pendant trois jours, une superbe cérémonie de la plus haute importance : « Les entretiens de Millançay« . Tout converge : c’est à dire des centaines de personnes venues de tous les coins de France – mais aussi quelquefois de beaucoup plus loin -, des personnes venues en nombre, de plus en plus nombreuses chaque année, désireuses de savoir, de connaître, mais surtout d’être et de vivre ensemble selon de nouvelles manières, de nouveaux modes de vie, dont nous avons tant besoin en ces temps de grande Crise généralisée.
Et à chaque fois tout le monde s’en retourne comblé, nourri, rassasié, car les entretiens sont d’une rare qualité.

L’origine

Mais comment tout cela a-t-il commencé ? Ces entretiens ont vingt ans – cette année on en fêtait cet anniversaire. Un petit groupe d’hommes, des pionniers, sous la bannière de Philippe Desbrosses, se sont mis à rêver, à réfléchir, à vivre selon une nouvelle vision du monde et de la réalité qu’ils ont appelé l’Intelligence Verte.
Cela provenait d’un long travail qui avait commencé dès les années 70 autour de l’agriculture biologique et des produits labélisés « bio », à une époque où peu de gens en parlaient. Cela  venait aussi d’une pratique agricole sous de forme de stages de formation à l’agriculture biologique, dans la ferme de St Marthe, aux environs de Millançay.
Pour partager cette vision nouvelle, le groupe de pionniers a eu l’idée d’organiser chaque année ces fameux entretiens, et quand les idées sont bonnes et justes, alors « la mayonnaise prend », et se sont mis à converger peu à peu vers Millançay des gens importants participant du renouveau de la pensée et de la vie, en ces temps de grande Crise généralisée (Edgar Morin, Jean-Marie Pelt, Pierre Rabhi, David Servan-Schreiber, Coline Serreau et beaucoup d’autres).
Cette année le thème choisi était consacré au bonheur possible en ces temps troublés : « Vivre heureux, c’est possible ! » : et nous fûmes comblés, ce fut un grand crû.  Voilà dans le désordre, de manière non exhaustive, des phrases, des mots, ou quelques pensées personnelles, venues prendre place sur mon carnet de notes, durant ces entretiens :

Les entretiens de 2011 : samedi 1er octobre au matin

Il est venu Gauthier Chapelle, ingénieur biologiste, théoricien du biomimétisme et fondateur de Biomimicry Europe  il a pris le micro et il a dit  :
« La forêt est une biosphère en interdépendance, un système qui s’auto-régule de lui-même, sans cerveau centralisé » … « La nature a déjà solutionné une grande partie des problèmes qui se posent à nous« , il suffit de s’ inspirer de la nature,  de se mettre à son école, à son écoute, de l’accompagner dans son intelligence, plutôt que de vouloir la combattre, la contrôler, la dominer, la détruire…

Il est venu Daniel Rodary, coordinateur à Biomimicry Europe, il a pris le micro et il nous a parlé des « Arbres sauveurs » – quel beau titre ! – en particulier ces noyer mayas qu’il a décidé de planter avec une ONG, en Haïti, « parce que ces arbres forment un système en boucle fermée qui s’enrichit tout seul, un cercle vertueux… »  enrichissant les hommes au passage grâce aux vertus de cette noix nourricière et à l’effort de responsabilisation proposée par l’ONG à la population locale pour entretenir cet « arbre sauveur ».

Il est venu Marc Grollimund, il a pris le micro et il a parlé du « jardin  mandala » de forme circulaire, qui dégage « une puissance vitale, une énergie supplémentaire » permettant aux végétaux qui le composent de s’épanouir dans la beauté, « source d’inspiration qui soigne, si l’on prend le temps de se laisser guider pour recevoir les messages subtils de la Nature ».

Elle est venue Sophie Rabhi, la fille du célèbre philosophe et agriculteur  Pierre Rabhi. Elle s’occupe d’un éco-village en Ardèche, le hameau du Buis, où vont apprendre à vivre ensemble personnes âgées, enfants d’une école Montessori, agriculteurs bio et éco-constructeurs, une expérience communautaire pour « créer les conditions de l’émergence de l’enfant naturel, le parfait de l’homme ».

Elle est venue Martine Laval, auteure du livre « N’écoutez pas votre cerveau, comment rester sain dans un malade« , elle a pris le micro et elle a dit : « il s’agit pour chacun de nous, de sortir de ce  piège du primate, de se déconnecter du primate », elle a ajouté :  « la prédation, même sophistiquée de notre société actuelle de consommation, mène le monde, c’est une des raisons pour lesquelles il est tellement malade « , et encore: « il s’agit de trouver sa spécificité sans se comparer à un autre, trouver la note de musique pour laquelle chacun est fait ».

Il est venu Albert Jacquard, immobile, inspiré, les yeux grand ouverts sur une autre dimension, avec toute la sagesse du grand âge, il a pris le micro et il a dit : « La mort, c’est un cadeau fait par l’inconcevable… » puis il a ajouté : « notre espèce est une création fabuleuse, il nous faut sortir du gâchis actuel et créer du neuf, créer et pas seulement nous reproduire » et encore : « à Millançay, on s’entretient, c’est à dire qu’on se tient entre individus ; je suis celui celui qui crée des liens avec les autres« , puis il a raconté cette histoire où il participait à une manifestation avec les sans- papiers : « il criait : « des papiers pour tous ! », puis tout à coup il a eu une illumination et il s’est dit : « des papiers pour personne, zéro papier pour tous, supprimez le nombre et vous avez la qualité ! »

Le soir, après le succulent repas bio du Chef Jean Montagnard et du Centre ayurvédique Tapovan, la navigatrice Isabelle Autissier nous a fait monter dans son voilier pour parcourir avec elle les mers, bercés par les vagues de sa poésie lumineuse, dans un spectacle sous forme de conte musical « Une nuit, la mer… »
J’ai aimé cette présence de l’expression artistique et en particulier de la poésie venant prendre place dans la construction de ce bonheur nouveau.
La suite, dans le prochain article…

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Une réponse à “Les entretiens de Millançay”

  1. DESBROSSES dit :

    Merci! Alain,

    Pour cet hommage à nos ENTRETIENS et pour la verve et l’humour…

    Cordialement.

    Philippe Desbrosses.