Samedi 1er octobre, l’après-midi
Il est venu Jean-Marie Pelt, biologiste, botaniste, pharmocologue, écologiste de la première heure, il a pris le micro et il a dit haut et fort de son regard toujours rieur, en présentant son dernier livre « Heureux les simples ! » à propos de la vies des saints qu’il révère pour leur amour inconditionnel de la nature, des hommes et de dieu :
« A l’heure où les seuls modèles proposés aux gens sont les stars médiatiques et les milliardaires, j’ai pensé que la vie des saints seraient un excellent antidote, surtout qu’ils ne sont pas tristes « . Puis disant quelques mots sur ses héros il dit : « Saint Thomas d’Aquin, c’est l’Edgar Morin du 13e siècle ! A la fin de sa vie, il aurait dit : de Dieu, personne n’a jamais rien su ! ».
Je vais m’offrir bientôt ce livre, car il emprunte des chemins de traverse et tous les chemins de traverse me sont importants.
Il est venu Edgar Morin, sociologue, philosophe de la complexité du monde actuel, tissant des liens entre tous les domaines de la connaissance, il a pris le micro et il a dit haut et fortavec sa fougue habituelle d’un jeune homme de 90 ans :
« Nos raisons d’espérer sont inséparables de nos raisons de désespérer, La où croit le péril, croit aussi ce qui sauve, c’est le poète Hölderlin qui a dit cela » ; puis il a ajouté : « La régression progresse, les experts sont des somnanbules qui entretiennent le somnanbulisme collectif, l’intoxication de la consommation, la platitude du ronron quotidien. C’est dangereux une époque agonique, mais elle appelle la métamorphose : il y a les forces libertaires de la jeunesse comme dans les pays arabes, il y a toutes les déviances qui s’appuient sur le pouvoir de la communication, les forces de la libération de l’information. »
Il a terminé par cette phrase d’une grande poésie : « Que le fracas de l’arbre qui s’effondre, ne nous fasse pas oublier le murmure de la forêt qui pousse ».
il est venu François Lemarchand, patron des magasins « Nature et Découvertes », il a pris le micro et il a dit haut et fort :
» Je suis devenu agriculteur. Je viens de créer une ferme en Normandie de 2000 m2 en « permaculture » qui peut faire vivre cent vingt familles. Je la veux comme une ferme modèle alternative à essaimer. Les gens de la ville vont sauver l’agriculture.«
Dimanche 2 octobre, au matin :
Il est venu François Plassard, ingénieur agronome, docteur en économie, co-fondateur des entretiens de Millançay, créateur d’une association autour des auto- eco- hameaux, il a pris le micro et il a dit haut et fort :
« On ne commande à la Nature qu’en lui obéissant. » ; « Il s’agit de donner de l’intelligence à l’agriculture qui ne compte plus que 500 000 paysans. L’ Intelligence Verte peut redéfinir la rivalité face à la ville. Par le désir de campagne, l’agriculture va gagner autant de néo-ruraux qu’elle a perdu de paysans. » ; « Nous sommes à la veille du 4e grand effondrement. Après le 1er, il y a eu la conquête de l’Amérique ; après le 2e, il y a eu la guerre 14-18, après le 3e : la guerre 39 – 45. Il nous faut trouver actuellement un autre avenir que la guerre, chercher l’effet papillon d’une Métamorphose ».
Ils sont venus Brigitte et Patrick Baronnet, elle a joué de sa harpe pour mettre des gouttes de rosée avant les mots, puis il a pris le micro et il a dit haut et fort :
Nous étions parisiens. Très tôt, dans les années 60 – 65, nous nous sommes dits que la planète était mal partie dans l’indifférence et l’inconscience générale de tous et en particulier des politiques. Nous sommes partis alors vers la campagne pour expérimenter et mettre en pratique un autre mode de vie, poétique et scientifique à la fois, afin de donner des réponses les plus simples et les plus économiques.
Nous avons construit la Maison autonome pour montrer que l’argent n’est pas notre première ressource, mais nos bras et notre imagination – créativité. Au niveau de l’alimentation, nous sommes autonomes avec un potager de 600 m2 ; en ce qui, concerne l’énergie, 6 m2 de photopiles et une éolienne font l’affaire, pour l’eau, nous récupérons l’eau pluviale. Il nous a fallu l’audace et le courage pour nous déconditionner. En 1997, à la journée porte ouverte, 5000 personnes sont venues. Les médias ont commencé à s’intéresser à nous. Nous organisons des séminaires, des stages de formations, des conférences ; ainsi devant le sénat, j’ai appris aux sénateurs comment faire des toilettes séches, comment faire dans sciure « .
Dans la vie le maître mot c’est « oser ».
Il est venu Patrick Viveret, magistrat honoraire de la cour des Comptes, philosophe hors des sentiers battus, auteur de nombreux ouvrages, dont le « Rapport sur la richesse« , il a pris le micro et il a dit haut et fort :
J’ai eu vingt ans en 68 à Nanterre. J’ai attrapé le virus de la philosophie très tôt, mais je ne voulais pas être un prof enfermé entre les quatre murs d’une classe. Michel Rocard m’a nommé à la Cour des Comptes pour une évaluation des politiques publiques. Il fallait réfléchir à des outils de l’intelligence démocratique pour éviter la confiscation du pouvoir par les experts. Le pouvoir institutionnel ne peut agir que s’il est en lien avec la société civile. Ce fut une histoire de blocages. Il a fallu inventer le jiu-jitsu de masse, les arts martiaux de l’action citoyenne et repérer les points faibles du partenaire adverse, le ministère des finances et son arrogance. Inventer une stratégie de contournement, de lâcher-prise, trouver des liens avec la philosophie, montrer comment il y a des contes derrière les comptes. L’humour est un moyen déterminant pour sortir d’une situation de contrôle.
L’empreinte écologique, c’est d’abord l’empreinte egologique. Il faut trouver des pratiques individuelles et collectives pour réduire l’empreinte egologique.
Heureux celui qui ne sait rien de lui-même, parce qu’il n’a pas fini de s’amuser !
Réflexions
Quelques réflexions me viennent suite à ces interventions :
L’allusion au bonheur, au fait d’être heureux fut finalement discrète. Au contraire j’ai trouvé une certaine gravité dans la plupart des propos : il n’échappe à personne que nous vivons une époque sombre ; l’heure est à l’effondrement d’un Système collectif, social, planétaire et les souffrances présentes ou à venir sont comme un océan – comme dirait le bouddha – qui nous enveloppe. Il serait presque indécent d’afficher le bonheur, sans la conscience des temps sombres que nous traversons.
Néanmoins, la plupart des intervenants l’ont souligné, il y a des raisons d’espérer, comme l’indique d’ailleurs très bien le livre récent de Stéphane Hessel et Edgar Morin : « le chemin de l’espérance ». Au fur et à mesure que la nuit gagne, des pionniers préparent activement le retour de l’aube.
Il y a un chemin d’espérance important, sur lequel ces entretiens ont insisté, c’est celui d’un retour nécessaire à la Nature, en créant en particulier un réseau de fermes modèles autosubsistantes, basées sur la culture biologique vivrière avec une sorte de philosophie pragmatique « l’intelligence verte ». C’est l’espérance et l’expansion actuelle de la néo-ruralité, c’est à dire ce mouvement qui s’amplifie de gens qui quittent les grandes villes devenues de plus en plus invivables, pour vivre autrement en harmonie avec la nature et avec les autres. C’est peut-être cela une des possibilités d’être heureux : la renaissance du mouvement alternatif de retour à la campagne, trente ans après les essais balbutiants des années 70, avec toute la maturité des expériences accumulées.
L’autre enseignement de ces entretiens, c’est qu‘il y a la possibilité de niches de bonheur partout, à tout propos, dans le moment présent, dès que des êtres humains se rencontrent et se regroupent pour partager avec bienveillance, curiosité et humour les expériences de leur vie. Le bonheur est d’abord intérieur dans une certaine disposition d’esprit, une ouverture, qui peut faire rapidement tâche d’huile dans la rencontre et le partage du groupe.
Les entretiens, c’est aussi expérimenter cela, en particulier dans les entre-deux, entre les conférences, pendant les repas, pendant les pauses, lors de l’hébergement souvent chez l’habitant, quand les clowns interviennent, quand spontanément un cercle d’énergie se forme avec tout le monde, promesse de bonheur toujours possible, si loin de l’émiettement triste des foules urbaines qui n’osent plus se regarder que par écran interposé.
Tags : agriculture, ecologie, Edgar Morin, nature, philosophie, terre, ville