Pause poésie :
si je vous présentai aujourd’hui un vieil ami,
un vieil ami en poésie,
il s’appelle Guillevic
je le fréquente assidument depuis très longtemps.
Même s’il est passé sur l’Autre Rive en 1997,
ça ne fait rien,
il est toujours là, présent, pour un rendez-vous de poésie :
j’aime ouvrir tout grand ses livres au hasard,
pour parcourir le blanc des pages
et découvrir la pépite d’or qui me transporte là-bas, au-delà,
en cette autre dimension de la conscience,
dont Guillevic était un fervent résident.
J’aime aussi lire tout fort ses poèmes,
ils sont riches de ce silence,
où les mots virevoltent avec bonheur,
comme dans de l’eau vive.
Quelque chose me plaît encore dans la vie de mon ami :
il a eu le privilège de naître à Carnac dans le Morbihan,
ce haut lieu sacré, épicentre du « triangle d’or atlantéen » en Europe,
– de Locmariaquer à Erdeven, en passant par Carnac.
C’est là qu’il a écrit la majeure partie de son oeuvre,
là, où il est parfois encore possible de recevoir les messages
de la plus pure poésie,
par l’intermédiaire de ces pierres levées vers le ciel.
Car la poésie de Guillevic est inspirée du ciel,
c’est une poésie éminemment spirituelle,
tout en étant bien enracinée dans la rugosité d’une terre granitique.
Quant au style, il est simple, pauvre, dépouillé, épuré, évidé,
il se plaît à laisser place au silence souverain de la page,
ainsi qu’il nous l’explique dans un entretien intitulé « Vivre en poésie » 1980
De toujours, le silence a été pour moi vital. Le bruit me fait mal ; le silence physique, l’absence de bruit me sont un bonheur et une nécessité. (c’est une des raisons de mon inadaptation à la ville).
J’ai aussi été attiré par le blanc sur la page. Le blanc, je veux dire le silence.
J’ai déjà défini la poésie : les noces de la parole et du silence. C’est pécisément cette inclusion du silence dans les mots qui distingue le poème de la prose. La difficulté est de faire entendre le silence, de le faire sentir. Je dirais même de le toucher. J’ai essayé dans maints poèmes…
Il dit aussi :
« A la base de toutes les religions, il y a un grand texte poétique (…)
Toute religion est une poésie qui a trop bien réussi
et qui par là même s’est figée, s’est sclérosée. »
Finalement que nous manque-t-il en cette époque cacophonique et confuse,
égarée dans son labyrinthe virtuel ?
Il nous manque un grand Poème qui éblouirait le monde de sa lumière
pour nous rappeler à l’harmonie de vivre,
un grand poème d’écologie spirituelle
pour nous sauver in extremis du désastre,
en nous reliant à l’essentiel.
J’ai cru par moment percevoir chez Guillevic certaines racines de ce Poème.
Voici un extrait du dernier recueil de son vivant
« Possibles futurs » paru en 1996,
on le trouve dans la collection de poche « Poésie / Gallimard ».
Je fore
Je creuse.je fore
Dans le silenceOu plutôt
Dans du silence,Celui qu’en moi
Je fais.Et je fore, je creuse
Vers plus de silence,Vers le grand,
Le total silence en ma vieOù le monde, je l’espère,
Me révélera quelque chose de lui.
C’est le silence
Qui m’apporte, qui me donne
Le souffle du monde.Il me permet
De me connaître en luiA l’écoute
De mon être
Tel que je le pressens.Il m’ouvre une porte
Sur un espace de calmeOù s’éclaire la présence
Indispensable.
Je me vis au plein
De la sphère de silenceQue je parviens
Même parfois dans les bruits,A créer autour de moi
Tellement mon êtreSait donner de lui-même
Pour créer le royaumeOù je communie
Avec la teneur de ce silence,Avec sa sève
Qui est aussi la mienne.
Dans mon royaume,
Pas d’arbres, pas de maison,Que le silence
Et ce qu’il m’encourageA lui apporter par ma présence,
Mon désir.Nous restons ainsi
A jouir l’un de l’autreComme font le ciel
Et sa charge d’azur.
Les bruits ? les vaincre,
Les éloigner, les oublier,C’est tout mon savoir
D’éteignoir de bruits.Je puise
Dans ma réserve de force
Au fond de moi-même.Je ne gagne pas toujours.
aux abords du royaume,
Je résiste.
Je sais parler
Au rossignol.La preuve
Il me répondEt son chant
Entre dans mon royaume.Nourrit le silence.
Que viens-tu faire, poème,
Dans le royaume ?Je viens pour approfondir
Le silence,Pour t’emmener au plus pur de lui,
Là où il te fait vivreL’espérance que le monde
A de son avenir, làOù il trouve
Ce que tu attends de lui et de toi :la fusion.
Bonheur
De se voir arrivé
Au centre du royaume.Alors, on écoute
Tout en regardantUne lumière
Eprise d’elle-mêmeQui nous porte
Le silence et moi.
Tags : poésie
Merci pour cette belle découverte,
Bonne soirée
Merci Alain …Merci Guillevic…
belle découverte que ce poème
le silence, parfois si difficile à trouver, quand les ruminations, l’ego bouscule, et anime encore plus ce qui est dejà de souffrance dans ce monde
Aller vers le silence, c’est aller vers soi et le lâcher pour s’ouvrir encore plus aux autres, laisser place à ce qui est là
Le silence, c’est ne pas avoir peur et donner place à l’univers infini.
Merci pour le partage Alain.
En cherchant d’autres poèmes d’Eugene Guillevic, je suis tombé sur ce magnifique poème de Roberto Juarroz, très en phase avec ton article… ce sera mon poème de ce jour… comme un coup de vent silencieux nous faisant vibrer au plus profond… :)
marko
Etre.
Et rien de plus.
Jusqu’à ce que se forme un puits en-dessous.
Ne pas être.
Et rien de plus.
Jusqu’à ce que se forme un puits au-dessus.
Ensuite,
entre ces deux puits,
le vent s’arrêtera un instant.
—
marko
http://markoluth.wordpress.com/
http://unmultiple.wordpress.com/
Merci Marko de nous rappeler à la poésie de Juarroz – nous en avons déjà d’ailleurs parlé sur ce blog -, c’est aussi une poésie du silence, c’est à dire une poésie authentique, au sens où les mots conduisent dans cet espace intérieur où il n’y a plus de mot possible, où c’est le silence.
Aussi, cette poésie, que j’appelle authentique, se rapproche par sa lecture d’une expérience méditative ; c’est un chemin, parmi d’autres chemins, pour nous conduire vers un état de conscience supérieur, au delà du mental, qui lui n’est capable que de générer sans cesse des mots, c’est à dire du bruitage.
Pas étonnant alors, que la poésie actuellement n’attire pas grand monde, puisque ce monde se caractérise surtout par le bruitage dans une excroissance incroyable du mental en pleine effervescence.
Bonjour,
une oralisation musicale de ce texte ici :
http://fuegodelfuego.blogspot.fr/2014/11/du-silence-deugene-guillevic-lu-par.html
amitiés poétiques,
Laurent Bouisset