Hommage à Philippe Pianetti

Voici ce très beau texte que Philippe Pianetti a écrit en 2008 au sujet de son art, la photographie :

J’aime photographier en bordure des chemins ou sur le bord des routes.
J’aime être sur le bord des choses,  cela me permet en fait de n’être nulle part. Mais être nulle part c’est malgré tout être dans le monde.
Je me rappelle alors ce que disait le photographe Luigi Ghirri, quand il parlait de toutes ces routes qui parsèment l’Emilie-Romagne : « Le strade sembrano andare nello stesso punto e quindi da nessuna parte » (Les routes semblent aller vers le même point et donc vers aucun).

Je travaille dans une sorte d’errance volontaire qui me permet de faire l’expérience du monde. Faire l’expérience du monde ce n’est pas choisir un pays plutôt qu’un autre, un lieu plutôt qu’un autre : c’est se perdre un peu, se perdre assez pour éprouver le court moment de sa présence au monde.

Lorsque je photographie, je deviens immobile et silencieux, je m’efface afin que l’instant de la prise de vue soit un moment où l’expérience physique de ce qui m’entoure puisse exister.

De cette expérience vient alors la sensation de mon appartenance au monde, de ma prise de conscience d’être au monde.

Photographier n’est pas seulement faire acte de témoignage; l’acte photographique est une manifestation de l’expérience humaine et c’est aussi une volonté de prendre part à ce qui se passe dans l’ici et le maintenant. Photographier c’est : (comme le dit si bien Peter Handke en parlant de l’acte d’écrire) : « Regarder ; absorber ; être absorbé. »

Mes photographies sont ce qui reste de cette confrontation, et il s’opère l’espace d’un instant sur leurs surfaces, un contact, un frôlement entre un regard et le monde; Un regard qui essaie d’interroger le visible et qui tente de rejoindre et d’atteindre les choses qui lui font face. Ne reste alors qu’un document photographique qui porte en lui les traces tangibles d’une réalité fragile et vulnérable.

Aujourd’hui encore, je continue mon petit bonhomme de chemin .

Le risque d’être ainsi « au bord du chemin »,
c’est de passer de l’autre côté, de l’autre côté du bord.
Ce risque Philippe l’a pris un jour du 4 mars 2013,  du côté de Honfleur,
il est passé de l’Autre Côté
il s’est effacé, il s’est éclipsé du chemin de Terre,
pour s’en aller là-bas, vers la Mer, de l’autre côté de l’horizon,
là où la mer aime s’amuser avec le ciel
pour ouvrir par endroit des brèches de Lumière.

Philippe a laissé derrière lui une exposition de ses photos,
à La Garde dans le Var du 23 mars au 19 avril 2013
certaines de ces photos sont visibles sur son blog
de ces photos, qui témoignent du bord du chemin,
quand on est nulle part, au delà de l’espace-temps
et dans l’ici – maintenant,
quand c’est le ciel et ses ailes de nuages,
quand c’est la mer et ses caresses de vagues,
qui vous accueillent et vous bercent
pour vous récompenser de votre présence.

Du coup ces photos sont d’une densité extrême,
un témoignage d’ici et de Là-Bas :
les murs qui nous enserrent sont abolis,
les barrières du chemin sont grande ouvertes
une digue s’en va résolument vers les hauts fonds,
il y a un  trou de lumière et d’amour dans le ciel qui lance des flammèches.

Il faut bien que certains, en cette époque de grande matérialité bornée,
prennent le risque de nous indiquer ainsi
ce chemin au bord et au delà du bord,
pour l’intégration sacrée du visible et de l’invisible,
pour les noces de la mer et du ciel,
pour le Vide qui nous enserre de son tonitruant silence.

Philippe nous te remercions pour ton courage
et nous brandirons haut et fort tes images
pour qu’elles nous aident à Voir.
Je suis heureux que tu sois sur ce blog, dont les articles sont quelquefois comme des bouteille lancées à la mer
pour nous donner le goût de son roulis sacré,
le sens de son éternité.
Puisses-tu nous insuffler l’évidence de tes images
l’héroïsme de ton chemin,
encore une fois, je te remercie du plus profond du coeur.

 

Son épouse, Sabine, m’a confié aussi ces quelques mots qui brillent  comme des diamants :

Philippe était un contemplatif.
Être au monde dans l’instant et le savourer de tout son être,
c’était ça l’essentiel.
Le quotidien avec lui était donc une poésie sans fin…
qu’il fallait savoir apprécier,
ce que j’avais  appris à faire au fil du temps passé à ses côtés ;
la vie était alors si simple et si belle.
Ses cadeaux étaient de tous les instants.
Il captait la lumière, l’apprivoisait
et la donnait à ceux qui voulaient bien la recevoir.
Un être de lumière
travaillant dans l’ombre, dans l’humilité, la discrétion, l’humour pince-sans-rire.
Toujours là, présent à coté de nous à travers ses photos, ses écrits, ses objets, sa peinture,
présent en chacun de nous qui l’aimons.

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4 réponses à “Hommage à Philippe Pianetti”

  1. Bonsoir,
    merci de tout coeur pour Philippe, pour Sabine, son fils Rémy, sa famille et ses proches et pour cet hommage à son travail. C’était mon meilleur ami, je vous envoie le texte que j’ai écris et lu le soir du vernissage de son expo.
    Amicalement.
    Aubin Chevallay.

    Mon cher Philippe, j’écris ce texte pour que l’on regarde encore une fois tes photos.
    Depuis près de vingt cinq ans, nous nous sommes frôlés, toujours avec la même certitude , ce regard qui s’arrête, qui n’a besoin que d’une surface pour laisser respirer le monde, et qui n’a surtout pas besoin de mots, juste à essayer de savoir pourquoi il fallait que tu prennes ceci en photo et pourquoi moi, je devais peindre cela.
    Tu n’as jamais dévié de ta route, tes voyages étaient ta liberté, et tes images rendent libres le temps d’un regard et longtemps encore après pour ceux qui savent les voir, parce qu’elles savent rester dans la tête et surtout dans le cœur, ta lumière, cette matière photographique, cette curiosité du détail, ta pudeur, cette retenue, et ces horizons plus ou moins proches qui resteront pour moi les plus mystérieux et les plus incompréhensibles! Tu étais, et c’était – entre nous- une très grande qualité, la personne la moins « sérieuse » que je connaisse dans la vie, mais je crois que la discipline et l’humanité que tu mettais dans ton travail pouvait, (en toute modestie), largement se tenir responsable la terre entière.
    Voila mon cher Philippe, cette dernière image que tu as peut être prise depuis cette digue, et je pense qu’elle devait en valoir la peine, personne ne la verra jamais, mais moi, je garde celle de toi, de dos, les bras repliés sur cet objet presque inutile selon toi, la tête légèrement baissée, face a ton sujet, ou lui face à toi, tous deux imperturbables.

    Une fois, tu m’as dit sérieusement : « l’essentiel aura été fait ».
    L’océan t’a emporté, comme ta Mer du Nord a pour moi, si bien su le faire.

    Ton ami Aubin, Ile Maurice, 6 mars 2013.

  2. Nadia dit :

    Comme ces mots magnifiques ont du réchauffer le coeur de Sabine ! Ce soir c’est à toi, Sabine, à qui je pense très fort.
    Philippe et toi je vous connais depuis si longtemps. L’école nous avait réunis puis la vie et le temps un long moment éloignés. Et l’art, et le has”art”, nous avait fait retrouvés.
    C’était à un moment très difficile pour moi. Mais vous étiez là et la vie était là.
    Il fallait continuer, oui continuer son petit bonhomme de chemin.
    Alors ce soir Sabine, n’oublie pas que le chemin continue; même s’ il va te sembler plus difficile il sera toujours aussi beau car à jamais éclairé par la présence lumineuse de celui qui a partagé un moment du voyage de la vie avec toi.
    A très bientôt, Sabine.
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    • Que des beaux messages !
      Ce sont les messages du coeur,
      ce sont les plus beaux,
      il n’y a rien à ajouter,
      on sent au fond de soi les larmes prêtes à couler,
      ce ne sont pas des larmes de tristesse,
      ce ne sont pas des larmes de joie,
      ce sont les larmes du coeur,
      elles sont là comme des perles que l’on cachait au fond de soi,
      et nous continuons chacun notre petit bonhomme de chemin,
      mi étonnés, mi émerveillés
      face à cette vie qui flirte si fort avec la mort
      à chaque instant.

  3. sabine dit :

    Merci
    Je dis et redis ce mot .
    Tant d’amour partagé ne peut que me réconforter et apaiser la souffrance causée par l’absence physique de l’être aimé
    Synchronicité, communion…
    Je repense au livre de F. Hallé « l’éloge de la plante » où il compare le végétal à l’animal: la feuille est à l’arbre ce que l’individu est au groupe; elle ne peut exister seule et par elle même mais est en complète interaction avec l »entité arbre (photosynthèse, lumière – nourriture) de même que l’individu animal est en complète interactivité avec le groupe… nous l’oublions trop souvent dans notre société hyper-individualiste.
    C’est pourquoi je suis heureuse d’appartenir à un « groupe » d’individus aimants et solidaire