Les Moaïs de l’île de Pâques, qui se dressent debout, plantés fièrement dans le sol, le visage grave contemplant le lointain, sont l’exception : soit ils se trouvent réunis sur les flancs du volcan Ranu Raraku, leur lieu de fabrication – comme j’en ai déjà parlé précédemment -, soit ils ont été restaurés récemment par la volonté d’archéologues et d’hommes passionnés, comme le célèbre suédois Thor Heyerdahl qui redressa un moaï près de la plage d’Anakena – exploit qu’il raconte dans son livre Aku Aku -, ou comme les 15 célèbres moaïs de Tongariki remis en place par une entreprise japonaise, et qui a fait craindre quelques temps la transformation de l’île de Pâques en un vaste Disneyland.
En fait, la plupart des Moaïs sont cassés, brisés en morceaux, disloqués, gisants à terre un peu partout sur les pourtours de l’île, au milieu des pierrailles et des débris d’une terrible destruction, qui a fait coulé beaucoup d’encre. Que s’est-il donc passé pour aboutir à un tel spectacle de désolation ?
Peut-être pouvons-nous parler au sujet de cette ‘histoire tragique de l’île de Pâques, du cycle « d’évolution – involution – destruction » d’une civilisation, d’un peuple et de sa culture, cycle qui actuellement nous parle particulièrement par rapport à la culture occidentale devenue planétaire, comme si le destin de cette petite île pouvait résumer en condensé, l’histoire actuelle de l’espèce humaine au niveau de la planète, comme un miroir plein d’enseignements.
On peut brièvement décrire trois phases à ce cycle :
La période de croissance et de prospérité
Elle commence, en l’état de nos connaissances scientifiques actuelles, autour du 12e siècle, avec l’arrivée du roi Hotu-Matua venant de Polynésie. Mais il est tentant de faire l’hypothèse – comme beaucoup l’ont fait -, qu’il y eut d’autres migrations avant le 12e siècle et après, – c’est ce que suggère Thor Heyerdahl persuadé que des hommes venus d’Amérique du Sud et plus précisément du Pérou, ont précédé tout le monde, amenant avec eux la connaissance des initiés et des bâtisseurs précolombiens leur permettant d’inventer, de sculpter, de transporter puis d’ériger les fameux colosses de pierre, si différents de tout ce qu’on peut trouver en Polynésie.
Toujours est-il que les rois vont se succéder, les tribus s’agrandir et se multiplier, les statues proliférer – près d’un millier sont répertoriées – , surtout sur les côtes de l’île, car, le dos tourné à l’océan, elles avaient une fonction protectrice de leur village d’appartenance, tandis que leurs yeux faits de corail blanc, envoyaient le « Mana » ou l’énergie spirituelle vers les habitants.
La destruction de l’écosystème
Mais cette prospérité et cette « croissance » – le mot résonne en nous actuellement très fort et peut entraîner toutes les comparaisons – allait entraîner peu à peu un désastre écologique sur cette ‘île dont les ressources naturelles étaient limitées, en particulier l’eau et les ressources en bois – or le bois fut dilapidé pour les rites funéraires et pour la construction exponentielle des Moaïs, considérés bientôt comme des signes de richesse et de prestige concurrentiels. Sans bois, c’est à dire sans arbre, impossible de construire des bateaux pour aller pêcher, si bien que la disette puis les famines firent leur apparition. Pris au piège de leur île et dans le stress de la survie, les hommes s’engagèrent alors dans une de leur activité favorite : la guerre.
Inutile de préciser que dans cette phase, le miroir commence à devenir explicite : nous aussi, nous avons nos Moaïs abritant nos divinités actuelles, – d’ailleurs nous construisons dans les centres villes des tours de plus en plus hautes et de plus en plus dispendieuses en énergie, pour les honorer – elles ont nom « Argent », « Profit », « Compétition », « Marché », « Rentabilité », « Techno-science », Communication », « Consommation », etc, divinités qui nous entraînent dans une croissance sans fin, sans limite, si ce n’est le désastre écologique qui se profile et menace la planète toute entière – planète ressemblant d’ailleurs à une île, seule au milieu des vastitudes du cosmos.
Guerres et destructions
Ce furent d’impitoyables guerres tribales, où la tribu vainqueur commençait par renverser et briser les Moaïs des vaincus, en réduisant en poussière tout particulièrement les yeux émetteurs d’énergie, pour ensuite s’adonner au cannibalisme en se nourrissant des vaincus, autant pour calmer la faim que pour ingérer la vitalité des disparus selon les croyances traditionnelles de l’époque. A cela, il faut sûrement ajouter un grand classique en période de crise, la guerre civile, entre d’une part les nantis : la caste des prêtres, des rois, la noblesse détentrice du savoir et des techniques de construction des Moaïs, – on les appelait les « Grandes Oreilles » – et le peuple affamé par toutes les privations et mené par des chefs de guerre intrépides. Les Grandes Oreilles furent décimées et la construction des Moaïs arrêtée net, comme figée dans la pierre du volcan à toutes ses étapes. Cela se passa au 17e et au 18e siècle, juste à la période où les occidentaux arrivèrent. Il ne restait déjà plus que deux ou trois mille habitants, pour une île qui a dû en compter de dix à vingt mille, et la plupart des Moaïs étaient déjà culbutés à terre. Le coup de grâce fut porté au 19e siècle par les colonisateurs, comme je le raconte dans le premier article.
Ce serait sans doute insister lourdement sur l’effet miroir, pour dire, que malheureusement, nous aussi, les guerres nous connaissons trop bien – guerres civiles, guerres nationales, guerres continentales, guerres planétaires – , comme autant de moyens de prédilection pour résoudre nos crises, comme si rien ne changeait vraiment dans le cerveau humain, et que le cycle était implacable comme un destin tragique pesant sur l’humanité.
Ce n’est que très récemment que les pascuans ont été libérés de l’étau colonisateur chilien, depuis l’arrivée des premiers avions de touristes avec l’ouverture d’une ligne régulière en 1967.
L’île est devenue bientôt une direction touristique de choix, où les habitants les plus entreprenants peuvent rêver et s’adonner aux délices de notre société de consommation : restaurants, pensions de familles, magasins à souvenirs, 4×4 flambant neufs, prolifèrent chaque année un peu plus.
Devant les Moaïs restaurés ou brisés, viennent méditer les visiteurs d’un jour, angoissés sans doute par l’effondrement imminent de leur propre civilisation et pouvant voir comme dans un miroir le destin possible de leur planète. Il faut espérer que dans ce miroir, profitant de l’atmosphère spirituelle et inspirante de l’ île, des éclaircissements et des révélations se feront jour, et que le destin puisse être conjuré, dans sa pente descendante, où nous sommes de nouveau plongés.
Tags : catastrophes, consommation, ecologie, economie, guerre, histoire, iles, société
Le monde devient fou, plus de limites dans aucun domaine, plus de respect pour l’autre, la seule loi, « bouge toi que je m’y mette », vers où allons nous???? La peur du lendemain se fait sentir de plus en plus.
Que faire? Comment apprendre les gestes d’amour envers notre planète et tous ses habitants?????
Donnez moi un peu d’espoir, comment sauver le genre humain destructeur de tout ce qu’il touche???
La course après la fortune empêche de voir les réelles valeurs pour lesquelles nous sommes appelé
sur cette terre, devenir plus conscient pour pouvoir accéder à la « vie », qui n’est pas celle que nous vivons pour l’instant. « Fiez-vous aux rêves, car en eux est cachée la porte de l’éternité ».
je vous souhaite une bonne journée, remplie d’espoir. A bientôt.
« Donnez moi un peu d’espoir, comment sauver le genre humain destructeur de tout ce qu’il touche??? »
vous avez raison Emji, mon article peut paraître un peu désespérant, c’est d’ailleurs une atmosphère qui plane sur l’île de Pâques, car ce n’est pas une île facile et légère à visiter ; elle provoque une sorte de gravité intérieure sur le sort des pascuans et plus généralement de l’humanité.
Mais en même temps – je n’ai pas peut-être assez insisté – cette île est belle, j’ai presque envie de dire que la Nature y est somptueuse : le ciel surtout, toujours changeant, et la lande vaste, fière, rugueuse, où courent les chevaux en liberté. Bref, je dirai que la 1ère raison d’espérer, de se réjouir et de s’émerveiller, c’est la Nature, mère Nature, dans sa beauté incommensurable ; aussi il me semble que c’est une hygiène de vie nécessaire pour nous emprisonnés dans les grandes villes, que d’aller régulièrement se ressourcer auprès de la Nature. D’ailleurs la nouvelle culture qui nous incombe d’inventer sera d’abord respectueuse de la Nature et de ses lois et de sa beauté.
Ensuite, je pense qu’il y a plein de raison d’espérer au niveau des êtres humains. Je suis allé ce WE à Paris aux Etats Généraux de l’Economie Sociale et Solidaire. Il y avait un fourmillement d’initiatives individuelles et collectives – collectives surtout – pour changer la vie, pour changer ce monde et mettre au poste de commande la solidarité et l’amour.
Quant à l’intérieur de nous-mêmes, à l’intérieur de chacun, c’est un réservoir de Ressources qu’il suffit juste de savoir contacter pour aller mieux, et cela c’est le travail sur soi-même quotidien que l’on peut appeler aussi le travail thérapeutique quand on a des difficultés pour le mener seul.
Bonjour
Je suis actuellement entrain de fair un travail de fin d’année pour l’école professionnelle De Lausanne en Suisse. Mon travail parle de l’île de Paques et des insulaires.Mais il traite par dessus tout du désastre écologique qu’il y a eu lieu et de l’avertissement que cela représente pour l’homme moderned’aujourd’hui.
Donc je suis a la recherche de quelques personnes à qui je pourait faire un interview par raport a mon travail.
J’aimerais savoir si vous seriez disposé a répondre à quelques questions, ou si vous connaissez aussi d’autres personnes qualifiée pour repondres à d’autres questions.
Merci pour avoir pris le temps de lire mon e-mail et je vous souhaite une bonne journée ou bonne soirée.
Kevin Olmedo.