Japon : la catastrophe apocalyptique

C’est le mot « catastrophe » qui revient le plus souvent dans les médias, quand ils parlent de ce qui se passe actuellement au Japon. Mais ce mot ne suffit pas : certes  il évoque  un bouleversement destructeur, dramatique, mais  cela reste sur le registre émotionnel, appartenant à un monde irrationnel, dépourvu de signification.
Pour cette raison, je préfère lui adjoindre le mot « apocalypse » bien plus riche de sens, car, de son étymologie grecque, il contient l’idée d’un événement destructeur, mais  porteur d’une « mise à nu », d’un « enlèvement du voile » ou mieux d’une révélation. Or, des révélations suite à ce cataclysme japonais, il y en a beaucoup,  il suffit juste, comme le suggère cette caricature de Plantu dans le journal « Le Monde » daté du 19 mars 2011, de s’arrêter et réfléchir, tel le penseur de Rodin, pour que ces révélations traversent notre conscience.
Pour ma part, j’en vois au moins trois, mais il y en a de nombreuses autres…

La Nature se venge

Depuis quelques années, les catastrophes naturelles se succèdent à un rythme accéléré : tremblements de terre,  tsunamis, aberrations climatiques avec inondations ou sécheresses excessives, ouragans et cyclones, etc…
C’est comme si la Nature, après avoir subi depuis si longtemps sans broncher, autant de mauvais traitements, d’abus et de violences de toutes sortes,  avait décidé de réagir vigoureusement, en tremblant, se secouant, hurlant, pour montrer à ces petits hommes ayant dépassé les bornes, que c’est bien elle la plus forte et qu’on lui doit désormais respect et allégeance.
Après tant de siècles de domination et d’exploitation de la Nature, encouragés par le judéo-christianisme, puis par l’arrogance et le déchaînement prédateur sans limite de la technoscience au service des puissances d’argent, c’est comme si la Nature voulait prendre sa revanche, en une sorte de juste colère redoutable, à l’image de ces énormes vagues du tsunami japonais.
Voilà la première révélation apocalyptique : c’en est fini du règne de la destruction et du pillage sans limite de la Nature, maintenant c’est elle qui nous détruit jusqu’à ce que nous comprenions nos devoirs envers Elle et que nous nous engagions à une relation faite de compréhension, de bienveillance et de coopération, ainsi que le chef indien Seattle nous y engageait il y a presque 200 ans :

Aussi, si nous vous vendons notre terre, vous devrez la respecter et la tenir pour sacrée, comme un endroit où l’homme peut savourer le vent parfumé par les senteurs de la prairie.
Apprendrez-vous à vos enfants ce que nous avons appris aux nôtres ? que la terre est notre mère ?  que tout ce qui lui arrive, arrive aussi à ses fils ?
Nous savons ceci : la terre n’appartient pas aux hommes, c’est l’homme qui appartient à la terre. tout ce qui existe nous unit les uns aux autres comme le sang qui coule dans nos veines. L’homme n’a pas confectionné le tissu de l’existence. Il en est simplement l’un des fils. Ce qu’il fait au tissu, il le fait à lui-même.

Le châtiment de Prométhée

C’est le moment de revisiter le mythe grec de Prométhée, il nous aide à comprendre une autre révélation.
Qu’est-ce qui a justifié le châtiment de Prométhée, enchaîné par les dieux à un rocher du Caucase et condamné au supplice d’être chaque jour visité par un aigle lui dévorant le foie ? Il a osé dérober dans l’Olympe, le feu, pour le confier précipitamment aux hommes. Quel est la symbolique de ce feu volé ? Les textes nous disent qu’il s’agit de l’intelligence, mais de la seule intelligence pratique, celle qui permet de se fabriquer des outils et de se lancer dans la métallurgie et l’industrie. L’expression la plus sophistiquée de cette intelligence pratique et industrielle, volée aux dieux, ne serait-ce pas justement  l’industrie nucléaire actuelle – le génie nucléaire -, comme aiment l’appeler ces ingénieurs, qui font penser irrésistiblement à Prométhée et à son larcin. Car de plus,  l’industrie atomique n’a t-elle- pas volé aussi un secret des dieux, auquel il ne fallait surtout pas toucher : ce feu sacré, caché au coeur de la matière, dont la fission s’est avérée la plus redoutable puissance destructrice  – ce qui a fait dire à Oppenheimer, quand il a assisté à la première explosion nucléaire : « Je suis la Mort, je suis la Destructrice de l’univers »
Le châtiment ne s’est donc pas fait attendre : après Tchernobyl, voilà les réacteurs en fusion de Fukushima et leur fumée mortelle, avec sa deuxième révélation : si nous ne voulons pas subir cet affreux châtiment répétitif de Prométhée, alors il faut arrêter au plus vite cette industrie nucléaire, dont la puissance destructrice est incontrôlable et incommensurable, n’en déplaise à ce petit pays, dont le coq arrogant est le symbole, et qui continue à défier les Dieux avec sa multitude de centrales nucléaires, dont il est si fier.
De manière corollaire, il nous faut donc trouver au plus vite de nouvelles sources d’énergie, des énergies douces, en harmonie avec la Nature – ce qui nous rapproche de la 1ère révélation.  Mais cela vous pouvez le trouver amplement développé dans n’importe quel article consacré au programme des écologistes du monde entier.

Changer radicalement la vie

Cette troisième révélation est sûrement la plus difficile à exprimer. Elle n’a pas encore vraiment émergée dans la conscience humaine. Certains philosophes comme Edgar Morin avec son dernier livre « La Voie » commencent à s’atteler à la tâche et faire quelques propositions.  Certains principes généraux, certaines idées directrices,  semblent être de plus en plus évidentes :
D’abord, il faut arrêter au plus vite  cette course folle en avant du « toujours plus » de notre Système technico-économique de production / consommation, qui va droit au mur, droit à la répétition des catastrophes apocalyptiques. Il y a un mot qui résume très bien cela, c’est la « Décroissance » – il faut juste préciser qu’il s’agit de la décroissance matérielle. Elle s’oppose frontalement au mythe fondateur de notre société actuelle : « le bonheur pour tous grâce au progrès matériel sans limite, venant de la techno-science ». Il faut donc inventer autour de cette décroissance matérielle, nécessaire, un nouveau discours, une nouvelle mythologie crédible et séduisante pour le plus grand nombre – ce qui ne semble pas facile, car tout le  monde est dans une sorte d’addiction généralisée, comme ces milliers de jeunes à Tokyo qui fêtaient un nouveau produit Apple quand est arrivée la catastrophe sur Fukushima.
Ce changement radical demande de passer  par l’adhésion à une vie simple, frugale, centrée sur le strict nécessaire au niveau des besoins matériels de base – le contraire de l’hyperconsommation actuelle basée sur les désirs superflus.  Mais comment en arriver là ? Comment faire émerger cette Sagesse au niveau collectif et planétaire au sein de l’espèce humaine ? En fait personne ne sait comment, et homo sapiens apparait plutôt comme l’ homo demens, qui en ce moment joue dangereusement avec sa survie en tant qu’espèce.

En fait, il semble que l’accélération de ces catastrophes à caractère apocalyptique, peut permettre l’accélération de la réflexion et l’émergence de la conscience de manière significative au niveau planétaire, afin d’ouvrir l’espace intérieur des révélations. Mais le temps presse et il semble de plus en plus clair aussi, que l’espèce humaine peut disparaître dans une sorte de désastre sans révélation possible ou crédible, et je me sens proche de cette citation d’Edgar Morin :

Le probable est la course vers l’abîme, la catastrophe. « Mais là où croit le péril, croit aussi ce qui sauve » dit aussi Hölderlin. Moi aussi je crois à l’espoir dans le désespoir.

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7 réponses à “Japon : la catastrophe apocalyptique”

  1. Très juste, trop juste. Ce que je retiens en conclusion: « la terre n’appartient pas aux hommes, c’est l’homme qui appartient à la terre. »

  2. Catherine B dit :

    « Aussi, si nous vous vendons notre terre, vous devrez la respecter et la tenir pour sacrée, comme un endroit où l’homme peut savourer le vent parfumé par les senteurs de la prairie.
    Apprendrez-vous à vos enfants ce que nous avons appris aux nôtres ? que la terre est notre mère ? que tout ce qui lui arrive, arrive aussi à ses fils ?
    Nous savons ceci : la terre n’appartient pas aux hommes, c’est l’homme qui appartient à la terre. tout ce qui existe nous unit les uns aux autres comme le sang qui coule dans nos veines. L’homme n’a pas confectionné le tissu de l’existence. Il en est simplement l’un des fils. Ce qu’il fait au tissu, il le fait à lui-même. » c’est tout simplement magnifique ce que dit cet indien, écoutons-le et soyons à son image pour que naisse en ce monde ce que nous désirons y faire naître. C’est nous qui décidons de ce que nous mettons au monde, nous mettons au monde des barbares, faisons en sorte que ce nous faisons advenir à la vie respire de la vie , écoutons la vie, cessons de parler pour elle, laissons-lui la Parole, nous bégayons, elle seule co-naît la justesse !

    • Oui, Christine et Catherine, ce texte est un court extrait du très célèbre discours du chef indien Seattle, qui en 1854 était chargé de négocier la vente des terres indiennes aux autorités fédérales du moment (le Pr Washington).
      Ce texte que l’on trouve facilement en entier sur internet, a été un texte source du mouvement « new age » dans les années 70, validant le mouvement de retour à la nature assez rousseauiste de ces années.
      Je l’ai trouvé dans le très sérieux et passionnant livre de Joseph Campbell « Puissance du mythe » aux éditions Oxus, ce célèbre mythologue américain, qui déclare – d’ailleurs comme Edgar Morin – que la nouvelle mythologie à inventer pour la période actuelle, ne pourra-t-être qu’une mythologie planétaire symbolisée par la terre photographiée depuis la lune, où il n’y a plus aucune distinction entre les nations et les états. C’est alors qu’il cite en entier ce discours du chef indien Seattle comme personnifiant cette nouvelle vision, cette nouvelle éthique nécessaire à l’être humain.

  3. Claudine DEGOUL dit :

    ceci est un essai informatrique. NE PAS PUBLIER

  4. Claudine DEGOUL dit :

    Toutes mes excuses pour le courrier précédent.
    Je suis d’accord pour l’essentiel avec l’ensemble de ces réflexions. Le danger suscité par la démesure des hommes est grand, en effet.; et le texte de ce chef indien est admirable.
    Néanmoins je voudrais ajouter quelques réflexions ou nuances. D’abord, je n’aime pas qu’on personnifie la nature, même avec un N. Elle est le résultat de processus physico-chimiques et biologiques complexes et ne peut pas avoir d’intention, sauf à croire en un Dieu grand ordonnateur de l’univers, ou à l’animisme – ce qui n’est pas mon cas – ou bien encore à tomber dans le créationisme de certains groupes américains. Elle se contente de réagir aux déséquilibres produits par les hommes. Je sais bien que c’est une métaphore poétique; alors il faut souligner fortement les « c’est comme si… »
    En outre, séismes et tsunamis, cyclones et inondations ont toujours existé. Ceci n’enlève rien à la responsabilité des hommes dans le changement climatique qui aggrave les cyclones et les inondations, ainsi que dans cette pure folie d’avoir construit des centrales nucléaires en zone fortement sismique.
    Les hommes, donc, sont responsables, en partie, de ce qui arrive. Mais comment peut-on changer les choses ? La Décroissance…? Pour l’instant il y a quelques expériences locales d’aménagement « durable » à l’échelle d’un quartier neuf, comme avec le mouvement Agenda 21. Mais au niveau national, et surtout mondial, on ne sait pas faire. Le danger va sans doute accélérer la réflexion et suggérer des solutions, comme en témoignent un certain nombre d’articles de journaux récents; souhaitons le.
    Mais il faudrait pour cela, comme vous le dites, changer radicalement de modèle de vie, et l’addiction est telle que cela semble assez peu probable pour deux raisons, en-dehors de la puissance du capitalisme néo-libéral. D’abord, dans l’ensemble des périodes historiques connues, il n’est pas d’exemple que les hommes aient renoncé à une arme ou une technique qu’ils venaient de développer. Déjà au XIV° siècle un pape condamnait l’arbalète parce que trop meurtrière, et interdisait de s’en servir (en vain évidemment…)
    Ensuite une analyse de Jared Diamond, dans « Effondrement » cité dans Le Monde du 26 Mars dans l’article de Harald Welzer, montre assez qu’il est très difficile à une civilisation de changer volontairement de modèle parce que, quand elle est menacée, elle a tendance à accentuer les traits qui ont marché jusque là, mais qui peuvent la mettre en péril s’ils sont poussés à l’extrême; ce que Arnold Toynbee exprime par: « les civilisations disparaissent par suicide et non par meurtre ».
    Un espoir peut-être: un article du Monde 2 du 26 Mars prévoit que « le soleil fournira 100% de nos besoins énergétiques dans vingt ans ». Utopie ou réalité ? à suivre…

    • Je suis assez d’accord, Claudine, avec tout ce que vous écrivez, en particulier sur l’absence presque totale de perspective pour un mode de vie alternatif crédible, motivant le plus grand nombre. Aussi y a-t-il de fortes chances que le 21e siècle soit en fait le siècle de la disparition de l’espèce humaine par catastrophes apocalyptiques successives, de plus en plus graves – je partage complétement l’analyse de Diamond.
      Une fois que l’on a dit cela au niveau collectif, il ne nous reste plus, en attendant, au niveau individuel ou micro-collectif, à tenter de vivre autrement en mettant en avant la croissance intérieure, en particulier d’ordre spirituel et artistique.
      Là où je nuancerai votre propos, c’est au sujet de la personnification de la Nature, comme un être vivant à part entière. Il me semble que le fait de la considérer seulement de manière scientifique comme un processus physico-chimique sans intention, est trop réducteur et donne à la folie humaine une trop grande responsabilité – et si les catastrophes arrivent, c’est bien en partie à cause de cette vision. Aussi, je suis pour une intégration de la vision mythologique, métaphorique, chamanique de la Mère Nature, afin que l’être humain revienne à plus de mesure, à plus de sagesse, à plus d’humilité, à plus de sensibilité et d’émotion dans son rapport à la Nature. Mais là encore, je ne me fais absolument aucune illusion au niveau collectif, d’un tel changement de vision. La vision scientifique et technique a trop moulé les cerveaux depuis 400 ans et surtout elle s’est greffé sur les pulsions prédatrices de l’être humain, le plus redoutable des prédateurs, jusqu’à son suicide, comme vous le dites si bien, en reprenant une idée d’Arnold Toynbee.
      Hum, hum, ce n’est pas très gai tout cela ! Profitons du moment présent : « carpe diem ».

  5. Un article intéressant daté du 12 avril 2011, publié dans le blog de l’Université Intégrale, sur les conséquences de Fukushima par rapport à la politique énergétique dans le monde entier :
    http://universite-integrale.blogspot.com/2011/04/fwd-lequation-climat-energie-apres.html?utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed%3A+UniversiteIntgrale+%28Universit%C3%A9+Int%C3%A9grale%29
    l’adresse est un peu longue, mais ça vaut le coup !