Jim Jarmusch : « The limits of control » et « Paterson »

Décembre 2009 :  « The limits of control » de Jim Jarmusch

Quel enchantement !
Le lendemain je voyais à la télévision un James Bond « Casino royal« . Quel désastre !

Mais il m’est venu une comparaison. Le film de Jarmusch serait, pour une part, un anti-James Bond et c’est ce qui fait sa force, sa différence, son sens supérieur.
En effet Isaac de Bankolé – que j’ai cru d’ailleurs apercevoir dans le rôle d’un méchant de « Casino royal » – incarne ici un héros qui est le contraire de cette vulgarité bondienne, érigée en religion de l’époque. Quelles sont quelques unes des qualités du héros de Jarmusch ?

  1. Il avance dans le monde silencieusement, il ne parle pas ou très peu – quel soulagement, à côté de la cacophonie d’en face !
  2. Sa principale activité est la contemplation silencieuse du monde, assis à la terrasse d’un café ; on est si loin de l’activisme brutal d’un Bond grisé par son omnipotence guerrière.
  3. Le contemplatif aime s’adonner à d’étranges rituels mystérieux et poétiques (la boite d’allumette et son message codé, les deux tasses de café…) – rien à voir avec les rituels répétitifs, télécommandés et vulgaires du célèbre navet, comme sa sempiternelle poursuite en voitures.
  4. Notre héros est séduisant lui aussi, à sa manière, capable de fasciner la femme, une créature de rêve l’attendant dans une chambre d’hôtel; mais celui-ci ne la touche pas, il ne la désire pas ; il l’aide à se lover contre lui de manière très chaste et très belle, pour passer la nuit blottie – rien à voir avec le machisme d’un Bond où le révolver à la bandoulière se confond avec sa virilité.
  5. Notre agent secret est cultivé : il aime aller visiter les fresques d’un musée ou s’entretenir philosophie avec ses rencontres de passage. James Bond est déculturé, ou il est le symbole de la sous-culture hollywoodienne basée sur les instincts prédateurs archaïques de l’espèce humaine.
  6. Le but de la mission n’est pas commandité par le quelconque service secret d’un gouvernement occidental aux méthodes opaques, mais c’est la mort symbolique de ce gouvernement lui-même, incarné par un archétype à la G.W. Bush, retranché dans son bunker, au milieu de ses gorilles cagoulés de noir.

Tout cela se laisse regarder en douceur, en détente, en humour, et les longs silence, et toute cette lenteur sont là pour nous inciter à réfléchir, à nous questionner ; le contraire de ce comportement de consommateur passif, auquel un James Bond nous invite.

Décembre 2016 : « Paterson » de Jim Jarmusch

Les cadeaux de cette fin d’année 2016, ce sont les deux nouveaux films de Jim Jarmusch « Paterson » et « Gimme Danger » (1)

Le premier ressemble à du Jim Jarmusch « tout craché » :  l’histoire d’un homme qui déambule dans une ville américaine du nom de « Paterson » ; mais cette fois il est au volant d’un bus, dont il est le conducteur.
Toujours la même ambiance, le même rythme lent et répétitif, le même oeil et la même manière de tenir la caméra, avec pour effet, l’irruption de cette poésie si intense et si particulière à tous les films de Jarmusch et sur laquelle il est difficile de mettre des mots – un ressenti particulier qui fait du bien.

La poésie est d’autant plus au poste de commande de ce film, qu’il est inspiré par un poète américain « William Carlos Williams » et de son livre intitulé « Paterson » du nom de sa ville natale.  De plus le personnage principal conjure l’ennui de ses journées répétitives et solitaires, en écrivant des haïkus sur un carnet de notes.
Il faut oser, de nos jours, sortir un film dédié à la poésie, quand la majorité des écrans sont sous l’emprise de la mise en spectacle d’une violence quotidienne primitive et régressive.
Jim Jarmusch est un magicien délicat de notre époque en décadence, capable de lui insuffler un parfum de cette précieuse poésie qui serait comme une transfiguration.
Il faut courir à ce nouveau chef-d’oeuvre.

A noter aussi parmi les cadeaux de cette fin d’année 2016, la sortie du petit livre « Jim Jarmusch, une autre allure » de Philippe Azoury aux éditions Capricci, passant en revue avec beaucoup de pertinence toute la filmographie de Jarmusch.

(1) « Gimme Danger »  est l’histoire du groupe rock mythique « The Stooges » racontée par Iggy Pop son leader. Un hommage poignant de Jim Jarmusch à son ami Iggy Pop.

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