Journal de New York (1)

Dans l’avion

Dans l’avion
frissons du décollage
semblable sans doute aux émois de l’âme
quand elle quitte son corps
au moment de la mort ;
puis rêve d’un lointain voyage
au fond du ciel bleu et ses fleurs de nuages.

A côté, une grosse femme débordant de son siège
pose sur moi un regard lourd
d’un vide vertigineux ;
chacun chez soi
bien calé au chaud, dans le Grand Système Biométrique,
les écrans allumés aux programmes variés
nous protègent de l’infini qui nous enserre de son bleu.

L’aéroport

Aéroport semblable à tous les aéroports du monde,
– ce que Paul Virilio appelle »l’Outre-Ville » :

… l’externalisation de l’outre-ville à venir,
le GEOCIDE du crépuscule des lieux,
l’épuisement des ressources de la géodiversité du globe terrestre…

Une ville étrange en apesanteur vouée au transit, au passage,  au mouvement, à la vitesse,
où tu passes toujours pressé, nomade parmi les nomades,
poussant sans se regarder les mêmes valises à roulettes, les mêmes caddies encombrés d’objets,
l’oeil rivé sur l’écran du smartphone,
où brillent les mirages d’un monde virtuel, bien compacté,
tandis que les boutiques de fringues, à l’identique dans le monde entier,
se disputent les précieuses cartes magnétiques,
d’où coulent à flot les exhalaisons du Dieu Argent.

Un cimetière prémonitoire

Dans le taxi,
il y a aussi un écran qui cache en partie le paysage.
Le chauffeur à l’accent latino
me parle football,
comme tous les chauffeurs de taxi du monde ;
il ne faudrait surtout pas le contrarier.
En bordure de l’autoroute,
apparait bientôt un étrange cimetière à perte de vue,
avec à l’horizon des grattes-ciels qui hérissent le ciel,

cimetière symbolique,  prémonitoire, prophétique ?

Mieux vaut regarder l’écran, sans doute,
aucune question à se poser,
la présentatrice sexy égraine d’une voix suave les publicités,
pour ouvrir le tonneau des Danaïdes
d’une consommation effrénée et sans limite .

 

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7 réponses à “Journal de New York (1)”

  1. Portier dit :

    Bonsoir Alain ,

    Paris New York , New York Paris , ici comme là bas , asphyxie .
    « Notre Drame des Landes » , grêve de la terre nourricière
    I’don’t understand , i don’t under-land , aplatie , si-ville-isée , des-arbres-brisée.
    Détruit les nids , décibelisés les riverains
    Bétume et biton s’affrontent pour ne former qu’ un amas sans vie
    Toujours plus grands , toujours plus gros , toujours moins beaux.
    Mais que c’est triste Orly le dimanche avec ou sans …avion.

    • merci Yvon pour ce beau poème sur le « toujours moins beau ». Nous sommes en phase : il est venu le temps de la poésie apocalyptique au sens de destruction et révélation.

  2. PORTIER dit :

    Ce n’est pas un poème , tout juste un petit exercice de style.
    Un Homm-age à la chanson française (la première phrase est une citation d’Higelin , la dernière de Brel (modifiée pour la ciconstance)
    Rien d’apocalypique , une vision oui , celle que partage beaucoup de citoyen qui vivent proche d’un aéroport , bruyant , moche mais…indispensable.

    • Merci de cette mise au point. Pour moi Higelin et Brel sont de grands poètes et certaines chansons d’Higelin des années 70 comme Paris-New-York ont des accents apocalyptiques tout à fait actuels. Mais j’en conviens c’est ma vision – en donnant au mot « apocalypse » un sens positif -, qui n’est pas forcément la vôtre.
      Quant aux aéroports, viendra le jour, où il faudra bien se résoudre à les fermer, comme un mauvais souvenir d’un monde emballé dans une course folle à la destruction de l’environnement. Je pense que ce jour n’est pas si lointain.

  3. PORTIER dit :

    En effet , j’aurai du dire parfois indispensable .
    Pour reprendre la phrase de P.Virilio , géoadversité serai le terme qui conviendrait aussi malheureusement .
    Les fermer tous , dans l’immédiat , nous n’y sommes pas prêt , en limiter l’usage , pourquoi pas ?
    Ce jour là n’est sans doute pas si lointain , très probalement !

  4. madeleine dit :

    cher Alain…

    merci pour ce texte à la fois beau et déprimant..

    il me fait penser à Blaise Cendrars, Pâques à New York, publié en 1912, il y a 100 ans..

    un petit extrait…

    à ce moment-là, pour beaucoup, New York était une terre d’asile, un refuge

    . »..D’immenses bateaux noirs viennent des horizons
    Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons.

    Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols,
    Des Russes, des Bulgares, des Persans, des Mongols.

    Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens.
    On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens.

    C’est leur bonheur à eux que cette sale pitance.
    Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance. »…

    • Merci Madeleine de m’avoir rappeler Blaise Cendrars,
      un poète que j’ai tant aimé autour de mes vingt ans,
      je me suis replongé avec délice dans « les Pâques à New York, »
      et j’ai trouvé ces mots que je trouve très actuels :

      « Seigneur, l’aube a glissé froide comme un suaire
      Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs.

      Déjà un bruit immense retentit sur la ville.
      Déjà les trains bondissent, grondent et défilent.

      Les métropolitains roulent et tonnent sous la terre.
      Les ponts sont secoués par les chemins de fer.

      La cité tremble. des cris, du feu et des fumées,
      des sirènes à vapeur rauques comme des huées.

      Une foule enfiévrée par les sueurs de l’or
      se bouscule et s’engouffre dans de longs corridors.

      Trouble, dans le fouillis, empanaché des toits,
      Le soleil, c’est votre Face souillée par les crachats.

      Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne… »