Sur les ponts de Paris,
on trouve actuellement, ces cadenas accrochés aux rambardes,
avec deux prénoms, une date et un coeur au milieu.
C’est une véritable épidémie,
qui, parait-il, fleurit dans le monde entier.
L’amour cadenas
Bien-sûr le symbole est touchant et facile à comprendre,
c’est une preuve d’amour, le grand amour,
qui se jure fidélité et exclusivité pour l’éternité.
II fait penser à tous ces graffitis de coeurs percés d’une flèche,
rencontrés autrefois sur les murs ou gravés sur le tronc des arbres.
Mais aujourd’hui, il y a dimension supplémentaire, symbolisé par le cadenas,
qui a tendance à me laisser perplexe :
certes cela fait allusion au sacro-saint serment de fidélité des amoureux,
certes il y a des circonstance atténuante, relatives cette époque,
la nécessité de se protéger ou de se rassurer mutuellement
face aux grandes inquiétudes d’un monde en crise,
en danger de perdition et de noyade,
– comme l’indique, par une étrange synchronicité,
ce panneau d’avertissement en plein milieu des cadenas -,
certes, c’est aussi une réaction de défense face au consumérisme ambiant,
où le couple est balloté dans la tempête des désirs devenus sans limite,
où l’on consomme l’amour, comme l’on consomme toute chose,
L’amour liberté
mais tout de même, l’amour peut-il s’accommoder d’un cadenas ?
L’amour est-il réductible à cette fermeture
exprimant l’enchaînement, l’emprisonnement, le cadenassage ?
Est-ce l’époque des amours enchaînés ?
On est si loin de « l’amour fou » des surréalistes,
ou de l’amour rebelle, de l’amour liberté du romantisme
proclamé dans la célèbre chanson de Carmen :
L’amour est un oiseau rebelle
Que nul ne peut apprivoiser
Et c’est bien en vain qu’on l’appelle
S’il lui convient de refuserRien n’y fait, menace ou prière
L’un parle bien, l’autre se tait
Et c’est l’autre que je préfère
Il n’a rien dit, mais il me plaîtL’amour est enfant de bohème
Il n’a jamais, jamais, connu de loi
Si tu ne m’aimes pas, je t’aime
Et si je t’aime, prends garde à toi
Prends garde à toi
L’échelle de l’amour
En fait, ces deux extrêmes ne me parlent pas,
mais plutôt l’image d’une quête, d’un cheminement évolutif du couple,
où l’amour doit se gagner sans cesse et se cultiver, entre fidélité, engagement mutuel et liberté individuelle, fluctuation des désirs et des émotions.
Le symbole d’une échelle, au sommet de laquelle brille une coupe, comme celle du Graal, me semble le plus parlant,
c’est à dire cette possibilité offerte au couple de gravir peu à peu les échelons de l’amour,
jusqu’à l’obtention de ce Graal, qui en serait le plus haut niveau,
de nature spirituelle et transcendante.
Cette montée de l’échelle de l’amour si bien décrite dans le beau livre de Catherine Bensaïd et Jeau-Yves Leloup « Qui aime quand je t’aime ? » Albin Michel 2005, peut d’ailleurs être considéré comme le voyage essentiel de ce passage sur Terre,
depuis l’amour appétit (porneia) jusqu’à l’amour inconditionnel (agapè),
Cela a été aussi très bien décrit dans les récits chevaleresques du Moyen-Age,
où le « guerrier – soudard » prêt à tous les combats, à toutes les violences,
grâce à l’amour qu’il porte à sa Dame,
s’humanise peu à peu et se transforme à travers les épreuves, en un amoureux tendre et prévenant,
capable d’honorer inconditionnellement toute la création.
Tags : Amour, consommation, evolution, société, spiritualité
Oui , le cadenas évoque une fermeture inquiétante , une fermeture aux autres , une fermeture à soi , une décision irrévoquable , comme quelque chose de fini avant d’avoir commencé .
Un étant un peu ironique , j’ajouterai à cette panoplie , un boulet et pourquoi pas une chaine et là l’amour cadenas deviendrait amour fantôme , la noyade serait alors assurer.
Il est vrai , comme vous le dîtes , qu’au moyen âge (Tristan et Iseult) l’amour tel qu’il est decrit revêt un caractère initiatique , une vraie quête mystique parcourue d’obstacles et d’épreuves qui symbolisent les inombrables difficultés qu’ils faut affronter dans la vie quotidienne , ainsi l’amour se gagne et se mérite . L’amour de cette époque est aussi absolu que l’amour cadenas , faut il en déduire que l’amour vrai n’est réservé qu’ a un très petit nombre de personnes préparées a cette grande aventure de l’âme , quelques en soit l’époque ! oui sans doutes cela n’est pas réservé à tout le monde.
j’ai envie de vous répondre que « l’amour initiatique », « l’amour quête mystique » vers le Graal, ,’est pas réservé à un petit nombre, il est proposé à tout le monde, à chaque être humain, et les chemins sont variés – la voie du couple homme / femme en est un chemin privilégié.
Par contre, à l’évidence, il y a peu d’élus, il y a peu de voyageurs qui arrivent au but, qui atteignent la « Demeure », qui arrive à monter en haut de l’échelle, et cela fait partie d’une sorte de scandale du destin de l’espèce humaine qui semble vouée à l’errance, à l’échec, à l’inconscience, dont « l’amour cadenas » serait par exemple une expression.
Merci, Alain, pour cet échange de vos réflexions. Sur des sujets aussi divers.
Sympa, ces cadenas, c’est un langage d’amour dans un monde qui méprise les sentiments.Symbole matériel, d’un lien qu’on voudrait éternel. Trace qui restera quand l’amour ne sera plus là. Certes, Refus de l’impermanence. Oui, le cadenas, c’est l’enfermement. Vouloir enfermer l’amour, pour le garder , le protéger. Oui, le cadenas est réducteur de liberté, indispensable à l’amour. C’est un symbole très maladroit mais qui veut parler d’amour! alors, soyons tolérant pour cette façon de s’exprimer. Je n’aime pas les coeurs gravés sur le tronc des arbres. Plaie et souffrance de l’écorce.
Le symbole de l’échelle et du Graal ne me parlent pas non plus. Une échelle c’est fragile. Il faut bien consolider, fixer sa base. Et puis, entre les barreaux de l’échelle, c’est du vide. Et puis, on ne peut pas monter à deux sur une échelle..
Pour symboliser le cheminement du couple , j’aime l’image de la montagne. Base solide. Chemins plus ou moins larges.Paliers. Zones boisées, et zones dénudées.Vallons où il faut descendre pour remonter plus loin. Horizon que l’on regarde en levant la tête. Ascension lente du pas du montagnard.
Mais parfois, failles que l’on ne voit pas. gouffres où, l’un va se sentir attiré. Renonçant à la montée, à la vie. Laissant l’autre, désemparé, sur le chemin qui semblait paisible.
merci Monique pour ce beau commentaire, moi aussi, j’aime beaucoup cette image de la montagne à gravir et c’est vrai que le cadenas a quelque chose de touchant aussi : une sorte de rêve d’une maladresse éternelle avec toutes les illusions de la jeunesse qui doit en passer par là, comme si pour commencer à mieux gravir la montagne, il fallait s’enchaîner l’un à l’autre.
Si le cadenas symbolise l’éternité , la métaphore est réussie ,
Montagne ou échelle à gravir , chemin à parcourir il s’agit bien de difficultés à surmonter , imprévisibles , sournoises , innatendues.
En effet , très belles réfléxions sur la vie , sur ce quelle possède de plus chère et de plus beau…et de plus difficile aussi. Une aventure sans distances , sans billet d’avion mais tout aussi dangereuse qu’une expèdition dans les haut sommet , l’ivresse pour récompense.
ca-deux-nasses, deux nasses, c’est pas top!!!
C’est pas top deux nasses mais c’est aussi très touchant de voir ces ca-deux-nasses comme des pro-tections contre les mouvements tectoniques de l’amour!
oui, mais on ne peut pas ca-deux-nasser l’amour, cas-de-nasser la vie, la vie est imprévisible (un-pré-visible ?), c’est un flux toujours changeant, une rivière dont on ne peut jamais deux fois se baigner dans la même eau – disait Héraclite. Et ces histoires de cadenas se terminent souvent mal, des histoires de cadenas brisé, de coeur brisé ; la vie ne fait pas de cadeaux aux cadenas, surtout au pays de l’amour.
Peut-être parce que c’est le but ultime de la vie que de s’ouvrir à l’Amour , mais que nos cadenas conceptuels, émotionnels, ex-istentiels, et tutti quanti ne cessent de nous emmener sur l’autre rive, celle de la fermeture sous des prétextes trompeurs comme de vouloir s’ouvrir à l’espace de l’amour en fermant l’espace de l’amour qui dès lors manque de souffle, s’épuise et se meurt. C’est toute la contradiction de l’humain qui s’exprime là je trouve et c’est ça qui me touche.
Tout cadenas possède sa clef !
L’amour ne meurt pas , il s’éternise .
Tout cadenas possède sa clef c’est bien vrai et certains ont même des passe-partout, les bougres!
L ‘Amour qui ne meurt pas, c’est de mon point de vue l’Amour avec la Majuscule, cet Amour-Puissance de Vie qui déborde de l’amour minuscule auquel nous sommes assujettis, non?. La majuscule c’est la Puissance de Vie, et la minuscule c’est le canal par lequel nous tentons d’atteindre bien erratiquement cette belle étoile à jamais inatteignable mais qui nous sert de boussole
Eh oui !
Jamais et toujours deux cadenas conceptuels à ouvrir de plus.
Mineur , majeur aussi.
Mieux que les passes partout , les « sézame ouvre toi » ! A essayer , l’amour est parfois magique.
Ne pas desesperer est sans doute une bonne formule.
Mieux vaut un amour minuscule que pas d’amour du tout !
Le minuscule des uns fait parfois le majuscule des autres , qu’en sait on ?
J’aime le minuscule car je peux possiblement le faire croître!!!! sourire!
Point de croyance mais des preuves il vous faudra !
(rire aux éclats)
oui, de toute manière, il faut ouvrir le cadenas, que ce soit avec une clé, un passe-partout, un sésame, afin que l’amour s’éternise – que de belles images ! -, si le cadenas ne peut s’ouvrir, alors il se brise ; il y a beaucoup de coeurs brisés, afin que renaisse un autre coeur plus ouvert.
Quant à l’amour minuscule destiné à croître vers le Majuscule, j’ai plus de mal à comprendre. Il y a bien au moins deux dimensions de l’amour : un amour formel ou incarné et un Amour spirituel et infini, mais j’ai plutôt tendance à les ressentir en étroite synchronicité ou relation rapprochée. J’ai peur que l’amour minuscule soit oublieux du Majuscule et se perde dans le chaos des désirs erratiques ou de l’ennui programmé…
Je me suis mal exprimée alors Alain,excusez-moi. Permettez-moi d’apporter quelques explications plus claires, j’ose l’espérer.
Dans la Majuscule, je vois ce qui nous origine, puis vient ce point de coagulation qui a fait émerger qui nous sommes.
Dans ce point-là qui est encore une articulation —entre— l’Ab-solu( sans lien nous dit l’étymologie)—Et— le relatif ( en lien avec d’autres paramètres, l’ex-istentiel autrement dit) dans cette articulation, sur ce pont, nous sortons de cette substance primordiale qui nous origine, et quand nous sortons de cette substance primordiale absolue nous sommes alors plongés dans le monde du relatif, du causal, du minuscule au regard de la Majuscule qui nous origine.
Ce qui nous origine peut être appelé de tous les noms, Liberté, Amour, avec des majuscules car aucune entrave relationnelle ne vient contrecarrer l’absolu, le sans lien des Majuscules, mais ensuite nous savons tous que dans le monde existentiel nous ne nous pouvons perce-voir la Puissance de Vie, l’approcher, la sentir, l’écouter, la goûter, la voir, l’entendre qu’avec nos fenêtres sensorielles donc forcément c’est un monde réduit car réduit à la mesure de nos fenêtres sensorielles etc, etc…
Cela ne veut pas dire qu’il faille dénigrer les minuscules, bien au contraire, l’existence est possiblement magnifique si nous le voulons et faisons ce qu’il faut pour déployer cette magnificence en germe. Toute notre dimension d’homme est dans ces minuscules qui se cherchent, se ratent, se retrouvent, se déchirent, se réconcilient. Disons que la chaîne du tissage ce serait l’Absolu des Majuscules sur laquelle viendraient s’enlacer, danser, chanter, tous les fils de la trame existentielle de notre multiplicité qui nous fait être dans nos différenciations, multicolores et multiformes et soumis à des déterminismes dont il nous revient de nous libérer a minima.
Avouez quand même qu’une chaîne sans trame c’est bof. Quant aux fils multicolores qui viennent habiller cette chaîne, n’est-ce pas cela qui met possiblement en beauté le fond du tissage? Question!
La forme ne serait-elle pas alors au service du fond et les petites minuscules possiblement glorieuses au service de cette royauté majusculaire?
Je le crois fort pour ma part.
très beau message, Catherine, sur ce jeu de l’Un et du multiple, de l’Origine et de sa création, de l’Absolu et du relatif, du Majuscule et des minuscules, du Fond et de ses formes. Je suis tellement d’accord. L’idée, c’est de sortir de l’apparente dualité qui est devenu oubli pour la culture dominante matérialiste où beaucoup se noient. Toute création me semble être un rappel de l’Absolu ou mieux, contenir l’Absolu. C’est le sens de la Poésie que de rendre compte de cela et je crois qu’elle a fort à faire…
Bref, entre deux bornes, l’absolu et le relatif, tous autant que nous sommes à essayer de construire le mi-lieu « »entre » » les deux!!!
exprimé autrement, c’est la voie du juste milieu, elle est importante. Il y a aussi la voie de la simultanéité : je est l’absolu et le relatif à la fois, le minuscule et le majuscule, la vague et l’océan et du coup on se sent transfiguré dans une autre forme qui est aussi non-forme : tout un programme! …
Et nous comme des funambules à essayer de tenir l’équilibre, oui, Alain, 100% d’accord avec vous.
Le cadenas , c’est aussi l’image de l’attachement. Nous aimons et nous nous attachons.
Et quand, l’autre est parti, quelle que soit la façon de partir, nous souffrons , car nous nous sommes attachés à l’autre. L’attachement est l’origine de notre souffrance. Mais comment faire?
Se détacher, tout en étant attaché? L’autre ne nous appartient pas, nous le savons. Mais dans l’amour notre attention nous attache à l’autre de façon puissante.
L’amour minuscule n’existe pas. l’amour est Amour , puissance de vie , comme dit Catherine.
engagement de son être, simplicité .
oui c’est ça Monique, savoir manier les contraires : l’attachement / détachement, le minuscule / majuscule, la connaissance / ignorance, le jour / la nuit, la vie / la mort. Les chinois diraient le yin et le yang, les polarités contraires ; dans mon jargon, j’appelle cela un certain niveau d’intégration. Ce n’est pas facile, c’est notre condition humaine, ballotée de gauche à droite dans des dimensions diverses. Cela sert peut-être à évoluer vers plus de conscience, plus d’amour. Notre destin spirituel.