L’île et le journal Psychologies

Dans le magazine Psychologies du mois de septembre, j’ai eu l’insigne honneur d’être cité dans la rubrique « Voyages » (p. 50), ce qui me va très bien en ce qui concerne le voyage, par contre, pour le contenu de mes propos, c’est une autre histoire…

L’article

Au début, tout va bien, je m’y reconnais :  » Pour Alain Gourhant psychopraticien intégratif » – merci pour le nouvel intitulé de mon titre – « l’île symbolise un milieu matriciel, elle baigne dans la mer comme dans un liquide amniotique » – ça va, je reconnais mes images, mes métaphores, mais ça mériterait un développement. « Née du volcanisme ou arrachée au continent, elle témoigne de la genèse de la terre – cela devient limite, je n’ai pas vraiment dit cela, mais la phrase est belle, presque poétique et finalement ça me va, à condition de ne pas regarder de trop près la vérité du propos, que je ne prends pas à mon compte.  « Cela invite à se dépouiller de ses oripeaux consuméristes pour renouer avec un état de nature » – ça va, c’est bien ce que j’ai dit quelque part, j’aime bien la formule « oripeaux consuméristes, mais ce serait à développer, à moduler. « Dans cet autre monde que l’on fantasme doté de toutes les qualités – paix, abondance, authenticité, vie éternelle…-, la spiritualité se révèle. – Là,  ça dérape complétement, je ne m’y reconnais plus, il s’agit d’un résumé, tellement résumé de ce que j’ai dit, que ça ne veut plus rien dire : Est-ce par les fantasmes des qualités de l’île, que la spiritualité se révèle, comme la cause produit son effet  ?… Tout l’inverse de ce que je pense et de ce que j’ai pu dire. On tombe dans le bricolage conceptuel, les formules qui n’ont plus vraiment de sens. Je suis très mal à l’aise, d’autant plus que ces pauvres cinq lignes m’ont demandé pas mal de travail. Mais reprenons les faits :

Les faits

Il y a bientôt six mois : coup de fil de la journaliste en charge de la rubrique « Voyages » du magazine « Psychologies ». Elle a lu mes sites internet et me propose de réfléchir à une article sur le thème du « Voyage en bateau ». Elle me précise le contexte : ce seront des propos forcément succints, partagés avec d’autres psys sur la petite et unique page dont elle dispose dans chaque numéro. La seule contrepartie sera bien sûr un lien avec mon site internet consacré à la psychothérapie intégrative. J’accepte, aussi bien poussé par la curiosité que par l’intérêt du sujet, avec sans doute une pointe de narcissisme d’avoir été choisi par le prestigieux magazine.
Je réfléchis donc au sujet, compulse quelques ouvrages, met en place mes souvenirs et mes projets, puis arrive le jour « J » de l’interview, par téléphone, mené tambour battant et qui dure bien une heure et demi. Je suis content, je vais avoir mon nom dans Psychologies. Je me précipite bien sûr sur le numéro en question, cherche compulsivement la rubrique « Voyages », parcourt plusieurs fois les pages : je n’y suis pas ! Première déception, d’autant plus amère que je n’ai pas été prévenu, une sorte d’entorse à l’élémentaire règle de la politesse.
Mais ce n’est pas fini. De nouveau un coup de fil de la journaliste. Elle s’excuse à retardement de mon absence sur le journal et me propose une sorte de rattrapage ou de compensation sur le prochain thème de » l’île ». Je suis un peu échaudé, mais pourquoi pas : j’adore les îles, j’ai encore plus de choses à dire que pour le bateau et je prépare juste un voyage en Polynésie. Nous recommençons le processus :  je prends du temps pour réfléchir et réunir mes idées, puis le téléphone sonne, et l’interview dure un peu plus longtemps encore, au moins deux heures. Puis, comme d’habitude, « silence radio », plus aucune nouvelle, dans le numéro suivant, pas de trace de l’île. Il me faut attendre fin août pour découvrir mon travail, « bien compacté », avec bien sûr aucune trace du lien promis vers mon site internet.
Je gère ma colère, – c’est une facette de mon métier –  je n’en veux pas à cette pauvre journaliste qui est sûrement prisonnière d’un système, le système médiatique, qui rend tout le monde insatisfait, sauf peut-être les actionnaires du « prestigieux journal ». Puis me viennent quelques réflexions sur le fonctionnement de ce Système.

Réflexions

Mon aventure est vraiment emblématique de la manière, dont s’y prend le Système – en l’occurrence le Système journalistique ou médiatique – pour « mouliner » la pensée et la culture.
Première étape : le compactage de la pensée. Un interview de deux heures est réduit à cinq lignes. La substantifique moelle ? Non, c’est plutôt un compactage de formules prises au hasard qui ressemble au compactage d’un objet, d’un produit, pour que son « look » soit plus séduisant, un peu comme l’on compacte de plus en plus les ordinateurs ou les smartphones. Ma pensée, mon expérience, mes idées peuvent être un bon produit, sur le présentoir de papier glacé.

Deuxième étape : après ce compactage de la pensée semblable à un produit,  la 2e étape va consister à le mettre au milieu d’une multitude d’autres produits aussi séduisants et aussi compactés. Ainsi, dans la page même, trois auteurs, vont se bousculer, qui ont du passer à la même « moulinette » que moi. De plus, cette page sur le voyage va se trouver perdue au milieu d’autres sujets tout aussi intéressants mais qui n’ont rien à voir entre eux. Cela s’appelle la confusion des genres et de la pensée, mais en couleur, en technicolor, avec des beaux titres partout et des images pour rêver. Résultat sur le lecteur : un état de boulimie consommatrice, entre l’état modifié de conscience navigant d’image en image et la recherche frénétique de ce qui pourrait être pertinent pour lui dans ce bazar, avec le cerveau reptilien -limbique en ébullition pour consommer « toujours plus et toujours plus vite » de l’information, de l’information, encore de l’information, toujours plus d’information… (voir le livre de Martine Laval « N’écoutez pas votre cerveau).

Troisième étape : La pensée comme un produit publicitaire.
Dans ce « bric à brac » confusionnel, il y a des produits qui se détachent et que l’on voit encore plus : ce sont les pages publicitaires, elles inondent et parsèment partout les articles du prestigieux magazine, si bien que ce sont elles finalement qui mènent la danse et entrainent dans leur sillage tout le reste. Ce que l’on voit le plus dans cette double page où se trouve notre article sur l’île, c’est « la rentrée chez Optic 2000 » : vous pouvez éventuellement partir rêver sur une île, mais le plus important c’est de préparer la rentrée chez « Optic 2000, en faisant tester la vue de vos enfants ». La pensée  est sur le même plan que le produit publicitaire à côté, pire, il lui sert d’invitation, de faire valoir. On obtient ainsi de drôle de combinaisons, ressemblant à la pratique des cadavres exquis des surréalistes : « Peut-on vraiment se passer de faire l’amour? /Parce que ce qu’ils ont dans la tête dépend de ce qu’ils ont aux pieds » p.48 /49. « Ils appréhendent la rentrée / mais il y a le Marchand de Sable, le héros des nuits des petits et des grands« p.46/47. « Des experts à l’écoute / avec des crayons Carand’ache Prismalo. » « Lucien Jerphagnon, un drôle de philosophe, / avec Nivea plus naturel pour effacer les rides« …etc…etc

Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la relation qui s’est instaurée entre cette journaliste et moi, au sujet de cet article. Il me semble qu’elle est emblématique de la plupart des relations que cette profession instaure avec les personnes, dont elle se nourrit, dans une sorte de comportement de prédation généralisée . Dans cet interview, puis ensuite dans son piteux résultat, je n’ai eu absolument aucun droit, en particulier même pas le droit élémentaire de voir ce qui avait retenu et écrit de mes propos – ne parlons pas d’une rétribution minimale pour le temps et le travail fourni. Au lieu de cela, l’arrogance, l’arrogance du silence, quand l’interview est fait, et le mensonge et la trahison, puisque la promesse du contrat verbal de mentionner mon site internet, n’a pas été honorée.

La leçon

Finalement, il me reste à remercier cette journaliste bien de son époque : elle a été la révélatrice de ce que je ne veux plus, d’un Système dans lequel je ne rentrerai plus de cette manière ; elle m’a aidé à y voir plus clair, car je m’endormais dans une sorte d’insouciance et de sommeil, pour participer ainsi à un journal, dont j’avais pourtant déjà, d’une certaine manière, critiqué le style dans un article consacré à la nouvelle formule du journal « Clés ». Elle m’a aidé aussi à prendre quelques décisions, comme le fait de résilier mon abonnement à « Psychologies » – c’était une incohérence de ma part que de continuer.
Elle m’a aidé à comprendre qu « on ne m’y reprendra plus ! »

 

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12 réponses à “L’île et le journal Psychologies”

  1. Après avoir rédigé cet article, je viens de recevoir ce courrier de la journaliste en question, à qui j’avais exprimé directement mon irritation :
    « Bonjour, Je suis rentrée de vacances seulement ce week-end, et ai “enquêté” auprès de la rédaction aujourd’hui afin de savoir comment la mention de votre site internet a finalement disparue. Vous trouverez ci-dessous le mail du secrétariat de rédaction. En effet, je l’avais bel et bien référencé dans la copie que j’ai rendue ! Mais un article est toujours relu et corrigé par plusieurs personnes et ne repasse pas par le pigiste qui l’a rédigé juste avant publication. C’est un fonctionnement commun à tous les journaux de la presse française. Comme vous, j’ai donc découvert cette omission en ouvrant le magazine. Désolée…Cordialement.

    Bonjour Agnès
    Merci pour ton mail dont je prends bonne note.
    Je comprends que M. Gourhant soit contrarié par l’absence de mention de son site.
    L’erreur s’est produite au moment de la préparation de copie : une note qui saute involontairement.
    Il s’agit ici d’une mauvaise manipulation technique, non d’un manque d’éthique.
    Toutes nos excuses à M. Gourhant.
    Nous ne manquerons pas, lors d’une prochaine citation, de mentionner son site, avec une phrase de présentation. Bien à toi La rédaction

    Bien, je vais donc avoir réparation, mais ce que j’ai trouvé particulièrement intéressant, c’est la phrase : « Il s’agit ici d’une mauvaise manipulation technique, non d’un manque d’éthique. »
    C’est bien que je dis : chacun fait avec la meilleure volonté du monde, mais est piégé par le Système et sa « manipulation technique ». C’est le Système qui n’est pas éthique, ce Système qui empêche une pigiste de revoir son texte après correction, et un auteur ou un interviewé de revoir lui aussi le texte. Voilà en clair un des aspects de la manipulation…

  2. beduchaud dit :

    Je comprends votre « douleur ».
    pour répondre a votre frustration de ne pas avoir eu a revoir le texte ,sachez que celui ci ne peut etre corrigé ,car il est l’expression de l’artiste (excusez,la journaliste).Vous auriez pu si vous aviez payé pour être publié.
    Le journalisme,c’est comme les avocats,les médecins,les politiques…si vous ne l’êtes pas,vous NE SAVEZ PAS.
    Pauvre conscience !
    Gardez votre liberté d’expression,et restez ZEN !
    même les écrits s’envolent de nos jours.

    • je ne ressens pas de la « douleur », juste de « l’irritation » face au Système, dans lequel nous sommes tous plus ou moins piégés et dont le journal Psychologies est un cas d’école.
      Pour traiter l’irritation, un des moyens est d’en parler et de la partager, c’est ce que je dis à mes clients et le mieux c’est de montrer l’exemple. Depuis que j’ai écrit cet article, cela va mieux !
      Merci pour votre remarque « le texte ne peut être corrigé, car il est l’expression de « l’artiste – journaliste ». On pourrait traduire « expression » par propriété, et le texte du journaliste est lui-même la propriété de la rédaction, qui est elle-même la propriété des actionnaires. Un Système pyramidal bien huilé, mais qu’il convient de dénoncer encore et encore, jusqu’à ce qu’il soit remplacé par un autre plus juste.
      je reste Zen, de plus en plus zen, au milieu de la crise, dans l’oeil du cyclone…

  3. Votre relecture de Votre « île » me rappelle mes mésaventures très similaires avec un autre journal… qui n’existe plus, ma réaction vaut donc l’espace d’ un petit clin d’œil. J’ai eu la même prise de conscience de mon narcissisme mais aussi de ma volonté sincère de partager ce que je croyais juste à ce moment là.
    Votre remarque risque de rester un coup d’épée dans l’eau !! Qu’elle pourrait être votre attitude après ce constat :

    Laisserez vous passer cette désinformation, et le système risque de perdurer?

    Ciblerez vous, comme vous le dénoncer, le vrai responsable (le publicitaire) qui va se défausser sur un autre responsable (l’actionnaire) qui va déléguer cette responsabilité sur un autre responsable (le rédacteur en « chef ») qui saura lui aussi transmettre sa consigne à un autre responsable (le pigiste) qui n’aura pas d’autre alternative que d’impliquer cette erreur de l’ordinateur qui a zappé votre essentiel?

    Laisserez vous tomber définitivement cet engin de « com-pression » de la pensée : les journaux au services de la publicité plus que de la pensée (on ne peut pas s’attendre à autre chose quand on voit l’épaisseur de la revente des produits dans ce genre de journal… il faut mieux le savoir avant de s’y laisser fourvoyer)

    Déciderez vous une attitude pertinente devant tous ceux qui déforment vos propos toujours à clarifier et à répéter pour que votre message soit reçu 5/5 et ça, c’est quotidien !

    je laisse également à votre réflexion, le concept que vous n’avez pas nommé, l’idée du « droit d’auteur » ou de sa rémunération… comme si une idée pouvait appartenir ex-nihilo à un auteur comme si celle-ci ne dépendait que de cet auteur?

    voilà ce que m’inspire une île entourée de cailloux et pas forcément de requins !

    • merci de votre commentaire, Serge.
      Pour le moment, j’ai laissé « tomber définitivement cet engin de « com-pression » de la pensée : les journaux au services de la publicité plus que de la pensée », comme vous le dites si bien.
      Par contre, je ne crois pas que cet article soit « un coup d’épée dans l’eau ». Il participe modestement à ce grand travail de la conscience collective, pour remettre en cause le fonctionnement d’un Système inique, qui sombre progressivement de crise en crise, et chaque coup, si minime soit-il, est un coup d’épée dans le cuir de la Bête.
      Je ne comprends pas bien votre dernière remarque sur le droit d’auteur. que voulez-vous dire ? que l’auteur d’une idée, d’une pensée n’a pas le droit à rémunération ?

  4. Blanchard dit :

    ce serait donc la propriété qui serait l’objet de la perversion du système. quand on veut détruire un mal ,il faut aller à la racine.Mais est-on intérieurement prêt renoncer à la propriété fusse-t-elle artistique?
    Bonne journée?
    Serge

    • En un sens, oui, ce serait la propriété qui serait à la racine de la perversion du Système – un sens qui ferait plaisir au sieur Bakounine. Et à la racine de la propriété, il y aurait la pulsion d’appropriation personnelle ou de prédation, venant de nos lointaines origines de primates habitués au manque. Actuellement, nous assistons à une terrible régression vers ces pulsions qui sont favorisées par la société de consommation, ou plutôt d’hyperconsommation. Tout cela est bien analysé en détail dans le livre de Martine Laval « N’écoutez pas votre cerveau, comment vivre sain dans un monde malade », dont je parle dans ce blog.(voir tag cerveau)
      Et c’est la même chose au niveau symbolique pour la propriété artistique : il y a une lutte généralisée pour savoir à qui ça va rapporter et les grands prédateurs qui dirigent les moyens de diffusion actuels savent très bien comment s’y prendre.
      La solution ? : un changement intérieur chez l’être humain, une évolution à partir de la prise de conscience de son Ombre et la faculté de se projeter dans un autre monde, où la propriété est partagée.

  5. Blanchard dit :

    Alors arrêtons de nous plaindre sur un ancien système pervers considérons le comme mort, et anticipons sur de nouvelles règles du jeu en les faisant vivre, ce n’est que comme cela que la conscience individuelle deviendra collective

    • Pardon ? qui a parlé de se plaindre ? Pour moi, il s’agit juste d’un travail de prise de conscience de ce qui ne fonctionne plus et pourquoi ça ne fonctionne plus, c’est différent de la plainte. De plus, le système n’est pas mort, loin s’en faut. Certes il est en crise de plus en plus gravement, il est moribond, mais il n’est pas mort et ce serait une erreur pour moi de le considérer ainsi – une sorte de déni du réel.
      Quant à anticiper de nouvelles règles du jeu, bien sûr, je suis d’accord. Est-ce que vous pouvez nous éclairer sur ce sujet, par rapport à votre expérience personnelle, surtout en ce qui concerne notre sujet : le journalisme et les médias ?

  6. Blanchard dit :

    Pour poser de nouvelles règles du jeu cela suppose que l’on énonce les bonnes questions
    – est-ce de savoir de comment s’exprimer au mieux sans journaliste
    -s’agit-il de transformer le journalisme en lui-même et si oui sur quoi?
    -s’agit-il de transformer le mode financement d’un journal par des actionnaires
    -s’agit-il simplement de tout maintenir en l’état même si ce n’est pas satisfaisant et de savoir comment ruser avec l’existant?

    • Merci pour ces bonnes questions. Quant à moi, je crois qu’il s’agit d’abord de changer les esprits, les consciences, d’abord individuellement, par petits pas, ensuite collectivement. Passer d’une conscience de la prédation généralisée, de la compétition et de la dominance, à une conscience de la coopération, de l’altruisme, de la solidarité. L’effondrement progressif du Système peut aider à ce processus, mais ce n’est pas gagné. Quant aux actionnaires, ils changeront en dernier… Par principe, je pourrais dire par éthique, je refuse la ruse que vous proposez.

  7. Blanchard dit :

    D’accord avec vous , programme de changement des consciences à commencer dès l’école et à chaque étape de la vie…. tous le « contrats unilatéraux » sont à revoir