Nous n’en pouvons plus de fierté et d’orgueil pour notre dernière trouvaille « la communication » qui prend toute sa dimension et son expansion dans le fantastique essor des nouvelles technologies de communication numérique. Pas un journal, un magazine, un programme télé, sans son hymne triomphaliste à l’ipod, l’iphone, l’ipad, google, facebook, twitter, etc, etc. Les révolutions au Moyen-Orient, c’est grâce à « twitter », la démocratisation du savoir, l’accès à la connaissance pour tous, c’est « google », les nouvelles convivialités pour tous les âges et dans tous les domaines, c’est « facebook », – comme nous le montre récemment le très sérieux journal Le Monde, avec ce titre « Facebook, nouvel élixir de jouvence, les réseaux sociaux contribuent au dynamisme intellectuel des séniors ».
Il y a sûrement quelque chose de juste, une part de vérité dans cet enthousiasme – cette nouvelle déification selon l’étymologie du mot « enthousiasme »venant du grec theos. Il ne s’agit pas de jouer au vieux « grincheux » passéiste, qui dénigre le progrès, en déversant sa bile sur les espoirs de la jeunesse, il s’agit juste de visiter, comme pour toute chose, la part d’ombre de cette déesse revêtue de tous les attributs de la séduction, et cela pour élargir la conscience, dont l’une des modalités reste – jusqu’à nouvel ordre – l’esprit critique ; il s’agit aussi de prévenir peut-être les déconvenues, les douches froides ou les réveils brutaux, quand le petit nuage du triomphalisme s’évapore ou quand tombe la méchante pluie des effets pervers.
La communication – surtout vue sous l’angle de son amplification technologique – nous rend-elle – ou risque-t-elle – de nous rendre malades ?
La maladie de la saturation
En premier, se profile le spectre de la maladie du savoir ou de la connaissance par la démultiplication des informations, qui tournerait à la pléthore ou la saturation, synonyme d’informité, voire d’infirmité. C’est l’excès d’information qui tourne à l’informe, c’est le bruitage assourdissant, la cacophonie, le tohu-bohu informationnel, la menace d’un nouvel obscurantisme par trop d’informations. Les esprits sont déboussolés, en perte de repère, hagards, et les psychothérapies deviennent alors des thérapies didactiques ou pédogagiques pour rétablir un semblant de bon- sens dans le sens perdu d’une vie noyée par le « tsunami numérique ».
Dans le même ordre d’idée, mais exprimé un peu autrement : le quantitatif communicationnel inonde le qualitatif. C’est la performance du tuyau qui prime sur son contenu, c’est le nombre d’informations calculées en « bits », la largeur des bandes du réseau qui fait la différence et donne de la valeur à la communication. Peu importe ce qui transite à l’intérieur. On appelle cela aussi le dévoiement de la valeur, par les impératifs quantitatifs, techniques et financiers, dans une société de l’hyperconsommation où le « toujours plus » rime toujours avec le « toujours plus » des profits de quelques uns. La valeur de l’Etre et de la Vie, passe au second plan par rapport à la performance technologique, le signifiant est plus important que son signifié, le paraître que l’être, si bien que l’on peut rêver, comme le fait Joël de Rosnay , d’un formidable cerveau planétaire en terme de réseaux techologiques, mais où circulent à l’intérieur une pléthore d’informations sans aucun intérêt, faisant du « village planétaire » une banlieue en friche de seconde zone, où s’agitent les imbéciles. Si l’ignorance a toujours été la maladie la plus grave de l’être humain à toutes les époques de sa tragique histoire, Google ne semble pas être, malgré les apparences, ce médicament magique qui nous sortirait de l’ornière, et l’intelligence des moteurs de recherche, sur laquelle planchent actuellement des armées de chercheurs, ne remplacera sûrement jamais l’intelligence réflexive et intuitive de l’être humain, capable parfois de faire le tri des infos, après un long travail intérieur sur lui-même, qu’aucune machine ne remplacera jamais.
Donc, – conseil de thérapeute -, si vous voulez avoir accès à la qualité de l’information conduisant à la connaissance, il vaut mieux fermer de temps en temps votre ordinateur ou votre smartphone, et vous plonger dans la dégustation lente d’un livre de qualité, ou mieux encore, partir en promenade dans la beauté de la nature pour vous adonner sans limite au silence de la méditation, d’où jaillit parfois l’intuition créatrice et la joie de vivre simplement.
La maladie de l’addiction
Tous les psychothérapeutes vous le diront, il y a l’apparition de nouveaux symptômes, que l’on pourrait appeler les addictions de la communication ou les addictions du monde virtuel. Leur plus grande fréquence se rencontre dans la classe d’âge qui va des ados aux « quadras » – mais cela va sûrement rapidement s’étendre, comme nous en parle le journal « Le Monde », avec ces retraités branchés qui se lèvent dès six heures du matin pour s’adonner aux joies de l’écran. Ne pourrait-on pas dire, avec Rimbaud, que ce sont des gens pour lesquels « la vraie vie est absente » ? Par une dépendance au monde virtuel des écrans, venant de l’usage immodéré de cette communication technologique tout azimut, les ingrédients de la vraie vie peu à peu disparaissent, comme le fait d’aller travailler, de vivre une relation de couple, de sortir dehors, d’avoir de l’exercice physique, de marcher, de s’alimenter normalement, de dormir à des heures régulières, etc, etc. Mais le monde réel vous rattrape bientôt et vous rappelle à son bon souvenir : les couples se défont, le travail vient à manquer avec l’argent, les amitiés fondent au soleil virtuel, les solitudes se creusent face à l’opacité des écrans, la santé défaille, le psychisme déprime ou angoisse. Les personnes sont devenues incapables d’affronter la vie réelle, de faire effort, de trouver leur place.
Voilà qui va sûrement enrichir bientôt le chapitre déjà bien fourni de la psychopathologie consacrée aux addictions, et les psychothérapies de toute sorte ont là un marché d’avenir, en plein développement – alors que le tabac et l’alcool pourraient lentement régresser. Il n’est pas loin le temps, où l’on va pouvoir parler d’une société addictive de masse, malade de son monde virtuel, dans l’obésité non seulement physique, mais communicationnelle ; c’est à dire une société schizophrène – au sens de dissociée du réel -, vivant dans les paradis artificiels de la luminescence des écrans.
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