La communication nous rend-elle malade (2) ?

Voici la suite de l’article précédent consacré aux maladies de la communication vue sous l’angle numérique.

La maladie de l’instantanéité

C’est Paul Virilio, – architecte, urbaniste, sociologue, philosophe, bref un « intégratif » comme nous les aimons – qui le premier a parlé de la bombe numérique en parlant de la vitesse des communications frisant l’instantanéité. Cette vitesse incroyable, vertigineuse, qui permet de communiquer avec n’importe quelle personne, à n’importe quel endroit de la planète, compactant pour ainsi dire le temps et l’espace dans l’instant présent de la communication, porte aussi en elle-même sa part d’ombre assez inquiétante pour le disfonctionnement de l’être humain, déjà assez fragile comme cela. En effet, il semblerait que cette communication, par son instantanéité même, devienne essentiellement une communication émotionnelle, car seule la rapidité de la réaction émotionnelle ou du réflexe instinctif, pourrait s’adapter à cette vitesse de l’instantanéité technologique.
Par contre, il y aurait une inadaptation des qualités supérieures du cerveau humain à cet excès de la vitesse communicationnelle, c’est à dire d’abord un déficit d’intégration de l’information par la réflexion. Celle-ci nécessite du temps et de la lenteur pour la maturation, la digestion et l’appropriation personnelle, afin d’ouvrir les portes de la profondeur, de la qualité et de la valeur. Aussi Paul Virilio, face aux perspectives de ce monde qui ne semblent pas très réjouissantes – surtout en terme écologique et environnemental – craint-il une amplification émotionnelle sans précédent d’un réflexe de panique collective au niveau planétaire, démultipliée par la communication numérique, au point de devenir aussi destructrice qu’une bombe nucléaire

    La maladie de la mise en commun

    La communication, comme son étymologie l’indique, va dans le sens de la mise en commun (du latin communicare). Chacun apporte sa contribution, c’est à dire en l’occurence son information, à cette mise en commun. Avec l’amplication de la technologie, la mise en commun devient un immense espace informationnel, qui ressemble plutôt à un vaste dépotoir, une décharge où tout s’entasse pêle-mêle, sans aucun ordre, sans hiérarchisation de valeur et sans unité. C’est comme dans un immeuble, où dans les espaces communs chacun viendrait déposer ses objets de toute sorte croyant ainsi bien faire et participer à la vie commune. Cela deviendrait assez vite submergeant, ingérable et conflictuel.

    La communication numérique nous permet de pointer toute la différence qu’il y a entre la mise en commun et la mise en unité de l’information. Elle réactive la métaphore de la Tour de Babel, où toutes les langues et tous les avis s’expriment en même temps et s’emmêlent dans un tohu-bohu indescriptible empêchant toute cohésion et toute harmonie.

    Malgré son intention qui est bonne – la communication est un premier pas, une ouverture pour aller vers les autres et leur faire des signes, afin de sortir de la solitude dans laquelle l’hyperindividualisme de la société de consommation nous a confinés -, la communication ne suffit pas pour créer l’unité et son sentiment d’harmonie ; il lui manque l’essentiel ; on pourrait dire, en jouant sur le mot, que la communication, c’est « comme l’Un », mais ce n’est pas l’Un.

    Seule la relation au réel permet la santé communicationnelle

    Pour arriver à l’Un, à l’unité, il faut le réel et en particulier les liens de la relation au réel. Ces liens, il se travaille lentement dans l’espace et dans le temps du réel.
    C’est d’abord le lien de la relation à soi-même, afin d’enlever tous les masques du paraître et des projections – chapitre le plus important du travail sur soi-même de la relation thérapeutique. Il y a ensuite le lien de la relation à l’autre, il se travaille aussi longuement, soit par soi-même, soit dans un travail thérapeutique plutôt systémique portant par exemple sur la relation de couple, la relation familiale, la relation professionnelle. Il y a aussi le lien de la relation avec les autres, – les autres vus sous l’angle de la société -, il se travaille politiquement par le long apprentissage de la démocratie directe, mais aussi dans les différents coaching de groupe. Il y a enfin le lien de la relation à l’Autre – l’Autreté comme dirait Krishnamurti – , c’est à dire le Tout, l’Etre, l’Un, de nature transpersonnelle et spirituelle, dont l’expression est l’Amour inconditionnel. Il se travaille encore plus lentement, quelquefois par de longues ascèses, mais il est le meilleur gage d’une mise en commun unitaire, dont l’espèce humaine, si elle veut survivre, a bien besoin de manière urgente.
    D’ailleurs dans le mot communication il y a le mot sanscrit « muni » qui vaut dire à la fois silence et sagesse, et c’est dans ce silence de la sagesse que se joue souvent une communication vraie capable d’atteindre à l’unité dans la multiplicité du  monde réel.

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