C’est un bonheur de trouver tout à coup sur cette toile virtuelle où l’on peut parfois s’égarer, un article qui correspond exactement à ce que vous pensez, à ce que vous auriez pu vous-même écrire : il y a comme une résonance intérieure qui se produit et qui vous demande impérativement de faire un lien.
Ce lien il nous dirige aujourd’hui vers le blog d’Olivier Breteau (dont je vous ai déjà parlé) et une série d’articles au sujet de la signification de la « crise » qu’elle soit individuelle ou collective et dont le sens profond doit être éclairé par les notions de métamorphose et d’initiation – j’ai déjà écrit un article sur la notion de métamorphose chez Edgar Morin, où il y a des ressemblances avec cette idée.
Ma préférence va au deuxième article intitulé « Bonne crise : Mourir pour renaître« , d’où est tiré la formule qui constitue le titre de cet article, et où vous ferez connaissance avec un philosophe qui mérite d’être connu, en la personne de Denis Marquet.
L’initiation sauvage du civilisé
Celui-ci, nous explique d’abord comment la crise lui apparait comme une initiation sauvage pour les soi-disant civilisés que nous sommes. Cela m’a fait penser à un article paru il y a deux ans dans le magazine « Santé Intégrative » au sujet de la dépression vue comme une initiation majeure qu’un individu doit traverser pour provoquer plus ou moins consciemment une métamorphose de lui-même.
Je me permettrai juste de faire deux remarques sur les propos de Denis Marquet : il dit de cette crise individuelle qu’elle est « sauvage, parce qu’elle se pratique sans accompagnement social et dans la solitude ». J’ai envie de pondérer ce propos en rappelant l’importance qu’ont pris les psys et la psychothérapie dans notre monde occidental, et dont justement la fonction profonde est de proposer, par des méthodes variées et une relation thérapeutique de confiance, un accompagnement à ce passage initiatique qu’est le symptôme psychique ou physique, et cela afin qu’une personne ne reste pas seulement abandonnée de manière sauvage dans sa solitude.
Un peu plus loin, Denis Marquet dit de cette crise initiatique : « elle répond à une autre ambition humaine : accoucher d’un être unique, irremplaçable, qu’aucun discours social ne peut déterminer – soi-même. » Est-ce que le fait d’accoucher de soi-même est la seule dimension du passage initiatique ? Est-ce qu’on ne réduit pas la métamorphose individuelle à une conception egocentrique ? Plutôt que de parler de « l’être unique » ou de « soi-même » ne vaut-il pas mieux parler de l’intégration de son être à l’Un, ou au Soi, dans une dimension transpersonnelle ? si bien que le discours social aurait aussi son mot à dire pour tempérer ou pour imposer des limites et de la mesure à la seule réalisation de soi-même, dont les maux de l’époque actuelle seraient le narcissisme, la démesure et l’atomisation d’une société vouée au seul culte du moi.
Le philosophe – thérapeute
Denis Marquet nous explique ensuite ce qu’il entend par « philosophe – thérapeute », c’est à dire un philosophe capable comme le faisait Socrate de redonner sens et sagesse à la vie devenue insensée de ses contemporains. Je suis complétement d’accord avec ce propos : c’est exactement ce que j’ai toujours pensé de la philosophie authentique capable d’être un chemin de guérison en proposant un sens et une sagesse, et en se référant aux multiples dimensions de l’être humain (physique, émotionnelle, mentale, sociale, énergétique et spirituelle) et pas seulement à sa raison ou à son intellect qui réduit le réel à « peau de chagrin ».
On pourrait dire aussi que c’est tout le sens de mon chemin personnel, puisque parti des études de philosophie à la Sorbonne, j’en suis arrivé à l’exercice de la psychothérapie, sous sa forme intégrative , dont la dimension philosophique occupe d’ailleurs une place de choix, comme en témoigne les articles de la 1ère partie de mon site consacrée à l’Esprit Intégratif.
Enfin, en prime, à la fin de l’article d’Olivier Breteau, vous pourrez découvrir une video de l’Université Intégrale, où Denis Marquet nous parle de son intégration personnelle de l’Orient et de l’Occident, ce qui est aussi un de mes chevaux de bataille et qui a très bien été abordé par le maître spirituel indien Osho.
Merci le net de contribuer ainsi à de belles mises en résonance.
Tags : crise, initiation, intégration, philosophie, psychothérapies
Bonjour,
Ce qui est « sauvage » dans l’initiation, c’est qu’elle vient nous percuter dans nos retranchements, qu’elle vient ouvrir les mausolées où nous gardons nos schémas rigides et non actualisés avec les nouvelles informations de la vie. Du coup, c’est vrai que ça peut être vécu comme une éventration, comme une violence, d’autant plus qu’on y résiste.
Quant à la solitude, elle est inhérente à toute initiation, elle en serait même un principe fondateur à mon sens. Maintenant, solitude ne veut pas dire absence d’accompagnement. Même dans les rituels ancestraux, l’initié n’est pas seul, soutenu par un guide, un chaman, un sage, un groupe.
Aujourd’hui, dans cette grande crise qui touche la société et l’individu, nous ne sommes en effet pas seuls : il y a un nombre croissant de thérapeutes qui sont des accompagnants éclairés, il existe un renouveau de pratiques spirituelles pour donner du sens au cheminement, et il y a aussi toutes les personnes en chemin qui forment un grand réseau de partage et de soutien et il est très important d’en prendre conscience afin d’en bénéficier, de s’en nourrir, et de le cultiver.
Non, nous ne sommes pas seuls, mais ce que nous avons à traverser, nous devons l’expérimenter dans cette solitude ontologique, indissociable de la condition humaine…
Bonne journée
je suis assez d’accord, Michèle, avec la nuance que vous apportez au terme « sauvage » de l’initiation : elle ne nous prévient pas et nous percute souvent violemment ; mais je crois aussi que ce qui reste le plus sauvage, c’est qu’elle n’est pas reconnue comme telle par la culture dominante de notre civilisation : le principe évolutif de « mort et renaissance » n’est pas reconnu comme tel en particulier par la culture scientifique dominante qui croit à une notion de progrès beaucoup plus linéaire. La mort symbolique est alors à éviter, à combattre et neutraliser, d’où l’utilisation massive des médicaments pour anesthésier… Il y a un côté sauvage là dedans au sens de brutal, de violent, une sorte de manque de maturité réflexive sur la vie, sur la loi ou l’essence de la vie.
Quant à la solitude ontologique de ce passage initiatique, je suis d’accord aussi, c’est une sorte de solitude acceptée et assumée qui du coup peut être plus facilement traversée et s’ouvrir aux autres pour l’accompagnement ou le partage, une solitude assumée à ne pas confondre avec l’esseulement qui est une souffrance de plus quand elle arrive, et elle arrive trop souvent encore dans une société atomisée et éclatée, où l’esseulement dans les grandes villes est fréquemment la règle.
Bonsoir, oui, merci de cette précision sur l’autre facette de la sauvagerie, je suis tout à fait d’accord que la non reconnaissance (en général, et en particulier ici) est une violence en soi, et principalement quand elle touche un processus qui est essentiel dans les métamorphoses quasi obligées que la vie nous fait rencontrer.
Le principe de mort-renaissance est une clé initiatique… peut-être pas tout à fait anodin que la « culture dominante » n’en tienne pas compte, fasse mine de l’ignorer, ou le pervertisse, ce serait comme révéler un secret qu’il est préférable de taire. On peut ainsi lobotomiser les citoyens grâce à la chimie médicamenteuse et ne surtout pas leur permettre de se dépasser et de traverser les crises, au terme desquelles ils trouveraient plus d’autonomie.
Les rituels, les passages font grandir et il est intéressant de s’interroger sur le pourquoi d’une société qui ne les propose plus, a éradiqué les plus significatifs, pour ne laisser que des ersatz sans pouvoir…. laissant par ailleurs les individus dans cette solitude « non assumée », car dépourvue de sens.
« Les rituels, les passages font grandir et il est intéressant de s’interroger sur le pourquoi d’une société qui ne les propose plus » :
je crois que c’est une vieille histoire, une double dépossession des rituels initiatiques qui vient de très loin. D’abord, il y a le christianisme : on pourrait dire que le rituel de passage « mort et renaissance » a été effectué par une seule personne : « Jésus », faisant pour ainsi dire le travail pour tout le monde, prenant sur lui tous les pêchés des autres. Il ne reste juste qu’une petite confession pour se dédouaner à bon marché d’un travail d’évolution personnel.
Ensuite, il y a la modernité et le matérialisme scientifique et technique : nul besoin d’évolution intérieure, le progrès est linéaire dans la croissance perpétuelle des moyens de production et de consommation matérielle, avec à la clé le bonheur, le bonheur progressif pour tous. Comme dit Ken Wilber, c’est « un monde plat » qui ne reconnait pas l’intériorité de l’être humain et la profondeur de son besoin d’évolution – qui ne passe pas forcément par les besoins matériels.
Mais cette conception du monde est en crise, elle est battue en brèche de partout, et le fleurissement du monde psy peut facilement s’immiscer dans les brèches du matérialisme plat. Les psychothérapies sont de nouvelles formes d’initiation.