Commentaires sur un livre récent de Jacques-Antoine Malarewicz aux éditions Odile Jacob
J’aime bien ce livre et surtout son titre – c’est d’ailleurs pour cette raison que je l’ai acheté. Je pense moi aussi que nous assistons actuellement à la fin de la psychothérapie, ou en tout cas d’une certaine psychothérapie.
Pourtant la lecture en est difficile, il faut s’y accrocher, y revenir plusieurs fois pour le digérer, de plus le ton est parfois un peu désabusé.
La force de la mythologie
Le livre s’appuie d’abord sur la lecture et l’interprétation de certains mythes importants de l’antiquité grecque. C’est un parti pris courageux, ce recours à la mythologie, face à la déferlante des études scientifiques qui s’abattent froidement sur la psyché, la considérant comme un simple objet d’expérimentation parmi tous les autres objets. Ici au contraire, il s’agit de la poésie des mythes et de leurs multiples interprétations possibles, avec Narcisse, Prométhée, Epiméthée, Pygmalion, Pandore et Némesis, dont l’histoire singulièrement moderne, peut nous inspirer.
Narcisse et Prométhée d’abord, ce sont les deux figures de l’individuation et de l’autonomie humaine par rapport au monde des dieux, mais ils sont malheureux dans ce que l’auteur appelle un « individualisme devenu contraint » : Narcisse s’enlise dans les solitudes de la dépression, incapable de se relier à l’altérité, et Prométhée avec ses rêves techniciens extravagants et insensés, défiant plus que jamais les dieux, met en péril la survie de l’humanité, démangée d’anxiété par un aigle lui dévorant le foie. Quant à Epiméthée, qui a osé faire complicité avec son frère Prométhée, pour défier Zeus, celui-ci lui envoie Pandore, un cadeau empoisonné, la femme fatale, qui ouvre la boîte de l’insatisfaction sans fin des désirs et des pulsions, « le toujours plus et toujours plus vite » de la société de consommation, avec en prime les affres de la conjugalité, affres dont l’épidémie de divorces et la floraison des thérapies de couple montrent toute l’actualité.
Les mentalités de l’époque et la psychothérapie
Puis vient une réflexion sur l’évolution des mentalités de notre époque et son impact délétère sur la psychothérapie. Voici quelques idées qui m’ont semblé intéressantes :
Dans une société de l’hyperconsommation généralisée, basée sur la satisfaction immédiate des désirs de chacun, le psy est devenu un objet de consommation comme les autres et il n’en sort pas indemme : il doit soigner sa publicité dans les médias pour réveiller la pulsion consumériste des clients, mais celle-ci retombe vite, et le thérapeute se trouverait « jeté » aussi rapidement qu’il a été choisi. C’est le « zapping psy » de plus en plus fréquent, fondé sur une sorte « d’obsolescence programmée intérieure ».
Ensuite, le bain d’informations ininterrompues dans lequel chacun se trouve submergé, est un obstacle de taille à la réflexion ; il provoque plutôt la sidération cognitive. Difficile alors de miser sur les profondeurs d’un travail intérieur « psy » traditionnel, basé sur la durée et le temps de l’introspection, les fluctuations nécessaires de la relation thérapeutique et du transfert.
Dorénavant, le psychothérapeute est considéré comme un technicien, un ingénieur chargé de remettre en route le plus rapidement possible une machine dénommée psyché, comparée le plus souvent à un disque dur d’ordinateur qui « bugge ». C’est une vision mécaniste et réductrice, relancée par l’importance prise par les neurosciences.
Dans le prolongement de cela, l’appel à l’efficacité de la technique psy prend toute la place, efficacité devant conduire à l’exigence de briéveté de la thérapie (2 ou 3 séances maxi réclament les clients). C’est le règne des protocoles rapides, désignés par des sigles mystérieux, mais faisant sérieux, car techniques – on désigne ainsi les derniers appareils photos ou les smartphones. La publicité bien ficelée fait le reste, en mettant en exergue la validation de ces techniques brèves et magiques, par des pseudo-études scientifiques, dont on se garde bien de détailler l’épistémologie douteuse.
Commentaires personnels
Bref, sans parler du décret d’application de mai 2010 de la loi Accoyer, qui donne tout pouvoir à la psychopathologie des médecins-psychiatres, mettant hors la loi les psychothérapeutes en place, mais en insistant sur cette déferlante de consumérisme pressé et de technicité tout azimut, Jacques-Antoine Malarewicz n’a pas tort de parler de la fin d’une certaine psychothérapie, basée sur des mythes fondateurs anciens, prenant le temps de ce rituel de passage important, qu’est le « travail sur soi » en vue d’une évolution intérieure. Le verdict de Malarewicz est sans concession :
« la fin des mythes, en ce qu’ils n’irriguent plus que marginalement la pensée et la réflexion dans les sciences humaines, marque donc la fin de la psychothérapie » .
Bien que beaucoup de psys s’amusent actuellement à ce jeu trouble, décrit lucidement par l’auteur, ce jeu de « la mise en 410 cases du DSM IV« , – la bible psychopathologique – et la magie médiatique et pseudo-scientifique des thérapies de plus en plus brèves, j’ai tout de même beaucoup de points de divergences avec l’auteur.
D’abord, le livre me semble trop nostalgique d’une certaine époque de la psychothérapie centrée sur la psychanalyse et les psychothérapies humanistes, qui était loin d’être une époque représentant l’âge d’or de la psychothérapie : il y régnait rivalités continuelles entre courants, esprit de chapelle autour des écoles, dogmatisme et mépris de la différence, et souvent, il faut bien le reconnaître, une certaine inefficacité, quand les cures analytiques, par exemple, s’étiraient en longueur, sans résultat.
De plus, l’auteur semble méconnaître une loi profonde de l’évolution de la vie qui remonte pourtant aux mythes les plus anciens et qu’on pourrait résumer sous la formule « mort et renaissance ». Si tout semble actuellement s’effondrer et se désintégrer – la psychothérapie n’échappe pas à la règle – et bien, tant mieux, car il est attendu une transformation à un niveau d’évolution supérieur, dont on peut déjà voir la trace dans certaines solutions alternatives.
En effet, pour moi, ce n’est pas la fin de la psychothérapie – à la rigueur, c’est juste la fin du titre de psychothérapeute -, au contraire, sur le terrain, c’est une période d’ébullition créative, avec une floraison de nouvelles techniques ; et dans ce maquis de plus en plus touffu, émerge l’intérêt croissant et la réflexion la plus profonde pour un nouveau paradigme, dans lequel la psychothérapie intégrative occupe une place de choix, avec sa volonté de réunifier de manière cohérente, ce qui est actuellement éclaté et conflictuel – ainsi mon site internet ne cesse de monter en fréquentation et vient de dépasser les 5000 visites par mois. D’ailleurs, dans cette conception intégrative de la psychothérapie, il y a aussi la place pour les techniques protocolaires des thérapies brèves et consuméristes ou incidemment pour la psychopathologie, mais ces techniques doivent être reliées de manière cohérente à d’autres techniques venant de courants différents. C’est la prétention totalitaire à l’hégémonie de ces conceptions critiquées par J. A. Malarewicz, qui doit être remise en cause et non les techniques en elles-mêmes qui peuvent être « incluses et transcendées« , selon le principe fondateur de l’esprit intégratif.
La métamorphose improbable
Mais pour le moment toutes ces recherches innovantes sont encore dans l’ombre, c’est un travail souterrain en profondeur, en attendant les soubressauts telluriques de la métamorphose, pour terminer par un hommage à Edgar Morin et son dernier livre « La voie » – un livre de réflexion nécessaire pour tout citoyen – , qui en parlant de la grande Crise généralisée du monde dit
« le probable est la désintégration, l’improbable est la métamorphose »
et l’on pourrait ajouter que la psychothérapie intégrative s’occupe de cet improbable avec sérénité.
Tags : consommation, intégration, psychiatrie, psychothérapies, société, vision
Bonjour, et un grand merci, pour ces paroles optimistes…
je ne sais pas, Thérèse, si on peut dire que je suis optimiste sur la situation actuelle de la psychothérapie. Je partage en grande partie le constat un peu désabusé de J. A. Malarewicz. Je ne fais que compléter son analyse en soulignant qu’il y a des forces à l’oeuvre qui cherchent des solutions, mais ces forces sont encore minoritaires et le plus souvent ignorées. Certes c’est de l’optimisme, mais de l’optimisme tempéré, un peu comme la dernière citation d’Edgar Morin sur l’improbable de la métamorphose.
Je crois aussi que la psychothérapie arrive a sa fin mais que c’est même toute le psychanalyse Freudienne qui est aujourd’hui remise en cause car cette pratique semble avoir vécu. mais quoi de plus normal? On voit que la théorie de la relativité d’Enstein, pourtant principe de base des sciences dures, est déjà lui aussi remis en cause. C’est au fond tout simplement le sens de l’histoire, au fur et a mesure que la connaissance humaine augmente les idées changent.
je crois, Belline, que la fin de la psychothérapie analysée dans ce livre, dépasse de beaucoup ce qui pourrait-être la fin de la psychanalyse freudienne, qui effectivement par toutes ses remises en cause, semble en bien mauvaise posture. La fin de la psychothérapie, ce serait plutôt, la fin d’une certaine idée de la psychothérapie fondée sur une conception humaniste de l’être humain remontant à la tradition occidentale grecque, où l’on insiste beaucoup sur la possibilité d’évolution de la conscience humaine, après une sorte de passage initiatique qui peut prendre du temps, permettant d’accéder à la liberté, la responsabilité, l’autonomie, l’engagement sur des valeurs supérieures, etc. Actuellement cette conception de l’homme, avec la prolifération de certaines nouvelles psychothérapies brèves, tend à disparaître, au profit d’une conception de l’homme machine, de l’homme mécanique qu’il suffit juste de réparer le plus rapidement possible, pour qu’il soit mieux adapté en tant qu’objet, à un Système d’hyperconsommation généralisée.
Une ‘tite visite Alain. Je lis et j’approfondis avant de laisser un message.
Amitié,
Pascal
Cela me donne envie de le lire, en tous les cas. La fin d’une certaine psychothérapie me va bien.
Revenir aux fondements et (re)trouver la créativité de l’être me semble tellement important à cette époque en « ébullition » au niveau des idées certes Alain mais pas de l’être, car dominée par la peur du lendemain.
C’est un peu la gueule de bois du rêve occidental dont on est en train de se réveiller. Il faut en passer par là…
« Revenir aux fondements » : c’est un peu ce que propose Malarewicz et pour cela son livre est intéressant : revenir au fondement de la psychothérapie, en particulier en visitant la tradition grecque et sa mythologie, comme l’a fait d’ailleurs Freud à sa manière, à une certaine époque. Ce qui donne un peu « la gueule de bois « , comme tu le dis si bien, c’est cette sorte de déculturation du pragmatisme de l’outil thérapeutique débarrassé du sujet et de son humanité, avec sous le couvert de la culture scientifique un retour à la pensée magique de la technique toute puissante ou de la panacée du médicament.
je découvre ce blog et je le trouve intéressant. Je le mets dans mes favoris. Effectivement, au sujet des mythes, je suis frappé le fait que tout se passe comme si les mythes de l’antiquité se réalisaient actuellement, et ce, de plus en plus rapidement. On dirait une véritable apocalypse, une révélation.
« tout se passe comme si les mythes de l’antiquité se réalisaient actuellement » : oui, c’est parce que les mythes se prêtent à des lectures différentes et on pourrait dire qu’ils sont sans cesse d’actualité. D’autre part, certains mythes parlent d’une sorte de sens universel de la vie humaine, de manière atemporelle, c’est à dire valable au delà du temps et de son histoire, comme par exemple le mythe de Prométhée qui a toujours été valable, mais qui est d’une actualité brûlante en ce moment, avec par exemple la folie de du nucléaire – le feu qu’il ne fallait pas voler aux dieux… sous peine de graves punitions, comme Tchernobyl ou Fukushima – et on attend malheureusement la prochaine leçon…