« La voie du Tao, un autre chemin de l’être » : une exposition au Grand Palais à Paris, jusqu’au 5 juillet 2010
Il y a d’étranges affiches récemment dans le métro parisien pour annoncer « La voie du Tao », un autre chemin de l’être », étranges affiches à côté des publicités pour les boîtes de « ronron » ou le dernier modèle du téléphone mobile. Evidemment personne ne regarde, personne ne voit – car l’on ne voit que ce que l’on connait déjà – ; et qui connait la voie du Tao, dans une société où c’est la voie du consumérisme total qui couvre de ses sirènes toutes les autres voies ?
Une visite méditative
Mais finalement, tant mieux ! Car au Grand palais, dans les galeries nationales, – à mille lieux de la foule des Champs Elysées – il n’y a pas grand monde, c’est le grand calme – même un dimanche après-midi -, pour visiter sereinement cette belle exposition. Cela se pratique à petit pas, très lentement, méditativement, immergé dans un fond sonore de musiques traditionnelles chinoises, tous les sens éveillés pour déguster la somptuosité des encres sur papier, où les volutes du « qi » ourlent les montagnes, où sur le Mont Kunlun veille la déesse Xiwangmu pour préserver « l’élixir d’immortalité ». Admiration aussi devant les porcelaines à émaux et les bronzes finement ciselés, les robes des prêtres taoïstes richement chamarrées ; sur les murs, quelques explications bien pesées et des phrases judicieusement choisies, tirées pour la plupart des écrits du maître Lao-Tseu : « Le sage a appris que l’eau faible qui s’écoule, avec le temps finit par vaincre la pierre souveraine »…
D’un étrange actualité,
cette voie du Tao, telle qu’elle est exprimée par Lao-tseu, son père fondateur, au 6e siècle av J.C. Celui-ci est un fin lettré à la cour de l’Empereur de Chine, mais après une entrevue restée célèbre avec Confucius, où tout sépare ces deux hommes illustres, Lao-Tseu « fait un bras d’honneur » à cette société décadente de son époque, pour s’en aller vivre à l’écart dans les montagnes, près de la nature, afin de cultiver la sagesse et l’authenticité. Il disparait même dans cette nature, après avoir légué ses 81 poèmes « le Tao tö king », à un disciple – un douanier, dit la légende – qui lui soutire in extremis, avant de lui céder le passage, un des plus précieux condensés de la sagesse humaine. Lao-Tseu nous apparait étrangement moderne, comme une sorte d’écologiste radical, avant l’heure, teinté de spiritualité et d’une sagesse de vivre très simple, dont les accents résonnent toujours vivants : « Ainsi le sage agit sans agir et enseigne sans parole. / Il produit sans prendre possession, / Il agit sans attendre de retour, / Il répond à sa mission et n’en tire pas de mérite. / Voilà pourquoi le mérite ne le quitte pas. ». L’exemple de Lao-tseu sera suivi par une lignée de philosophes, poètes, sages et vagabonds comme Tschang-tseu, Han-Shan, Basho, etc, dont s’inspireront récemment, avec 2000 ans d’écart, les poètes américains de la « beat generation » et tant d’autres encore.
La récupération
Intéressant aussi de voir, comment les religions et ses prêtrises (bouddhisme et shintoïsme) ont récupéré, le vieil anarchiste fondateur, pour le diviniser par la suite et l’accompagner d’un panthéon foisonnant de dieux et de déesses, de rituels compliqués, de formules magiques et de superstitions. Un peu comme maintenant, la religion dominante du capitalisme néo-libéral et son dieu Argent récupère tout : écologie et techniques de bien-être, développement personnel et spiritualité, pour en faire des produits de son foisonnant « business ».
On sort du Grand Palais, avec un autre regard sur la foule des Champs-Elysées qui se presse aux vitrines et aux terrasses des cafés, une sorte de regard plus détaché, presque amusé, avec un zeste de légèreté…
Tags : ecologie, expositions, religions, spiritualité, taoïsme
Un peu dans le prolongement de ce que tu écris, Alain sur les contrastes entre les paradoxes iconoclastes et subtiles de Lao-Tse d’une part et les formules magiques et rituels compliqués, de l’autre part: comment vois-tu le lien entre le Chi Gong et le taoïsme?
Merci de ta question, Maarten. Il y a des ressemblances et des différences .D’une part, je pense que ce n’est pas le même type de relation : le qi gong, pour moi, n’est pas un rituel magique et compliqué, mis au point par les prêtrises postérieures à Lao-tseu , mais une pratique très efficace de développement personnel et transpersonnel dont l’origine, bien antérieure à Lao-tseu, se perd dans la nuit des temps, à l’origine de la culture chinoise, proche de la nature et des énergies du ciel, de la terre et du corps humain. Par la suite, – et là, il y a sûrement des ressemblances – le qi gonq a été récupéré dans les monastères bouddhistes et taoïstes, comme discipline de base, en particulier pour l’apprentissage de tous les arts martiaux (SchaoLin) et là, il a pu devenir sans doute un rituel ésotérique et compliqué aux mains des prêtrises que je dénonce. Heureusement, au 20e siècle, il y a eu une sorte de dépoussiérage et de renouveau de cette discipline qui s’est simplifiée et surtout démocratisée pour devenir en Occident une très importante technique anti-stress et méditative, basée sur le corps comme le yoga, et accessible à tous. En ce sens, comme le taoïsme de Lao-tseu, ou comme la mindfulness, il y a un effort pour revenir à la source, à la simplicité de la source, afin de se débarrasser de tout le fatras apportés par les traditions religieuses.
Oui, cette démocratisation de ces techniques énergétiques est une des richesses de notre temps actuel. Et comme dans la pleine conscience, on rencontre aussi le problème de l’abus de ce genre de techniques pour des fins égoïques: power to the ego! Et de frics dans les portemonnaies de quelques « maîtres »…
Hélas! Car il y a de si beau et si fort (dans le bon sens du mot) aussi, dans ces pratiques…
L’accent sur la « maîtrise » dans certains écoles du qi gong m’interpelle, et me pose des questions sur la cohérence avec la philosophie de Lao-Tse.
Qu’en penses-tu, Alain?
Bonne question, Maarten, ce problème de contrôle et de maîtrisedans le qi gong. Je crois que cela va dépendre des écoles, des courants, des maîtres – maintenant on va dire des instructeurs. Ils seront plus ou moins dans le contrôle et le moins rejoint bien sûr l’esprit du lâcher-prise taoïste, tel que Lao-tseu l’a montré. Par exemple, selon la méthode que j’ai apprise, il s’agit de commencer par rester debout immobile, dans la verticalité la plus simple, pendant assez longtemps, dans la conscience de son enracinement avec le sol et dans un total lâcher-prise de ce qui peut survenir : tremblements, ressentis émotionnels pouvant s’exprimer bruyamment, etc. Ensuite, commence la série des mouvements imposés et cela demande contrôle et maïtrise comme dans le yoga. Aussi, je pense que le qigong, comme le yoga sont des disciplines, (des sadhanas) qui demandent beaucoup plus de contrôle que de lâcher-prise et d’acceptation de ce qui vient. C’est leur faiblesse ou plutôt leur limite, en particulier par rapport au corps émotionnel : on peut accentuer l’aspect refoulement et surtension.