« Le cerveau de Bouddha »

Il s’agit du commentaire d’un livre que je viens de lire, alléché sans doute par le titre et par le fait qu’il se trouve mis en exergue dans toutes  les librairies.
Ce livre c’est :  « Le cerveau de Bouddha » de Rick Hanson avec le Dr Richard Mendius. Il est sous-titré : « bonheur, amour et sagesse au temps des neurosciences » (éditions des Arènes 2011)

Un livre intégratif

Le titre est un peu  accrocheur, et il peut entraîner la déception, si l’on s’attend à quelques révélations fracassantes au sujet du Bouddha ; pourtant il s’agit d’un livre intéressant, car il se propose de relier deux domaines de la connaissance encore habituellement séparés : la spiritualité et les neurosciences. En ce sens, il est pleinement intégratif et il illustre bien la belle phrase d’Oppenheimer citée dans le 1er chapitre :

« L’histoire de la science est riche en exemples de rapprochements fructueux entre deux ensembles de techniques, deux ensembles d’idées, développés dans des contextes distincts pour la recherche de vérités nouvelles« .

Le courant de la pleine conscience

Mais en fait, son contenu n’est pas vraiment nouveau, il prend sa place au sein d’un courant fertile (1), dont nous parlons déjà depuis longtemps dans ce magazine, qui commence dès les années 70 avec Jon Kabat-Zinn et la « mindfulness », continue avec les expériences en laboratoire sur les grands méditants de Richard Davidson, puis fleurit avec la création en 2003 du « Mind and Life Institut » par Fransesco Varela  où se rejoignent de nombreux chercheurs dont Antoine Lutz venant du CNRS.

L’originalité du livre

S’il y a une idée originale de l’auteur, c’est de suivre en quelque sorte le cheminement pédagogique du Bouddha, en commençant par parler de la souffrance humaine, omniprésente actuellement comme il y a 2500 ans, et en la mettant en relation avec les éclairages de la science actuelle sur la nature neurologique et biologique du stress, – ce qui est d’ailleurs assez réducteur . Puis le livre suit le chemin du Maître en affirmant la possibilité du bonheur, de l’amour et de la sagesse, grâce à une multitude d’exercices pratiques, mis en relation avec leur action physiologique au niveau du cerveau, en se servant des recherches actuelles en neurosciences – l’auteur est neuropsychologue et il a fondé l’Institut Wellspring des neurosciences et des sagesses contemplatives.

Le point fort

Par ailleurs, c’est aussi, à mon sens, un point fort de ce livre, il est une porte d’entrée facile d’accès à la pleine conscience pour le profane, car sa lecture est aisée, et il peut séduire beaucoup de personnes venant de la culture dominante scientifique, afin de les ouvrir et de les entraîner à une pratique d’intériorité méditative, un entraînement de l’esprit basé sur la pleine conscience, mais aussi à la pratique des visualisations diverses, de la pensée positive, des relaxations et des exercices de respiration, tout cela afin d’échapper au stress ambiant de notre environnement délétère, mais aussi, plus profondément peut-être, pour s’initier à une sorte de nouvelle manière de vivre, qui consiste à prendre soin de notre intériorité, quand notre conscience est de plus en plus envahie par un fatras de superficialité externe dont nous abreuve cette société d’hyperconsommation, avec le danger d’un appauvrissement mental considérable nous condamnant à penser court, dispersé et superficiel.

Neuroscience et méditation

Par contre, il n’y a pas de révélations sensationnelles sur les découvertes des  neurosciences observant les méditants, j’ai l’impression d’avoir déjà lu tout cela ailleurs, si ce n’est, peut-être, le rôle important donné au CCA (le cortex cingulaire antérieur) et à l’amygdale, véritables plaques tournantes de l’axe neural du cerveau, jouant un rôle fondamental dans l’intégration des émotions pendant la méditation, de même que la synchronisation des fameuses ondes gamma dans toutes les aires cérébrales, en corrélation avec ce que la tradition méditative appelle l’équanimité, c’est à dire une impression très agréable de calme, d’équilibre et de cohérence interieure – ce qu’on pourrait appeler aussi dans notre langage : un sentiment d’intégration globale de tout ce qui est là dans le moment présent, à l’intérieur et à l’extérieur de soi-même.

Un appauvrissement protocolaire et technico-pratique

Passons à la critique : j’ai ressenti une sorte de malaise à la lecture de ce livre que je n’éprouve pas en lisant un Jon Kabat-Zinn. A la réflexion, il s’agit peut-être de ce que j’appelle un appauvrissement protocolaire et technico-pratique de la méditation, au sens où une multitude d’exercices pratiques sont proposés, entourés d’une sorte de sécheresse conceptuelle descriptive et explicative, ce qui équivaut finalement à une perte du sens profond de la méditation.
Dans cet enthousiasme relatif aux découvertes scientifiques récentes par rapport à la neurologie du cerveau des méditants, il ne faudrait pas oublier la richesse descriptive des grands maîtres spirituels du 20e siècle, qui ont fait un énorme travail d’actualisation des anciennes traditions pour les rendre accessibles à l’homme moderne – je pense en particulier à Krishnamurti, Osho Rajneesh, Shri Aurobindo, Ramana Maharshi, Nisargatta Maharaj, swami Prajnanpad et Arnaud Desjardins, le Dalaï Lama, etc. En se référant à la théorie des quatre quadrants de Ken Wilber, je pense qu’il s’agit maintenant de savoir relier ces observations scientifiques des chercheurs en neuroscience, avec toute la richesse subjective et introspective de  ces maîtres.
Alors, l’intégration passera à un niveau supérieur : les observations sur le cerveau des méditants seront magnifiées par la profondeur intérieure de la sagesse des maîtres, et tout cela deviendra beaucoup plus nourrissante encore.

Cet article est paru dans le magazine Santé Intégrative n°26  (mars / avril 2012)

Tags : , , , , ,

2 réponses à “« Le cerveau de Bouddha »”

  1. Bonjour et merci pour ce partage.

    Juste quelques corrections pour rendre l’article plus précis :
    Mind and Life InstitutE
    FranCIsco Varela

    La naissance du Mind & Life Institute remonte à 1987 (http://www.mindandlife.org/about/history/).
    F. Varela est décédé en mai 2001.

    Bonne journée

    Jérôme

    • merci Jérôme pour ces corrections et ces précisions pertinentes.
      Je parle du « Mind and Life Institute » dans un autre article du blog de manière plus détaillée :
      https://blog.psychotherapie-integrative.com/neurosciences-meditation-cerveau/
      2003, c’est l’année du célèbre congrès annuel où le Dalaï Lama est venu en personne parler et assister aux débats, ce qui je crois a provoqué quelques remous dans la communauté scientifiques des neurologues, pas tous ouverts – comme chacun le sait – , à ces riches perspectives intégratives…