C’est le titre d’une exposition de photos, que je présente actuellement, jusqu’au 17 novembre 2013, avec deux autres artistes, à l’Entrepôt dans le 14e arrondissement de Paris.
Dans un recueil de textes poétiques accompagnant l’exposition, voici l’intention première de ces photos :
En cette époque
empêtrée
d’objets et d’images,il est venu le temps de contempler le Ciel et la Mer,
en ce tintamarre des grandes villes,
dans la cacophonie des affolements consuméristes
où chacun court toujours plus vite
posséder les objets de l’insatiable désir,il est venu le temps de contempler le Ciel et la Mer,
quand la science du haut de ses certitudes fait fausse route,
obnubilée par l’illusion de la matière,
quand la technique se compromet toujours plus
au saccage de la terre,
quand l’économie se plait au spectacle spectral
de la marchandisation du monde,il est venu le temps de contempler le Ciel et la Mer,
car le Ciel uni à la Mer
est l’ultime solution
à nos enlisements de terre.Alors, quand tu arrives à la Mer
rempli des contrariétés de la grande ville,
allonge toi sur le sable de la plagelaisse toi délicieusement envahir par le Ciel
pour les nécessaires mutations de la conscience
Il est encore question du Vide…
Tout cela pourrait être considéré aussi comme une suite de « La barque vide » de Tchouang-Tseu,
car dans la contemplation du Ciel et de la Mer, le Vide est omniprésent :
Derrière le Ciel et la Mer, il y a le Vide
et du Vide émane la transparence du Ciel,
de sa transparence coule la fluidité de la Mer.Le Ciel et la Mer forment un mur immense,
mais c’est un mur transparent,
qu’il est facile de traverser
pour s’en aller vers le Vide.Transparence du Ciel
fluidité de la Mer
transparence et fluidité engendrent la Vacuité resplendissante.Le Ciel est changeant,
la Mer est émotionnelle,
mais derrière on peut voir l’immobilité du Vide.Par le Ciel et la Mer,
te laisser inonder lentement,
alors le moi disparait,ne reste que le Vide sans limite.
La barque a aussi sa place
Quant à la barque, elle a bien sûr aussi sa place,
elle est une présence obligée quand on parle du Ciel et de la Mer :
Entre Ciel et Mer,
vers cette ligne infime de l’horizon,s’aventure parfois une barque
seule et courageuse,
pour le grand voyage.C’est seulement dans une barque
que l’homme pouvait dialoguer avec le Ciel et la Mer,maintenant il navigue apeuré
entre Ciel et Mer,
toutes ses barques sont détruites.Sur les dernières barques abandonnées dans la vase,
se posent parfois les oiseaux
pour observer nostalgiques
le Ciel et la Mer.
La photographie en question
Une personne, sans le savoir sans doute, m’a fait un grand compliment,
en me disant qu’elle ne savaient pas, devant certaines photos,
s’il s’agissait de photographie ou de peinture.
Je lui ai répondu, que c’était exactement l’effet recherché ;
j’aime, quand la photo déborde pour ainsi dire de sa spécificité,
en créant des liens avec d’autres domaines qu’elle même,
ce qui pourrait-être considéré comme une conception intégrative de la photo.
Ainsi, dans le même genre d’idée, pour faire sortir la photographie des limites d’elle-même, il est bon de la délivrer de son ghetto techniciste,
où la qualité se juge aux prouesses techniques de l’appareil photo utilisé,
à la grandeur de l’agrandissement ou au support high tech de l’encadrement,
le tout, bien sûr, alimentant un business « juteux »,
mais surtout produisant la mode des photos hyperréalistes, au moindre détail souligné, ou alors, ces images retouchées, trafiquées, issues des techniques publicitaires, quand la technique permet finalement de mentir, de trahir, de falsifier toute réalité.
Rien ne vaut, selon moi, la simplicité de la technique photographique,
où l’intention, l’esprit, la subjectivité de l’auteur peut le mieux se révéler.
Pour revenir à la peinture et ses liens avec mes photos,
le sous-titre de l’exposition « en pensant à Mark Rothko » peut aider à sa compréhension.
Biographie de Mark Rothko
Pour ceux qui ne connaissent pas Mark Rothko, voici un aperçu de sa vie :
Mark Rothko (1903 – 1970)
Marcus Rothkowitz est né en 1903 à Dvinsk, en Russie – actuelle Lettonie.
Sa famille, d’origine juive, émigre aux Etats-Unis en 1910.
Il met assez longtemps avant de se trouver : sa formation et ses activités sont éclectiques : des études universitaires où philosophie et psychologie l’intéressent particulièrement, puis il travaille à New York comme comptable, s’inscrit à un cours de dessin, participe à une troupe de théâtre, étudie l’art graphique, travaille dans la publicité, dessine et peint des paysages, tout en jouant assidûment du piano.
En 1933 : première exposition personnelle à Portland, où il présente des dessins et aquarelles.
A partir de 1935 il participe pendant plusieurs années à un groupe d’artistes expressionnistes de New York ‘the Ten » pour des expositions collectives.
Pendant la dernière guerre, il est fortement influencé par le surréalisme, étudie les mythologies, sources d’inspiration de ses tableaux, se réclame de la philosophie de Nietzsche et son sens tragique de la vie. Il est qualifié en 1945 de peintre « abstrait mythomorphe ».
Après la guerre, il participe à un mouvement d’artistes d’avant garde, plus tard appelé « l’expressionisme abstrait » : Newman, Motherwell, Rosenberg, Pollock, de Kooning, Gotlieb, Still, etc…
Il donne de nombreux cours à des étudiants où il théorise sa vision de l’art : un art tragique, à vocation spirituelle et rédemptrice d’une société occidentale, figée sur ses dogmes.
Il évolue progressivement vers un art abstrait de plus en plus dépouillé, sur des toiles de très grand format, où commencent, dès 1950, à se rencontrer de grands rectangles de couleurs vives destinés à immerger le spectateur « à l’intérieur du tableau ».
A partir de 1957, Rothko évolue vers des tonalités plus sombres.
En 1958 : une commande lui est passé pour exécuter la décoration murale d’un restaurant Four Seasons dans le Seagram Building de New York. Un an après, il trouve ce restaurant tellement prétentieux et de mauvais goût, qu’il décide d’annuler la commande et faire retirer ses tableaux, dont une dizaine se retrouvera en 1970 à la Tate Gallery de Londres.
Dans les années 60, Rothko est célèbre, il participe à l’investiture de John Kennedy en janvier 1961, tous les grands musées du monde se disputent ses tableaux pour des expositions.
Mais il est contrarié et offusqué par l’arrivée du Pop Art et le succès de tous ces artistes autour d’Andy Warhol qu’il traite de « charlatans et d’opportunistes », dans un anti-art mercantile et superficiel, qui est exactement le contraire de ce qu’il a toujours prôné.
1965 – 1967, Rothko travaille surtout aux tableaux destinés à la chapelle de Huston, qui sont une sorte de couronnement et de testament spirituel de son oeuvre. Il prend place parmi tous ces artistes, qui, en décorant chapelles et églises, ont voulu mettre leur art au service de l’élévation spirituelle de l’être humain (de Michel ange à Matisse).
Usé par son travail, gravement malade, esseulé – il vient de se séparer de sa compagne Mell – Rothko se suicide le 25 février 1970
Son destin marqué du sceau du tragique, fait irrésistiblement penser à celui d’un autre génie de la peinture, émigré russe lui aussi, Nicolas de Staël, qui en Europe, à peu près à la même période, fut le chef de file de « l’abstraction figurative ».
Il se trouve que Rothko et Nicolas de Staël, sont mes deux peintres préférés. »
Mark Rothko,et sa conception de l’art pictural
Il y a dans l’oeuvre de Mark Rothko la volonté de donner à son art, un sens fort, c’est à dire la dimension spirituelle la plus haute.
Voici quelques réflexions à ce sujet en relation avec le Ciel et de la Mer.
« A partir d’une surface monochrome, il sature la toile, puis estompe les contours des deux grandes formes rectangulaires disposées de front, orchestrant des modulations de lumières colorées, immatérielles. »
commentaire d’un tableau de Mark Rothko (untitled 1964)S’immerger complétement dans le Ciel et la Mer,
comme l’on s’immerge dans les couleurs
d’un tableau de Rothko.Dans sa monumentalité picturale
Rothko tente ce rapprochement impossible avec le Ciel et la Mer,Rothko, c’est l’effort de la vision du champ total,
exactement ce que nous demandent le Ciel et la Mer.Les tableaux de Rothko outrepassent le domaine de l’art,
comme le Ciel et la Mer,
s’adressant au niveau le plus élevé de l’expérience sensible.Rothko voulait subjuguer la conscience humaine par l’art ;
ce fut un échec,
mais pour le consoler :
le Ciel et la Mer, non plus, n’y arrivent pas depuis millions d’années.Il y a dans les tableaux de Rothko un effet de présence menaçante,
comme souvent le Ciel et la Mer
à l’approche de la nuit ou d’un orage.« Vous devenez cette couleur, vous êtes entièrement saturé de couleur,
une grande peinture vous prend en elle »
Ainsi s’exprimait Rothko.On dit aussi qu’il avait une intention tyrannique
envers les spectateurs de ses tableaux,
c’est la même chose pour le Ciel et la Mer,
ils règnent sans concession sur la terre.Arracher le spectateur à son monde historique
était la tâche que s’était assignée Rothko,
arracher l’homme à sa matérialité
telle est la tâche du Ciel et de la Mer.« Ce n’est pas à l’oeil, c’est à l’esprit
que le peintre de génie désire s’adresser. » Mark Rothko
Il vient de paraître un livre intéressant mais surtout très poétique sur Mark Rothko :
« Mark Rothko, rêver de ne pas être » de Stéphane Lambert aux éditions Arlea mai 2014 (7 euros).
Par ses grands formats, Rothko a cherché à amplifier l’intimité avec ses toiles, à être totalement dans ce qu’il peint, A disparaître.
Tags : ciel, mer, peinture, photographie, vision
Super, du Alain G. tout pur.
Comment faire pour photographier la transparence?
AMITIE
Armen
merci Armen. Je crois savoir qu’en peinture la transparence est rendu par la technique du glacis, c’est à dire la superposition des couches de couleurs différentes.
En photo, c’est plus difficile ; pour ces photos, il y a eu parfois une sorte d’effet hasard des pixels de couleurs différentes qui se mélangent curieusement, en donnant l’impression qu’il s’agit de peinture.
Les mots Vide et apeuré me choquent. Pourquoi ?
Le 1er texte (celui qui commence par « En cette époque empêtrée d’objets et d’images) je ressens le bien-être d’être en face de deux éléments qui nous fondent, une sorte de plénitude.
Mais alors le texte de Tchouang-tseu l’un qui parle du Vide et l’autre parle d’un nautonier « apeuré », je demande pourquoi : »pourquoi Alain mettez-vous ces deux auteurs Marck Rothko et Tchouang-Tseu en résonance ?
Ces photos expriment beaucoup mieux la plénitude spirituelle que les tableaux de Mark Rotko.
Je ne comprends pas très bien votre question Anne-Marie : « un nautonier apeuré » ??? je ne comprends pas.
Par ailleurs, je n’ai pas voulu mettre Tchang-Tseu et Rothko en résonance, car ils n’ont pas la même vision spirituelle, celle de Rothko étant plus tragique, surtout à la fin de sa vie, et il n’a jamais parlé du Vide à ce que je sache.
Si je parle du Vide dans mes poèmes sur le Ciel et la Mer, c’est en mon nom que je parle et non par rapport à Rothko, et là, bien sûr, pour moin le taoïsme est présent.
Mais si je pense de même à Rothko en prenant ces photos et en les exposants, c’est pour autre chose : d’abord le Ciel et la Mer me font penser à l’immensité frontale des derniers tableaux de Rothko, où il y a seulement deux plans rectangulaires qui se disputent la toile et qui recouvrent littéralement le spectateur de leur Présence incroyable. Il s’agit alors d’une sorte d’immersion dans le Tout, avec une sensation d’infini, qui fait partie pour moi de l’expérience spirituelle et que Marc Rothko a cherché à provoquer chez le contemplateur de ses tableaux.
Tchang-Tseu n’est pas vraiment là, en résonance, même si je pense qu’il aurait été très à l’aise avec les tableaux de Rothko et peut-être avec mes photos ; mais il préférait son petit coin de nature où il pêchait tranquillement, en écrivant des histoires spirituelles au sens de drôles.
« maintenant il navigue apeuré entre Ciel et Mer » En cherchant, j’ai trouvé que le sacré provoquait fascination et peur. Comme la notion de sacré m’est étrangère, il m’est difficile d’aller plus loin.
Oui, j’ai aimé les photos et elles expriment beaucoup mieux la dimension spirituelle que ce qu’a cherché à exprimer Rothko. Maintenant, Rothko est juif et les juifs ont un sens aigu du sacré. Mais le sacré est-ce que ça existe ou est-ce que ce n’est pas une illusion de plus, ne doit-il pas être dépassé ?
Je suis reconnaissante à Tchouang-Tseu d’écrire que « C’est seulement dans une barque
que l’homme pouvait dialoguer avec le Ciel et la Mer », mais il faut oser et continuer son aventure « seul(e) et courageux(se), pour le grand voyage ». Les juifs savent qu’on ne rencontre Dieu qu’en exil, ou dans les situations périlleuses.
ah oui, je comprends, Anne-Marie. cette phrase : »maintenant il navigue apeuré entre Ciel et Mer », ne désigne absolument pas Rothko, il s’agit d’une métaphore de ma mythologie personnelle.
Cela veut dire tout simplement que l’homme contemporain a détruit toutes les barques traditionnelles en bois, où il pouvait autrefois prendre le temps de ressentir, comme vous le dites, le « sacré » du Ciel et de la Mer – sacré dans mon esprit cela veut dire « qui a un lien avec le divin », en particulier les éléments de la nature, comme le Ciel et la Mer.
Maintenant que l’homme contemporain s’est affublé de tous ses objets techniques sophistiqués, comme par exemple les horribles zodiaques à moteur qu’il utilise sur la Mer pour aller plus vite, il n’a plus la possibilité de se relier au sacré ou au divin de la nature ; il s’en trouve apeuré et angoissé.
Par ailleurs le sacré n’est pas l’apanage des juifs, c’est une notion qui existe dans toutes les cultures à partir du moment où le divin est présent par opposition au profane. Dans la culture chrétienne, on peut très bien dire aussi qu’une église est un lieu sacré
“Ce n’est pas à l’oeil, c’est à l’esprit que le peintre de génie désire s’adresser.” Mark Rothko
D’accord, mais devant tant de beautés naturelles, généreuses, inspiratrice d’enthousiasme, pourquoi sa peinture est-elle si violente ?
« Arracher le spectateur à son monde historique était la tâche que s’était assignée Rothko » je vous crois, mais n’a-t-il jamais envisagé que l’Esprit pouvait le rechercher comme interlocuteur ? Et s’il avait conscience que l’Esprit le rechercher, pourquoi agresse-t-il ses visiteurs ? Je n’ai jamais cru que l’art pouvait faire mieux que l’Esprit et si nous avons un esprit pour en prendre conscience, c’est de la reconnaissance que j’éprouve et rien d’autre. A chacun son chemin.
Ce monde est merveilleux ! tant de diversités, tant de richesses, tant de couleurs, tant de nuances. La réalité dépasse la fiction, suffit d’être attentif et de confronter ses croyances avec ce qui nous est donné de vivre.
Connaissez-vous bien la peinture de Mark Rothko, Anne-Marie. Je ne pense pas que l’on puisse dire qu’elle est violente, au même titre par exemple qu’un Pollock. Sa peinture est essentiellement contemplative, il faut se laisser imbiber lentement, silencieusement, par la monumentalité des formats, un peu comme devant le Ciel et la Mer. A la fin de sa vie, dans la dernière année, quand sa peinture s’assombrit, elle n’est pas violente, elle est triste, mais il était malade et se savait condamné.
Quand à une certaine violence verbale, dans les citations que j’ai choisies « arracher le spectateur à son monde historique… », cela vient de sa vision nietzschéenne, tragique, de la vie humaine, vision que personnellement je partage aussi, au sens où l’histoire humaine m’apparait au niveau collectif comme une vaste tragédie, dont on ne voit pas la fin, mais plutôt « l’éternel retour ».
Ce qui ne veut pas dire qu’au niveau individuel on ne puisse pas s’arracher à cette sorte de malédiction par différents moyens, dont l’art, dont la contemplation de la nature – à chacun ses moyens.
D’accord pour la monumentalité, c’est en effet un esprit nietzschéen.
Je pense que les humains sont trop convaincus de l’obligation de mourir pour ne pas tenter l’impossible. Comme je doute de notre intelligence et de notre bonne foi, je ne suis pas convaincue que la mort soit une obligation. L’homme est mortel cela est certain. Par contre je crois aussi que c’est nous qui déclenchons le processus de dégradation et de confusion(ou l’inverse, confusion et dégradation). J’ai constaté un besoin de reconnaissance qui frise la folie, je l’ai mis sur le compte de la peur de disparaître ? ne pas être aimé ? reconnu ? laissé une trace ? Le besoin d’être compris est aussi la plainte générale, mais peut-être que cela vient du même besoin d’être justifié par un regard ami ? Nous sommes responsables de ce qui nous arrive et de la mort en particulier, c’est ce que je crois.
« l’histoire humaine m’apparait au niveau collectif comme une vaste tragédie ». Je crois que nous avons une imagination très fertile et au lieu de nous considérer comme des primates, nous souhaitons « pour l’honneur de l’humanité »…… Alors nous avons créé des institutions….contre lesquelles je m’insurge parce qu’elles font croire aux enfants des mythes, des légendes, des salades. L’humilité de la violette me convient, tout comme la bonté de la nature toute entière. Elle est parfois cruelle mais jamais monumentale, elle peut nous impressionner mais pour nous mettre en question.
Je viens de trouver ceci et je pense à vous (vous dans le sens lecteurs du blog) tiré de Lévinas et Platon
« Pourtant, le même Levinas accuse cette même philosophie contemporaine, sinon la philosophie dans toute son histoire, d’avoir triomphé du platonisme par une victoire à la Pyrrhus en évacuant, avec la transcendance, la dimension irréductible de l’éthique. Si toute « l’histoire occidentale a été une destruction de la transcendance », lisons-nous dans « Dieu et la philosophie »2, la philosophie ne se limitant pas à la connaissance de l’immanence mais s’identifiant à cette immanence même, c’est parce que la philosophie tout entière est demeurée soumise à l’idée de totalité. Levinas fait ici un usage critique de la catégorie qu’il récuse pour redonner un sens à ce qui excède la totalité. Ce qu’il nomme en effet « l’autre de l’être », « autrement qu’être », ou bien encore, dans le titre de son second grand ouvrage, « au-delà de l’essence », c’est l’exigence du Sens comme premier par rapport au « monde des significations » de Platon comme au « langage et à la culture » des modernes. Le pluralisme des significations, attaché à l’ordre culturel, n’est jamais la cause, mais l’effet d’une « orientation et d’un sens sans équivoque où l’humanité se tient ».
Dès lors, il convient de distinguer les significations et le sens, et non seulement les significations idéales et leurs expressions historiques de façon à ce que « le sens » soit correctement posé comme « orientation » et unité de l’être, plus encore comme « l’événement primordial où viennent se placer toutes les autres démarches de la pensée et toute la vie historique de l’être »3. Ce sens unique et immémorial, « sens des sens », analogue à « la Rome où mènent tous les chemins » ou, mieux encore, à « la symphonie où les sens deviennent chantants, le cantique des cantiques »4, est pensé, on le sait, comme un élan vers l’Autre où se laisse deviner ce que Levinas appelle « la droiture de la signification », un arrachement à la philosophie traditionnelle qui peut nous permettre, risque l’auteur, de « revenir de façon nouvelle au platonisme »5.
http://noesis.revues.org/6
Bonjour,
J’ai bien fait d’attendre d’avoir vu l’exposition avant d’émettre un commentaire. Je m’y trouvai dimanche après-midi, seule et contente de l’être pour pouvoir apprécier sans être dérangée. Que dire après avoir vu tant de beauté et lu des poèmes inspirés ? Révéler seulement quelques impressions :
Vous dites: »Photographier le Ciel et la Mer, c’est mission impossible ». Il ne me semble pas, d’après ce que j’ai vu. Bien sûr la photo rétrécit le champs de la réalité, et le photographe doit avoir en permanence un sentiment de frustration; mais un petit effort d’imagination permet de recréer l’ampleur des éléments, et d’apprécier à sa juste mesure le travail de création de la nature, et l’inspiration qu’elle a fournie au poète.
Photographier le Ciel et la Mer, c’est une variation sans fin sur l’horizontalité: la ligne d’horizon, les bancs de nuages, les striures des vagues, comme si le Ciel et la Mer voulaient nous installer dans la stabilité, alors qu’ils sont eux-mêmes sans cesse instables, changeants et fluides; stabilité parfois bousculée par un ironique point d’exclamation oblique.
Photographier le Ciel et la Mer, c’est une variation encore plus foisonnante sur les couleurs; une variation infinie, d’une richesse de palette qui n »existe nulle part ailleurs dans la nature, toujours renouvelée, jamais la même, et d’une beauté parfois à couper le souffle, qui évoque aussi bien le Big Bang de la Création qu’un champ de neige, un orage prêt à éclater qu’une aube d’une grande douceur.
Bref, je ne regarderai plus jamais la mer de la même façon, même si je n’ai pas la possibilité d’en observer toutes les facettes.
Mais vous avez raison d’avertir: « Homme, ne t’approche pas trop près du Ciel et de la Mer », car le Ciel, maître des lieux, peut parfois « entrer en grand courroux » et entraîner la Mer dans sa colère: la tragédie que vivent actuellement les Philippines, après tant d’autres, est là pour en témoigner. L’homme se sent alors bien petit devant la puissance de la nature, et se demande comment il a pu survivre à tous ces déchainements de violence.
J’ai aussi beaucoup aimé certaines oeuvres du sculpteur Castronovo. Son alliance de matériaux contrastés, sa juxtaposition de zones travaillées et de zones restées brutes donne, à mon sens, beaucoup de force à ses productions.
Merci pour cette belle exposition et ses compléments; j’en suis sortie émue, et c’est pour moi la définition même de l’art.
Merci beaucoup Claudine pour ces compliments, cela fait du bien.
Oui, il y a quelque chose d’impossible que de photographier le Ciel et la Mer, c’est un peu comme si on voulait parler du Vide, de l’Etre, de Dieu, de l’Infini qui nous enserre de partout, les mots sont insuffisants et inadéquats, de même que les images.
Il ne reste qu’une émotion, comme vous le dites si bien et c’est cela qui est important : une émotion en face de la transcendance, dont pour moi effectivement, c’est le sens de l’art que de s’en approcher.
Continuez, merci, ce que vous produisez est plein de lumière, de joie, de souvenirs heureux !