En ces temps troubles et confus,
où tout est oublié
– même la mort –
hygiéniquement dissimulée derrière ces incinérateurs
dépourvus de sens,
où des familles démembrées
viennent verser une larme de convenance,
il faut courir voir le film :
« Le dernier voyage de Tanya »,
avant qu’il ne disparaisse définitivement
emporté lui aussi dans l’oubli
de ces temps troubles et confus.
Vous participerez alors avec recueillement et ferveur
à un haut moment de poésie
autour d’un des derniers rituels funéraires
venant d’un trou perdu de Russie,
gangréné lui aussi par ces supermarchés clinquants
se dressant à l’horizon bouché.
Vous y verrez ébahis, bercés par une longue mélopée,
deux hommes inspirés
occupés à conduire une femme amoureusement
vers sa dernière demeure.
Après avoir acheté symboliquement deux passereaux,
il faut d’abord laver méticuleusement son corps nu
en l’aspergeant de vodka,
puis embarquer sur un 4 x 4, glisser sur des routes interminables,
désespérément droites au milieu de campagnes désolées,
jusqu’au grand fleuve,
où attend la barque du passeur.
Sur une plage de sable, les deux hommes dressent le bûcher,
copieusement arrosé encore une fois de vodka,
et quand le corps de la femme sera brulé,
on confiera ses cendres amoureusement
au grand fleuve.
En sortant du cinéma,
dans une galerie marchande désertée,
croisant des ombres errantes dans le froid de l’hiver,
on se sent soi-même un peu de l’Autre Côté,
dans cette espèce de liberté intérieure
que donnent parfois
les grands films inspirés.
Tags : chamanisme, cinéma, mort, poésie