Le Grand Incinérateur en face de chez moi
a belle allure,
avec son panache de fumée éternel
s’élançant à la conquête du ciel,
comme s’il voulait faire concurrence aux nuages,
faire mieux que les nuages,
pour recouvrir et assombrir la grande ville
des cendres de sa fumée.
Le Grand Incinérateur est très fier de sa technologie,
il ne supporte aucune critique
comme ces divinités de la science imbues de leur supériorité,
et il se plaît à répéter sur tous les médias :
Ne vous inquiétez pas, il n’y a pas soucis !
Ce panache de fumée ne présente aucun danger, aucune toxicité,
c’est de la fraîche vapeur d’eau pour vous parfumer ;
d’ailleurs, je sais maintenant trier tous vos objets,
à l’aide de mes robots, je fais du compost et recycle le papier,
tandis que ma douce chaleur s’en va réchauffer les foyers du quartier.
Le Grand Incinérateur est un dieu tutélaire
régnant sans partage sur l’époque actuelle,
il souffle avec confiance son panache de fumée
le déployant comme un étendard sur la grande ville,
pour nous rappeler la noblesse de sa fonction :
il souffle nuit et jour sa fumée
pour réduire en poussière la prolifération de tous ces objets de consommation
qui pourrait nous engloutir de leur maléfice addictif,
– c’est un accélérateur de destruction matérielle (un ADM).
Mais c’est dans sa dimension spirituelle que le Grand Incinérateur se surpasse :
pas besoin de bibles, de testaments, de sutras ni de corans,
il nous clame haut et fort, dans la gloire de son étendard triomphant :
« Tout est fumée, tout est panache de fumée…
toute vie est éphémère, dans l’impermanence nécessaire,
tout est poussière…
Et tous ces objets pour lesquels vous courez,
vous vous étripez, vous vous damnez,
tous ces objets, il est inutile de s’y accrocher, de s’y identifier,
car je les brûle tous sans exception dans mon ventre d’acier,
je les réduis inexorablement en poussière,
en cendres puis en fumée,
afin qu’elle trouve le chemin du ciel
et s’évapore pour rejoindre la Vacuité…
