C’est la Toussaint,
c’est le jour de la fête des morts.
Pour le calendrier celte, c’était le jour le plus important,
car dans la nuit du 31 au 1er novembre, on pouvait communiquer avec les morts,
les portes étaient ouvertes entre le monde des vivants et le monde des morts,
et certains esprits facétieux pouvaient même se glisser durant cette nuit
pour jouer des tours aux vivants
– ce qui a donné de nos jours Halloween.
la mort nous a été confisqué
dans notre culture occidentale, issue des soit disant « Lumières »,
cette fête ne veut plus rien dire.
Cela a commencé au Moyen-Age,
quand « la fête des morts » trop païenne pour le christianisme,
a été dévoyée en une fête pour tous les saints (la Toussaint).
Actuellement, dans notre société de l’hyperconsommation matérialiste et hédoniste,
le déni de la mort a pris des proportions extravagantes.
Cela commence à l’hôpital avec le corps médical ;
il a fait du combat contre la mort, son challenge principal,
avec un arsenal thérapeutique qui dégénère souvent dans l’acharnement.
Et quant vient le moment sacré de la mort,
au lieu d’être conscientisé et accompagné dans l’amour,
ce moment est le plus souvent médicalisé, c’est à dire chlorophormé
dans l’inconscience et l’insensibilité de la camisole chimique médicamenteuse.
Ensuite vient l’impossibilité de veiller le mort, au moins trois jours dans sa chambre, comme le recommandent toutes les grandes traditions spirituelles.
Il y a sûrement là un problème de rentabilité et d’occupation des lits,
car le corps du mort est le plus rapidement possible confisqué
dans les petites cases bien fermées des chambres funéraires.
Enfin, le pire, c’est sûrement cette cérémonie minimaliste,
ce rituel hygiénique, pragmatique et rentable,
de cette nouvelle mode de l’incinération,
où tout se passe, comme partout ailleurs, au pas de course,
afin que le corps soit le plus rapidement possible réduit en cendres,
c’est à dire la mort oubliée, abolie, vidée de son sens et de sa substance.
Il faut réintégrer la mort dans la vie
non point par une propension macabre et mortifère,
mais pour rétablir l’équilibre,
et redonner à la mort sa juste place qui appartient à la vie,
car sans la mort, la vie boîte d’anxiété, la vie devient insensée, la vie est ignorance
– en témoigne le cortège des crimes et des assassinats de toutes sortes, dont se repait sans cesse la folie des médias.
Le plus beau cimetière marin
Pour honorer la mort dans toute sa profondeur et son mystère,
j’aime me promener dans les cimetières.
Aujourd’hui, je vais vous présenter le plus beau cimetière que je connaisse.
C’est un petit cimetière marin situé sur une île de Bretagne, l’île d’Hoedic,
où je vais souvent en pèlerinage.
Autour de l’église qui domine l’île, sont clairsemées les tombes,
dans un agréable désordre, au milieu des fleurs et des herbes folles.
La coutume est à la simplicité pleine de poésie et de sagesse ancienne :
les tombes sont délimitées par des coquillages et des galets blancs empruntés à la plage,
sur le sable qui tient lieu de pierre tombale, des touffes de plantes
venant de la lande avoisinante,
tout est ouvert aux quatre vents et à l’horizon de la mer.
Alors, le passage s’ouvre entre le royaume des morts
et le séjour éphémère des humains sur terre,
et de cette brèche de lumière tout droit venant du ciel,
quelques messages se déposent sur les tombes, que je ne peux m’empêcher de vous transcrire fidèlement :
Paroles sacrées de l’Ailleurs :
La mort n’est rien,
Je suis seulement passé dans la pièce d’à côté,
Le fil n’est pas coupé.
Pourquoi suis-je passé hors de vos pensées,
Parce que je suis hors de votre vue ?
Je ne suis pas loin,
Juste de l’autre côté du chemin.Ce que j’étais pour vous, je le suis toujours.
Parlez moi comme vous l’avez toujours fait.
N’employez pas un ton différent,
Ne prenez pas un ton solennel et triste.
Continuez à rire de ce qui nous faisait rire ensemble.
Que mon nom soit prononcé à la maison
Comme il l’a toujours été,
Sans emphase d’aucune sorte,
Sans une trace d’ombre !La vie signifie tout ce qu’elle a toujours été.
Je suis tellement d’accord avec ce que tu dis.
La mort et tout ce qui s’en suit de buisness , de contingence materielle est deshumanisée comme elle ne l’a sans doutes jamais été. Ce n’est pas un sujet politiquement correct , donc plus personne ne s’en offusque pas même les prêtres .
Des sociétés les plus anciennes aux plus « primitives » on traite ce moment particulier avec beaucoup plus d’égard et de compassion que l’on peu le faire aujourd’hui.
L’architecture des centre d’incinérations est la même que celle des SUPER MARCHES !!!
Je trouve cela assez éloquent , mais tellement consternant.
A t’on vraiment progressé sur ce sujet aussi important ?
Une belle réforme dans les institutions et dans les esprits reste à faire.
Encore faut il le vouloir , mourrir dans la dignité aujourd’hui de-meure aussi une grande utopie.
Merci pour ce billet,
Vous posez la question : « A t’on vraiment progressé sur ce sujet aussi important ? ». Personnellement je pense que nous avons régressé. D’ailleurs, il s’agit d’une régression générale dans tous les domaines de la vie, et surtout dans le domaine économique, où le soit disant progrès – la fameuse croissance – nous conduit droit au mur ; mais la régression pèse aussi sur ce sujet de la mort, où le système consumériste, matérialiste et hédoniste, allié au système de la science médicale, ont jeté leur dévolu. Entre l’hôpital et le crématorium qui ressemble à un incinérateur industriel – la confusion n’est pas anodine – la marge de liberté spirituelle reste minime.
Mais, comme l’indique aussi Claudine, cette marge existe et la cérémonie peut aussi dans certains cas s’émanciper du Système régressif et être très belle. Cela va dépendre en fin de compte de la famille du défunt, et de ce que j’ai envie d’appeler « sa maturité spirituelle » – chose rare à notre époque, mais qui existe encore, dieu soit loué !
la « marge de manoeuvre » pour la famille est très réduite dès lors que la personne échappe à la sphère privée et se trouve « confisquée » par le corps médical…. Dans un hopital, après le décès, vous retrouvez votre proche dans un sac plastique en moins d’une heure, et ensuite, direction la morgue…, plus rien jusqu’à l’enterrement. Il y a là un vide, un espace difficile à investir, où la famille est renvoyée à l’impuissance… Pas du tout confortable, une fois le choc passé, de constater que l’on n’a pas pu être présent…
Bonne soirée
oui, Michèle, cet espace de non-droit que constitue l’hôpital pour le patient et sa famille – surtout en fin de vie -, est quelque chose d’absolument intolérable. Je prône le fameux devoir d’indignation cher à Stéphane Hessel, et que cette indignation se propage de proche en proche, afin que le pouvoir médical finisse par comprendre que les choses là aussi doivent changer et que le temps de son absolutisme est fini.
Bonjour. Ce cimetière marin, si modeste mais si beau, me touche beaucoup; de la même façon que me plaisent les cimetières des pays nordiques, grands jardins engazonnés ou chaque tombe se manifeste seulement par une croix et des fleurs. Mais je déteste les cimetières avec pierres tombales et monuments rivalisant parfois d’ostentation. De même que je détesterai être prisonnière d’un double sarcophage pompeux de bois et de pierre.
C’est pour cela que la crémation (j’ai appris récemment que le mot « incinération » devait être réservé aux déchets…) et l’éparpillement des cendres dans un lieu choisi me paraît être la meilleure solution pour ceux qui veulent rester en contact avec la nature ou même s’y fondre. La cérémonie qui précède peut très bien être très belle et/ou religieuse si le futur défunt ou son entourage le souhaite.
Merci pour ces divers de réflexion, toujours enrichissants.
Merci, je partage pleinement toute cette vision de la mort. La place qu’on lui laisse, c’est à dire à peine un strapontin, est le symbole, je devrais dire, le symptôme, de toute cette fuite en avant si chère à notre société. C’est comme un puit sans fond où l’humain tombe sans plus pouvoir donner de sens à sa vie, sens déjà difficile à trouver, dans cette quête qu’est notre voyage. C’est ce qui fait le lit de la toute-puissance et de cette illusion du pouvoir dans laquelle il est si facile de se mirer… Mais l’Etre n’y trouvera jamais son compte. Alors cela devient un exercice de haute voltige de maintenir ce grand écart entre l’illusion et la réalité de nos limites.
Bon… question d’entrainement et bons adducteurs ;-)
Bonne soirée
merci Michèle pour ce beau message. Oui, cette course aux biens matériels de consommation « toujours plus et toujours plus vite » ne fonctionne que par une absence de conscience de l’Etre dans sa finitude et ses limites, dont la plus importante est la mort. Inutile de courir, quand je sais que la seule certitude de cette vie est ma mort. La conscience de la mort rétablit une sorte d’équilibre intérieur, une profondeur, une lumière, une sagesse. C’est d’ailleurs pour cela que dans le bouddhisme tantrique, il était conseillé de pratiquer la méditation dans les champs de crémation, cela pouvait contribuer à l’éveil de la conscience.