Le retour de Han Shan

Han Shan (Montagne Froide) est un grand poète chinois du 7e siècle ; il se donna ce nom en référence à la montagne où il choisit de s’exiler et de s’installer, pour fuir la grande ville et le monde décadent de son époque.
On ne sait pas grand chose de la vie de ce personnage fantasque ; il reste seulement de sa présence trois cent poèmes écris sur les parois des cavernes et sur les arbres aux alentours des lieux où il vivait. Mais il devint rapidement un personnage mythique, illustrant la tradition bouddhiste de la « folle sagesse », que les peintres des époques suivantes ont représenté fréquemment, hilare avec un rouleau de poèmes à la main.

Douze siècles plus tard, en Occident, c’est le retour de Han Shan :
il connait un regain de popularité, grâce aux poètes américains des années 60 de la « beat generation » ; c’est le jeune sinologue et poète Gary Snyder qui le traduit et le fait connaître à Jack Kerouac. Han Shan devient pour tous ces jeunes gens en révolte contre la société de l’époque, l’inspirateur d’un mode de vie simple, proche de la nature, porteur de valeurs nouvelles, diamétralement opposées à celles de la société occidentale, empêtrée dans son matérialisme prédateur.
Parmi ces valeurs, c’est la spiritualité de Han Shan qui intéresse particulièrement, fondée sur l’observation et la fusion avec la nature, loin des traditions religieuses poussiéreuses et rébarbatives. Ce qui fascine aussi c’est sa poésie naturelle et dépouillée, vecteur de transmission de cette spiritualité, et source d’admiration et d’inspiration pour toute une génération de poètes .
Etrange et fascinant pouvoir de la poésie se riant du temps, des siècles et des cultures, resurgissant du plus lointain de la mémoire humaine pour nous parler et nous revivifier ; poésie toujours aussi précieuse et porteuse de sens pour l’époque actuelle, perdue dans une crise profonde, où c’est justement le rapport à la nature qui fait question et cette terrible déperdition de sens due à l’absence de spiritualité.

Tout cela est remarquablement exprimé par Catherine Yuan et Erik Sablé dans leur présentation et leur traduction de « Han Shan, le chemin de la Montagne Froide » aux éditions Terre Blanche – un épatant petit livre blanc qui se glisse facilement dans la poche et que l’on peut déguster à tout moment, immodérément.
Voici deux poèmes de Han Shan choisis dans ce petit livre :

“Montagne Froide est encore plus resplendissante
dans ses profondeurs,
Pourtant personne n’empreinte son chemin.
Des nuages blancs flânent paisiblement autour des sommets,
Un singe crie près des pics émeraude.
Sans ami ni parents,
Je vieillis en suivant librement le cours des choses,
Mon corps et mon visage change, tout comme le froid devient chaud,
Mais la perle du coeur demeure inaltérable.”

“Je trouve ma joie dans le chemin de chaque jour.
Au milieu des brumes et des cavernes de pierre.
Me réjouissant dans la nature sauvage,
grande est ma liberté.
Les nuages blancs sont mes compagnons.
Il y a des routes, mais elles ne mènent jamais dans le monde des hommes.
Mon esprit est libre : qui pourrait encore l’illusionner ?
Dans mon lit de pierre, je m’assois seul dans la nuit,
Pendant que la lune ronde grimpe sur Montagne Froide.”

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