Un laboratoire spirituel à ciel ouvert
Les médias ne voient que ce qu’ils peuvent voir, c’est à dire ce que leur permet leur déterminisme culturel et économique du moment :
un catastrophisme émotionnel, rempli d’images-chocs pour « scotcher » le spectateur à son écran (audimat oblige…) ; un sentimentalisme mièvre avec ce bébé horriblement balafré que le médecin-héros vient sauver ; un tragique thriller avec toutes ces bandes armés venant propager le pillage au milieu des décombres et appelant les justiciers ; l’efficacité occidentale avec ses avions-cargos, ses containers de médicaments, ses stocks alimentaires, ses soldats et ses sauveteurs, etc, etc…
J’ai vu aussi autre chose, dont on a très peu parlé. J’ai vu aussi, surtout dans les premiers jours, l’incroyable calme et dignité de tout un peuple projeté brutalement dans l’espace de la mort collective, marcher par les rues dévastées, avec ce visage grave, ce regard profond, cette sorte de grâce dans les gestes, dans les mots, dans la manière de s’habiller, malgré l’absence d’eau et de nourriture, malgré la perte de leurs proches et de leurs maisons. Comment cela est-il possible ?
J’ai cru entrevoir la réponse, quand dans le seul hôpital encore debout, au milieu des gravas et de la poussière, une jeune femme, lavant lentement les plaies de sa soeur, a répondu calmement, avec un sourire, à la question de la journaliste lui demandant comment elle faisait : « j’ai foi en Dieu ». J’ai cru entrevoir la réponse, quand dans la nuit, à ciel ouvert, un groupe d’hommes et de femmes, les bras levés au ciel, chantaient d’une voix juste et mélodieuse, cantiques et chansons, avec une étrange lumière dans les yeux. J’ai cru entrevoir la réponse dans la bouche de cet homme assis devant sa maison écroulée, ayant tout perdu, qui remerciait Dieu de l’avoir épargné.
Je me suis même dit que cette ville « Port aux Princes » portait bien son nom et que ces hommes et ces femmes étaient bien « princes et princesses », d’une incroyable dignité face à la mort, face à l’adversité. Je me suis dit que ces hommes et ces femmes n’avaient plus rien pour se nourrir, mais ils savaient se nourrir d’une autre manière, qui s’appelle solidarité et spiritualité – une autre efficacité essentielle, celle dont on a besoin face à la mort. Quelle leçon, ils nous ont donné ! Quelle leçon de vie et de mort mêlées, pour nous, englués dans notre unique dimension matérielle, avec nos anxiétés dérisoires, nos obésités d’abondance, notre efficacité prédatrice.
Mais ce laboratoire spirituel de Port aux Princes n’aura pas servi à rien. Il a aussi soulevé une vague d’entraide, d’altruisme, de solidarité sur toute la planète (réflexion 3).
Tags : catastrophes, religions, société, spiritualité
je suis très touchée par tes textes…
par la profondeur de la réflexion, la simplicité apparente et les valeurs exprimées
à faire connaître…