Impossible de parler du rire sans parler du sourire,
Pourtant, il y a peu d’écrits sur le sourire, à la différence du rire,
et ceux qui se lancent, ne font souvent pas de distinction, ils sous-entendent une identité ou une continuité,
se fiant ainsi sans doute à l’étymologie des mots.
Mais le sourire, tel que je le conçois, n’est pas en dessous du rire,
bien au contraire, il a sa propre nature, sa spécificité ses vertus thérapeutiques particulières dans une autre dimension que celle du rire.
Une continuité physiologique et musculaire ?
Les physiologues, ces chercheurs dotés de l’aura de la culture scientifique dominante, ont d’abord voulu montré la continuité du sourire et du rire, en observant, chiffres et mesures à l’appui, combien le sourire était juste en dessous du rire , aussi bien pour les contractions musculaires que pour la respiration ou l’intensité émotionnelle :
en laboratoire, en stimulant électriquement le grand zygomatique, principal muscle de la lèvre supérieure, à l’aide de courants d’intensités variables, ils ont produit des expressions qui vont du sourire aux contorsions faciales typiques du gros rire.
Bizarre… personnellement je ne ressens pas du tout cette continuité …
Le sourire est du côté de la détente
le sourire me semble au contraire du côté de la détente des muscles de la bouche et des lèvres,
tandis que le rire est dans la contraction de ces muscles.
Dans un ancien article sur les relaxations (Spasmagazine n°12), je décrivais le mouvement de la vie comme une vague organisée en trois phases :
la tension, la décharge et la détente (les relaxations se situant dans la phase détente).
Le rire se trouve bien sûr dans le pôle “tension/décharge”, avec ses spectaculaires mouvements musculaires de tout le corps,
tandis que le sourire se trouve du côté de la détente, du côté de la relaxation, même si curieusement des auteurs nous parlent des tensions des muscles.
Une observation attentive de soi-même en train de sourire, en tournant son regard vers l’intérieur, nous fait pencher au contraire vers une détente progressive de tous les muscles du visage à partir des lèvres et des yeux
– il est vrai que le regard intérieur ne fait malheureusement pas partie de l’épistémologie scientifique actuelle.
Sourire aux anges
En terme de description comportementale, le sourire n’est pas non plus le rire. Même s’il est considéré comme un réflexe inné, il arrive à une période bien antérieure.
En effet, dès la naissance, pendant le sommeil, on remarque chez le bébé des mouvements de lèvres qui ressemblent à un sourire…
Mystérieuse signification, sur laquelle bien sûr les scientifiques ne s’étendent pas, mais dont l’expression populaire a bien perçu le sens poétique :
“il sourit aux anges”.
Comme si ce sourire autour de la naissance témoignait pour nous du sens spirituel fondateur du sourire :
il indiquerait chez le bébé une mémoire d’origine céleste, non encore recouverte par les mémoires souvent traumatiques de ce monde :
la trace de notre relation au monde spirituel d’avant notre naissance,
notre Origine peuplée d’anges et de fées, dont nous avons quelquefois de fugaces effleurements.
Expression de l’amour primordial
Par la suite, le sourire prend une nouvelle dimension, très tôt, vers deux mois – plus tôt que le rire arrivant seulement à quatre mois.
C’est un réflexe inné, instinctif, universel, apparaissant chez tous les enfants, même sourds et aveugles.
Desmond Morris lui donne une signification émotionnelle primordiale de sociabilité, s’exprimant plus tard à tous les âges de la vie, et qui serait au départ un mécanisme instinctif de survie, assurant sécurité et attachement des proches et permettant le partage du bien-être fusionnel.
Le sourire est-il ce mécanisme instinctif ou émotionnel ?
Nous ne le croyons pas, il s’agirait plutôt de l’expression d’un sentiment bien plus complexe et profond, un sentiment de reconnaissance de l’autre, plein de tendresse et de douceur.
Nous le placerons de nouveau dans cet espace spirituel originel, une expression première de l’Amour, qui s’épanouit naturellement, d’abord vers les proches et particulièrement la mère.
Les sourires du mental
Il y a bien sûr les sourires du mental. La tentation est grande de réduire le sourire à cette dimension unique, tellement le mental est la dimension dominante de l’ époque.
De même que les philosophes se sont plus à dévaluer le rire et ses intentions perfides, de même les psychologues se montrent prolixes pour souligner les multiples intentions des sourires contaminés par les pensées et leurs sentiments complexes et pas très claires :
sourires artificiels et formatés des politesses convenues, sourires publicitaires des présentatrices de télévision, sourires de mensonge et de fausseté, sourire de recul et de prise de distance avec le monde, sourire d’embarras pour sauver la face, sourire de désapprobation, sourire amer et triste, sourire de mépris et de supériorité, sourire de défi montrant les dents, etc, etc..
La palette des sourires mentalisés est sans fin, et effectivement – on retrouve nos physiologues du début – ce sont souvent des sourires tendus, des “sourires grimaces”, n’ayant rien à voir avec la nature profonde et essentielle du sourire.
Le sourire spirituel
Le sourire est l’expression privilégiée de la plus haute dimension spirituelle de l’homme, et cela dans les deux directions essentielles.
D’un côté, le sourire témoigne de l’Amour dans le sens le plus noble et le plus élevé du terme et il se manifeste dans la vie quotidienne pour exprimer toutes ses déclinaisons : la gentillesse, la sympathie, l’empathie, la compréhension, la bienveillance, la reconnaissance, la gratitude, la générosité, la joie profonde et humble du don , etc.
Il suffit d’approcher une personne totalement dans l’Amour, comme le père Ceyrac qui s’est dévoué corps et âme aux plus pauvres des plus pauvres, en Inde, pour ressentir avec évidence la tendresse infinie de ce sourire spirituel qu’on a pu appeler aussi poétiquement “le baiser de l’âme”.
Sur l’autre versant de la spiritualité, celui de la méditation, le sourire est également omniprésent, dans toute sa beauté.
C’est bien sûr le sourire du Bouddha ; il exprime sur son visage les qualités d’un aboutissement de la conscience humaine faite de sérénité, de paix, de calme, d’attention et de joie profonde.
C’est aussi le sourire de tous les grands maîtres spirituels accomplis, dont ils ne se départissent jamais – je pense en particulier au sourire de Ramana Maharshi ou de Ma Ananda Moyi.
Pour exprimer ce sourire spirituel, on parle très justement de sourire intérieur, c’est à dire que ce sourire, extérieurement presque imperceptible sur le visage, émane de l’intériorité la plus profonde d’une personne, que certains localisent dans l’espace du coeur.
C’est alors tout le corps qui semble sourire, avec tout autour, une luminosité particulière du corps subtil, une aura.
La relaxation du sourire
C’est une pratique intéressante qui est une forme de relaxation préalable à la pratique de la méditation profonde,
car une des grandes difficultés de la méditation, ce sont les tensions d’origine mentale et émotionnelle qui sont concentrées particulièrement sur le visage, souvent de manière inconscientes.
La relaxation du sourire consiste, à partir du sourire sur les lèvres, à passer en revue progressivement tous les muscles du visage, en y portant son attention et sa respiration consciente.
On commence donc par détendre la bouche, les lèvres, la langue, la mâchoire, en y portant respiration et attention et en y ressentant le sourire, pour ensuite déplacer ce sourire en montant vers le nez, les yeux, le front, en terminant par les ligaments et les os qui enserrent le crâne et le cerveau, et en se permettant même une incursion à l’intérieur du crâne, dans le cerveau, pour en détendre les circonvolutions.
Il se crée peu à peu une sorte d’espace intérieur, un sourire intérieur, très agréable, localisé d’abord dans le visage, et que l’on peut étendre au reste du corps, zone par zone, en insistant particulièrement sur l’espace intérieur, au centre du thorax, où se trouve l’espace du coeur subtil.
Là, il est particulièrement puissant de visualiser l’image d’un grand sourire qui irradie partout une lumière d’amour, d’abord à l’intérieur de soi-même, dans toutes les cellules de son corps, ensuite vers l’extérieur, en direction de personnes particulières à qui l’on a envie d’envoyer cette lumière, ou plus généralement vers toute la création, dans ce vide lumineux qui maintient la cohésion du monde.
Comparer sourire et rire, c’est en souligner toute la différence.
Le sourire est le souverain de la dimension spirituelle,
tandis que le rire est multidimensionnel et s’adresse plutôt à notre dimension egotique (physique, émotionnelle et mentale), avec de temps en temps des incursions dans le monde spirituel – comme on l’a vu avec les moines rieurs -, mais celles-ci restent rares et parfois, comme l’ont souligné certains commentaires de l’article, presque déplacées et indécentes, en tout cas incompréhensibles.
L’action thérapeutique du rire est principalement cathartique, pour libérer le moi de ses tensions émotionnelles,
l’action du sourire, comme en témoigne la relaxation décrite précédemment est de nous relier à notre nature essentielle d’ordre spirituel, à notre capacité de conscience et d’amour, à notre âme.
Ce n’est pas un hasard, dans des grandes villes, comme Paris, New York et bien d’autres, que le sourire soit quasiment absent sur les visages tourmentés,
car l’âme s’en est sans doute allée plus loin, elle a déserté ces lieux maudits, en proie aux illusions de « la société de spectacle et de la marchandisation du monde. »
Pour préserver alors son sourire, cela devient très difficile, peut-être faut-il s’éloigner de ces villes, aller voir ailleurs ?…
ou alors s’imposer un rude travail sur soi-même, le vrai travail intérieur afin de cultiver son sourire au monde.
Je compte sur vos commentaires pour en témoigner.
Poésie du sourire
J’ai écrit ce texte poétique, il y a très longtemps, la première fois que je suis allé en Inde.
J’ai débarqué sur l’île de Ceylan et ma première étape, après le choc de la foule indienne à Colombo,
fut un séjour à Kandy, une ville merveilleuse, au centre de l’île, au milieu des champs de thé, avec un grand temple, où les pélerins viennent souvent de très loin, se prosterner devant une dent du bouddha.
Je me rappelle encore cette sensation de ravissement, que j’ai éprouvée devant toutes ces statues du bouddha, qui parsemaient la ville de leur immense sourire :
Une déambulation légère
m’entraine au carrefour des foules
en suivant lentement les chemins de misère.
Méditation
A la traversée des jungles torrides
des fleurs aux mille corolles d’espoir
éclatent leurs couleurs comme des soleils.
Jubilation
Sur la place du marché
le Bouddha clair et limpide
élargit son sourire aux lèvres
embaumant la fin des temps douloureux.
Illumination
Les délivrances seront rares
au royaume des cieux
dans l’affreux tintamarre des villes en furie.
Contemplation
A l’époque d’ignorance
il faut gravir les plus hautes montagnes
pour s’abreuver à la source des neiges éternelles.
Ascèse
Dans la profonde vallée de peur
un soleil extatique vrille sur lui-même
le plus tonitruant des rires glorieux.
Extase
Maya a joué sa danse d’illusion
les dernières résonances du bal
seront les plus belles.
Beauté
Au chaos prochain bouille déjà le chaudron
et le Bouddha clair et limpide
élargit son sourire aux lèvres
embaumant la fin des temps douloureux.
Sourire
Tags : Amour, bouddhisme, conscience, corps, meditation, poésie, psychologie, psychothérapies, spiritualité
très beau texte !
j’apprécie particulièrement le paragraphe sur la relaxation du plaisir.
Au même titre que l’EMDR le sourire devient en lui-même un outil de transformation des émotions ; il suffit de faire l’expérience d’être en contact avec sa couleur émotionnelle du moment et de rajouter le sourire volontairement, intentionnellement (même si cela paraît artificiel dans l’intention), la valeur de l’émotion change immédiatement; la volonté de vouloir rester dans un contexte de colère par exemple ne fait pas long feu par un tel processus. Il rajeunit le visage et remplace allègrement les produits « anti-age » (comme si ces produits empêchaient de vieillir !!:)
comme autre exercice, j’aime bien rajouter le temps du sourire, … combien de temps reste t-il sur le visage.
merci Serge du compliment et de votre commentaire.
Par contre « la relaxation du plaisir ? « , je ne vois pas très bien au sens où il me semble que le sourire tel que je le décris va bien au delà du seul plaisir. De par sa nature spirituelle, il est au delà du plaisir et du déplaisir, il inclut et transcende en une sorte de bien-être inconditionnel.
De même la comparaison avec l’EMDR, je ne vois pas trop bien, non plus ; entre les balayages des yeux de l’EMDR et le sourire dans sa forme relaxation – méditation, il me semble que l’intention est très différente.
Dans le sourire, il s’agit effectivement d’une manière un peu volontariste de recouvrir l’émotion ou le stress d’une tonalité de bien-être, au même titre que n’importe quelle relaxation ou méditation, tandis que pour l’EMDR, il s’agit de creuser l’émotion présente, afin de permettre la régression vers son origine, vers son histoire.
Pour le rajeunissement du visage et le travail bénéfique sure les rides, je suis complétement d’accord.
J’ai juste lu le titre, je me réserve le texte, pour après.
Sous-rire,
comme si,
le rire,
avait un souterrain qui serait le sourire!
Ou serait-ce l’inverse?
le rire qui serait souterrain du sourire,
histoire de se rire de nous, je ne sais.
En revanche, m’est venue en marchant tout à l’heure,
un sourire aux lèvres,
face à la farce que nous joue cette diablotine de vie.
On ne la trouve jamais où il faudrait,
et quand on croit la saisir,
c’est alors qu’elle s’enfuit,
la bougresse!
Cela ne vaut-il pas un sou de rire
ou de rire de sous
dessous
cette hampe joyeuse et triste
qui ne sait
s’il faut rire ou pleurer
et qui dès lors
sourit
de cette souricière
un peu sorcière
et un peu cavalière!
« et qui dès lors sourit de cette souricière » : oui, il y a des jeux de mots qui font tilt, en résonance avec le jeu de la vie.
Cela me fait penser à une question importante : « est-ce que les souris sourient ? ; Les souricières ne seraient-elles pas des nids à sourires ? » ; « Mais est-ce qu’il y a encore des souris dans les grandes villes tellement ils ont mis de pièges et de poisons ; Cela expliquerait sans doute ce déficit inquiétant de sourires. »
Je viens d’essayer votre procédure de détente souriante allant des lèvres jusqu’au coeur, et ça marche.
Et je me surprends maintenant à rire de contentement en voyant que ça marche.
oui, François, en général ça marche, sauf s’il y a trop de tensions sur le visage et à ce moment là, il commencer par faire des grimaces en soufflant très fort vers l’extérieur, de manière à expulser ces tensions. Ensuite le sourire…
Un grand merci pour ce très beau texte, plein de sensibilité et de poésie.
Du sourire du Bouddha on peut rapprocher, je pense, celui de l' »Ange du Sourire » de la cathédrale de Reims, magnifique sculpture du XIII° siècle visible sur le portail nord de la façade occidentale. On en trouve une bonne photo sur le site:
cliophoto.clionautes.org/picture.php?/734
(désolée, je ne sais pas faire un lien)
On s’est beaucoup interrogé sur la signification à attribuer à ce sourire, inhabituel dans les représentations chrétiennes, et qui est aussi présent chez d’autres anges de la cathédrale. Les sculpteurs ont-ils voulu exprimer la bienveillance de Dieu, la grâce envoyée par celui-ci, l’amour divin , ou quelque chose évoquant une démarche mystique de la part des croyants ? Nul ne le sait, et c’est ce qui fait, entre autre, le charme de cette figure.
Ce sourire peut illustrer, me semble-t-il, le fait que, par delà les très grandes différences entre le christianisme et les spiritualités orientales, on peut néanmoins observer des ressemblances dans l’expression de certaines démarches spirituelles; ceci n’a rien d’étonnant; l’homme est le même partout.
Merci, Claudine, cet « Ange du Sourire« est bien beau : je vais essayer de faire un lien, mais je ne suis pas non plus sûr d’y arriver.
Quant à l’homme bien sûr, il est le même partout, et il lui arrive sans doute de ressentir partout, dans toutes les cultures, ce miracle du sourire spirituel.
Par contre, la question à se poser, c’est pourquoi dans certaines cultures comme le christianisme, il n’est pas du tout privilégié. Est-ce une propension à la tragédie ou à la souffrance que d’exposer partout cette crucifixion larmoyante ?
de là à dire que dans la culture du christianisme l’absence du sourire par complaisance dans la souffrance serait c’est bien un signe qu’il ne s’agit pas de spiritualité, le sourire comme seul critère de spiritualité, est un pas que je franchis aisément quand on voit les dégâts culturels, idéologiques et psychologiques que son absence a pu engendrer.
Bonjour,
A la question: « est-ce qu’il y a encore des souris dans les grandes villes ? », je peux répondre
sans hésiter: OUI. En 20 ans, trois sont entrées dans notre appartement, par les porte-fenêtres donnant sur le jardin., la dernière c’était hier soir. Elle ne fut pas accueillie réellement avec le sourire ! Mais ça c’est mon point de vue personnel; on n’est pas obligé de le partager.