D’abord, je vous souhaite à tous une belle année,
c’est à dire le fait de vivre le meilleur,
de ce que vous vous souhaiter à vous-mêmes
ainsi qu’à tous ceux que vous aimez.
Vous tous ayant participé aux commentaires de ce blog,
je vous remercie aussi chaleureusement,
pour la richesse, la pertinence et la diversité de vos propos ;
vous illustrez à merveille la finalité la plus importante de ce blog :
le partage et l’échange des points de vue différents
dans un esprit d’ouverture, de tolérance, et de compréhension mutuelle,
et cela afin de retrouver l’Unité qui se cache derrière la diversité des formes et des chemins.
Pour commencer l’année, je vous propose ces » barques de Braque ».
Elles auraient dû clore l’année 2013,
car elles faisaient suite à la très belle rétrospective consacrée à l’oeuvre de Georges Braque, au Grand-Palais à Paris.
– malheureusement terminée depuis le 6 janvier dernier.
J’ai eu in -extremis la possibilité de l’admirer entre Noël et le 1er de l’an,
mais pas le temps de finaliser cet article.
C’est dommage, car j’ai bien conscience que l’ambiance autour de ces barques marque la fin d’une année ou d’un cycle, plutôt que son renouveau.
En même temps, c’est un beau sujet comme je l’aime,
pour l’intégration de l’art quand il parle de l’essentiel, de la peinture, des barques, du taoïsme, du zen de Maître Dogen et de la sagesse immémoriale…
Un anagramme qui fait sens
Ce n’est pas un hasard, si dans le nom de Braque,
il y a le mot « barque » ;
cela commence avec les barques de la période fauve,
toutes bariolées de couleurs et de gaieté,
sous le soleil, dans le port de l’estaque à Marseille.
Mais c’est dans la dernière partie de la vie du peintre,
que cet anagramme prend vraiment tout son sens :
Braque se retire sur la côte normande, à Varengeville,
pour peindre la mer, le ciel, les falaises,
mais aussi les barques abandonnées sur la grève.
Et quelles barques !
Pour apprécier, il faut lire le petit livre très réussi d’Edouard Dor
« Sur les barques de Braque, dans l’attente de l’ultime traversée »
aux éditions Michel de Maule 2013.
Les commentaires autour d’une trentaine de tableaux de barques sont parfaitement réussis,
et introduisent très bien à la dernière partie de l’oeuvre du peintre,
qui est pour moi de loin, la plus aboutie,
car la plus profonde et la plus émouvante,
loin des exercices de style un peu artificiels de la période cubiste.
Toutes les barques peintes par Braque, de 1928 à sa mort en 1963,
sont vides de tout occupant et pour la plupart échouées sur la grève.
Détournées de leur fonction, elles étaient sans doute pour l’artiste objets de réflexion sur la destinée humaine, davantage que ne pouvaient l’être un guéridon, un compotier ou un billard.
Comme si, en les représentant sur ces galets polis par l’infini ressac de la mer, Braque avait souhaité,
avant de prendre un jour place dans l’une d’entre elles
pour l’ultime traversée,
s’alléger le plus possible et, dans un dénuement progressif,
ramasser son art sur l’essentiel.
« J’ai fait une découverte : je ne crois plus dorénavant en rien. »
confiait-il quelques années avant sa mort.
Braque un maître taoïste ?
C’est ce que suggère aussi, à mon sens avec beaucoup de pertinence, Edouard Dor dans l’introduction de son livre :
On a souvent évoqué la proximité de la démarche de Braque avec la pensée orientale, notamment taoïste.
Il est vrai que les points de convergence ne manquent pas.
Par l’approche d’abord. « Avant de peindre un bambou, il faut que le bambou pousse en votre for intérieur » ,expliquait Su Tung-Po (poète et peintre chinois 1036-1101).
C’est bien ce que pense Braque, pour qui il faut laisser l’idée du tableau mûrir en soi plutôt que se précipiter sur le motif.
Deuxième point de convergence : la « substance » des choses que Braque cherche à découvrir et qui ressemble comme un jumeau au « li » la « ligne interne » des choses que vise à atteindre « l’Unique Trait de pinceau du peintre-philosophe chinois.
Enfin la double notion du vide développée par les philosophies orientales.
Le vide sans lequel les souffles, donc la vie, ne sauraient circuler et qui n’est autre que « l’entre-deux » des choses que Braque traque en permanence dans sa peinture : « Le vase donne une forme au vide, et la musique au silence. »
Et puis le Vide absolu, synonyme de sérénité, vers lequel tout être humain doit tendre, et que Braque nomme « le néant intellectuel« .
Pour y parvenir, il faut « chevaucher les nuages, autrement dit s’alléger l’esprit, libérer son coeur de « tout souci mondain », bannir les idées préconçues et même toute espèce d’opinion.
Pensées de Braque
J’ai beaucoup aimé aussi certaines des pensées du peintre parues dans un petit livre intitulé « Le jour et la nuit, cahier de Georges Braque 1917 – 1952″ aux éditions Gallimard.
Ce sont parfois des pensées dignes d’un maître :
L’Art est fait pour troubler, la Science rassure.
L’artiste n’en finit pas d’épuiser ses rêves.
L’art est une blessure qui devient lumière.
Il n’est en art qu’une chose qui vaille : celle qu’on ne peut expliquer.
L’Art survole, la Science donne des béquilles.
J’ai le souci de me mettre à l’unisson de la Nature, bien plus que de la copier.
L’action est une suite d’actes désespérés qui permettent de garder l’espoir.
Le vase donne une forme au vide, et la musique au silence.
Le tableau est fini quand il a effacé l’idée.
Avec l’âge, l’art et la vie ne font qu’un.
Je ne cherche pas la définition, je tends vers l’infinition.
La réalité ne se réveille qu’éclairée par un rayon poétique. Tout est sommeil autour de nous.
Le plus célèbre poème de Maître Dögen
Les vagues meurent sur le rivage,
Le vent a fini de souffler
Une barque abandonnée,
La lune à minuit
Brille de tout son éclat.
Ce poème semble d’une étrange synchronicité d’inspiration
traversant les siècles et les cultures.
Braque l’avait-il lu ?
Ses tableaux de barque expriment d’une manière parfaite
la révélation poétique du grand maître Zen.
C’est la mi-nuit,
le ciel est au plus noir.
Après les agitations du jour, ce remue-ménage de la vie attisée par le vent,
tout est retombé,
un silence,
une grande immobilité,
où gît une barque abandonnée quelque part sur la grève.
Elle nous parle d’abandon
et d’un grand lâcher-prise nécessaire,
ce renoncement à tout ce que l’on croyait faire sens autrefois,
oublier « tous ces actes désespérés qui permettaient de garder espoir« .
Alors, apparait la lune brillant de tout son éclat dans le ciel,
comme l’Oeil clair de la Conscience qui s’ouvre enfin
sur la possibilité de Voir.
Alors, la barque abandonnée sur la grève devient un appel
pour vous embarquer à son bord
vers l’Autre Rivage…
Quant à ceux qui veulent rêver de barques, rendez-vous sur un de mes sites, dont une grande partie est dédiée aux barques.
Bonjour Alain!
Merci pour tes vœux. Moi-même te souhaite une excellente nouvelle année, pleine d’heureuses surprises, d’inspiration poétique, de riches idées, l’ensemble soutenu par une santé de fer (sans elle, on ne peut pas grand chose…).
Ce que je retiens surtout dans ton article, c’est le mot anagramme pour Braque et barque.
Est-ce que tu connais le livre d’Etienne Klein, « Anagrammes renversantes » ou le sens caché du monde (Ed. Flammarion) ? C’est prodigieux, fantastique! Je t’en cite juste trois :
La Sainte Vierge > Visage inaltéré
La gravitation universelle > loi vitale régnant sur la vie
Le commandant Cousteau > tout commença dans l’eau
Impressionnant, non ?
Bonne journée et à bientôt,
Brigitte
merci Brigitte,
le plus célèbre anagramme est sûrement celui donné par André Breton à Salvador Dali :
« Avida Dollars » !
Et bien, pas si célèbre que ça car je ne la connaissais pas!!!
Merci!
Heu… Alain : anagramme est féminin.
A bientôt!
La barque vide, je verrai ça comme le symbole de l’être humain. Il est vide ! vide de sens, vide parce que trop imbu de lui-même, vide parce que trop jouisseur.
Comment se fait-il qu’il n’ait pas encore compris qu’il a mission d’incarner l’espérance ?
si j’étais prof de philo, je mettrai dans la marge de votre commentaire, Anne-Marie, « contre-sens »,
ce Vide de la barque vide n’est pas du tout le vide que vous nommez et qui désigne plutôt le néant de l’absence de sens caractérisant je suis d’accord notre époque actuelle et sa culture dominante.
Non, le Vide de la barque vide de Tchouang-tseu (il y a 54 messages pour tenter de l’expliciter) et qui est repris en quelque sorte par Maître Dogen et « sa barque abandonnée », désigne le plus haut état de conscience qu’il est permis d’atteindre (en Orient), en particulier dans la tradition bouddhiste et taoïste.
C’est à partir de ce Vide, au delà de toutes les formes- pensées du mental, que la conscience peut émerger et se mettre à briller de tout son éclat.
Le tableau est fini quand il a effacé l’idée. Indubitablement le tableau de la vie est réussie puisqu’on en a même plus l’idée de départ.
Je tourne dans ma tête ce qu’Olivier appelle « Maître de l’amour » et je me dis : si vraiment les êtres humains sont autre chose que des primates, alors à l’origine il y a une idée autre que la simple création de couleurs, formes, musique, mouvements, etc.
Qui a déjà créé sait que c’est irrépressible, c’est l’expression de plus grand que soi, une confiance pétrie d’amour donc une espérance.
Les barques……Je ne connais pas encore celles de Braque, mais cela viendra sans doute; ma curiosité est éveillée.
Mais je tiens à vous remercier, car cette série d’articles sur les barques apporte une réponse à une question que je me suis plusieurs fois posée au cours de ma vie d’étudiante, puis de professionnelle de l’histoire: pourquoi plusieurs civilisations antiques ont-elles attribué aux barques un rôle en rapport avec la mort, ou avec le monde cosmique ?
Les Egyptiens utilisaient des barques « sacrées » pour faire traverser le Nil au corps momifié du pharaon et l’enterrer sur la rive occidentale, du côté où le soleil meurt, du côté de la mort. Le soleil, lui, voyageait aussi sur une barque de l’autre côté de la terre pour réapparaître le matin à l’est.
Les Grecs, eux, faisaient voyager les morts dans la barque de Charon, de mauvaise réputation, pour traverser l’Achéron et rejoindre le royaume d’Hadès.
A la suite de tous ces articles, je comprends mieux ce qui me semblait étrange autrefois. D’autres civilisations ont peut-être aussi utilisé cette métaphore; mais je n’en connais pas.
Pour ce qui est des anagrammes, je souhaiterais demander à Brigitte B ce qu’elle veut dire exactement; ou plus précisément ce que veut dire Etienne Klein par « Anagrammes…….. ou le sens caché du monde ».
S’il s’agit de simples jeux sur les mots, les exemples cités sont en effet assez sidérants, et relèvent du plaisir intellectuel. Mais « sens caché du monde » laisse présager quelque chose de plus profond. Voulez-vous dire qu’il y aurait un sens caché dans de nombreux mots, noms, ou expressions ? Mais alors caché par qui ? pourquoi ? Et si l’on admettait cela, il faudrait admettre qu’il y aurait autant de manières de comprendre, de voir, de sentir le sens du monde qu’il y a de langues, car un anagramme n’est pas traduisible.
Il y aurait donc de ce fait beaucoup de confusion dans ce monde !
Merci de me donner votre point de vue là-dessus.
Merci Claudine, pour votre apport au sujet de la mythologie des barques.
En effet, il n’y a pas que les égyptiens et les grecs qui soulignent l’importance de la barque comme véhicule privilégié pour passer dans l’Autre Monde,
il y a aussi la culture celte, culture maritime par excellence, qui porte en exergue la barque (voir mon site : http://www.alaingourhant.fr/legendes-de-barques.htm), il y a aussi les Vikings, dont de nombreuses tombes datant du 7e siècle, sont en forme de barque (cf « le livre des symboles »p. 755 chez Taschen – que je recommande vivement à tous),
il y a enfin la culture chinoise d’inspiration taoïste et bouddhiste – nous en avons un exemple avec Tchouang-tseu – qui, surtout dans son iconographie traditionnelle, n’en « perd pas une », pour mettre la barque en évidence pour le grand passage…
Quant aux anagrammes, cela me semble un jeu de l’esprit ou plutôt du mental, aux significations variées que l’on veut bien lui donner.
Cela me fait aussi penser « au langage des oiseaux » plus littéral :
« en voyant quelqu’un porter des lunettes, nous entendons « lu net », c’est bien à quoi sert l’objet (Orbs n°1).
Je voudrais aujourd’hui, Claudine, compléter ma réponse au sujet des questions que vous posez :
pourquoi, dans les mythologies, le rôle de la barque est-il aussi important en particulier par rapport à la mort ?
D’abord, il faut souligner la très grande importance de ce moyen de locomotion sur l’eau utilisé pour tous les peuples premiers qui ont imaginé les mythologies. Pour les peuples de la mer, les barques permettaient la navigation côtière pour pêcher et se déplacer. Idem pour les peuples à l’intérieur des terres, elles permettaient en particulier de traverser rivières et fleuves, qui matérialisaient souvent les frontières entre tribus, peuples et pays différents.
C’est surtout chez les peuples de la Mer, que la barque est associé à la mort, tout simplement parce que son usage était très dangereux ; il n’y avait pas les moteurs et les moyens d’aide à la navigation de maintenant. Il y avait beaucoup de disparitions mystérieuses, et l’imagination s’est transformée en mythologies : la barque comme moyen privilégié de rejoindre le royaume des morts, là-bas, dans des îles lointaines ou mieux encore au fond de l’eau.
Les îles sont aussi très souvent associées à la barque, comme traces d’un autre monde, qui est souvent un monde enchanté, un monde de fées et de sirènes qui attirent et subjuguent pour entraîner vers l’au-delà le voyageur imprudent – on passe alors dans la mythologie des îles, très riches également.
Pour les barques du fleuve, avec la même connotation de « passage » vers l’Ailleurs, il faut ajouter le rôle très important du « Passeur », qui conduisait la barque avec dextérité au milieu des courants et des récifs. Dans les mythologies du fleuve, le Passeur est le plus souvent un Sage qui a un rôle d’Initiation pour le passage vers le monde spirituel. Le plus bel exemple, c’est dans « Siddharta » de Hermann Hesse.
Face à son ami Gautama, devenu un disciple pur et dur de la doctrine du Bouddha, le Passeur enseigne autre chose à Siddharta : « le vrai chercheur, celui qui a vraiment le désir de trouver, ne devait embrasser aucune doctrine. Par contre, celui qui avait trouvé pouvait les admettre toutes, comme il pouvait admettre toutes les voies, toutes les fins.Plus rien ne le séparait de ces milliers d’autres doctrines issues de l’Eternel et toutes imprégnées de divin. »
Voilà un Passeur tout à fait en phase avec ce blog, où d’ailleurs les mythologies ont la plus grande importance, car elles sont à la source de toute spiritualité, elles amènent un air frais, imaginatif, créatif, dans la variété des croyances, loin de tous les dogmes rigides des grands systèmes religieux.
Merci pour ces commentaires parfois pleins de poésie. J’adhère pleinement à ces explications déjà en partie entrevues.
Mais pour les Vikings, il me semble qu’il y a aussi autrechose. Pour eux la barque, ou plus exactement le bateau, était un véritable outil de travail, comme on le dirait aujourd’hui. Le propriétaire d’un bateau faisait partie de l’élite, et commandait les expéditions; rien d’étonnant alors à ce que la barque soit considérée comme un instrument de prestige social, et c’est la raison pour laquelle certaines étaient enterrées avec leur propriétaire (voir les magnifiques barques d’Oseberg au Danemark), de la même façon qu’un millier d’années plus tôt environ, certains grands chefs celtes ou scythes se faisaient enterrer avec leur char, et même parfois avec les chevaux y attenant.
Mais cela n’enlève rien, ni à l’origine des mythologies sur les barques, ni à la spiritualité qui s’est développée autour d’elles.
Je viens seulement de lire les questions que vous posez sur les anagrammes…
Chacun se les pose, je crois, ou bien on peut ne pas se les poser et rester seulement fasciné, admiratif, contemplatif…
Savoir qui ? Pourquoi ? Je ne saurai répondre. Etienne Klein lui-même n’a pas de réponse, il constate c’est tout.
Ce serait intéressant c’est vrai de savoir ce que donnent les anagrammes dans d’autres langues…
Je ne pense pas qu’il y aurait confusions des manières de voir, de comprendre mais des différences de représentation qui seraient liées aux différences culturelles, historiques…
Bref, tout ça est assez compliqué.
oui, quand c’est trop compliqué, on peut être sûr que c’est le mental qui cherche les complications.
Plus simplement, on pourrait dire que c’est un jeu, un jeu mystérieux, juste pour s’amuser.