Les succès de placebo

Le groupe rock Placebo

Quand j’entends ce mot « placebo », je pense d’abord au groupe de rock anglais des années 90, qui s’était affublé de ce nom par provocation pour se comparer à un leurre, en opposition à d’autres groupes de la même époque se référant un peu lourdement à la santé comme « the Cure ». Il se trouve que ce groupe « Placebo » s’est effectivement comporté comme un leurre, car son influence n’a duré qu’une dizaine d’années, le temps que son chanteur « punk » Brian Molko, aux allures androgynes et sulfureuses, vieillisse un peu et s’embourgeoise, pour devenir un produit de consommation médiatique, inoffensif, un leurre de plus dans le hit- parade des produits sur mesure, se rapprochant ainsi de l’usage et du sens péjoratif de ce mot emprunté au monde médical.
Sauf que, au contraire, dans le monde médical, le destin de placebo a pris la direction inverse, car les études se suivent et s’accumulent d’années en années, pour montrer son importance grandissante. De son statut de leurre inoffensif, méprisé et méprisable, le placebo le dispute bientôt en efficacité avec les vrais médicaments porteurs des fameuses molécules biochimiques.

Pacebo et antidépresseurs

Cela est particulièrement vrai en psychiatrie avec les antidépresseurs, qui dans les années 80 – 90, grâce en particulier à leurs pouvoirs « inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) », ont fait rêver tout le monde, en particulier le Prozac considéré comme « la pilule du bonheur » aux multiples usages, comparable à cette pilule miracle qu’Aldous Huxley avait prophétisé dans son célèbre roman « Le meilleur des mondes ».
Mais malheureusement, au fil des années, cette aura va se ternir, les scandales vont éclater et se succéder, parce qu’on s’est aperçu que les laboratoires Lilly, ayant bâti leur fortune sur ce produit, avaient trafiqué leurs études afin de cacher la dangerosité du Prozac à l’origine de nombreux passages à l’acte suicidaires, en particulier chez les adolescents. De plus, des scientifiques audacieux et courageux vont montrer que l’action du Prozac est finalement à peu près semblable à celle d’un vulgaire placebo. Voilà ce qu’on trouve dans un forum de psychiatres de février 2008 sur internet :
« Publié aujourd’hui dans The Guardian, l’article fait référence à une nouvelle métaanalyse issue dans PLOS (Public Library of Science) selon laquelle le Prozac ne serait, la plupart du temps, qu’un placebo. L’efficacité serait, par contre, non nulle dans les cas les plus graves (…) La différence d’efficacité entre l’antidépresseur et le placebo augmente en fonction de la sévérité initiale de la dépression, mais reste très modeste même chez les patients les plus sévèrement déprimés. La relation entre l’efficacité des antidépresseurs et la sévérité initiale de la dépression est attribuée à la baisse de l’effet placebo chez les patients les plus sévèrement déprimés plutôt qu’à une augmentation de la réponse au traitement médicamenteux.».
Dans le même ordre d’idées, il faut lire sur internet ce qu’écrit le Dr Maria Angell, qui a publié plusieurs livres importants sur le système médical américain.
Le constat est éloquant : placebo rivalise avec impertinence avec tous les médicaments antidépresseurs en obtenant à peu près les même résultats. Cela  nous oblige à une réflexion de fond sur sa nature et les raisons de son succès.

Qu’est-ce que ce placebo ?

Pourquoi est-il aussi puissant ? Quels principes contient-il d’aussi efficaces, osant ainsi rivaliser avec les sacro-saintes molécules biochimiques ?
Matériellement, chimiquement, biologiquement, placebo est aussi neutre et aussi médicalement sans intérêt, qu’un vulgaire bonbon sans sucre ; reste alors l’hypothèse que placebo est plein du pouvoir curatif, relatif au psychisme humain, cette substance immatérielle des plus floues et des plus variables, qui a été occultée, voire dénigrée, pendant si longtemps par le matérialisme scientifique et en particulier les sciences médicales. Mais ce pouvoir psychique ose se promener actuellement avec de plus en plus d’ostentation au fil des études, tout autour et à l’intérieur du patient et de son médecin.
Dit d’une autre manière, placebo et son effet guérisseur surpuissant est le produit d’une quadruple influence psychique : il est plein des croyance et des émotions positives du patient qui le reçoit, il est plein des croyances et des émotions positives du médecin qui l’administre, il est plein des effets émotionnels positifs de la relation qui s’établit parfois entre le médecin et son patient, enfin placebo est plein des croyances et des émotions positives qui circulent dans son environnement  au sujet du médicament qu’il représente, ces dernières pouvant influencer les croyances et les émotions de nos deux protagonistes.
Bref placebo est plein de substances psychiques, pas étonnant qu’il soit devenu si redoutable, non seulement dans les études comparatives avec les molécules, mais aussi en contaminant de plus en plus celles-ci, à tel point qu’on puisse écrire du fameux Prozac qu’il n’est lui-même qu’un placebo ; la molécule miraculeuse se trouve ridiculisée, il n’y en a plus que pour les pouvoirs de ce trouble-fête, qui sème le doute dans les certitudes de la science médicale conventionnelle, surtout qu’un des grands avantages de placebo par rapport aux molécules, est qu’il n’a pas d’effets secondaires sur l’organisme, comme on le reproche de plus en plus souvent aux médicaments traditionnels.
D’ailleurs dans la foulée, on a inventé le nom de son petit frère ennemi, « nocebo », qui lui, est plein des effets négatifs du psychisme, de telle sorte qu’il peut aggraver la maladie ou entamer la santé, dès lors qu’il rode dans les parages . A noter que bon nombre de médecins apparaissent comme « les champions toute catégorie » de nocebo, quand ils annoncent par exemple, par rapport aux sacro-saintes statistiques, la mort prochaine d’un patient atteint d’un cancer grave.

Placebo et les psychothérapies

Mais ce n’est pas fini, il faut parler maintenant du triomphe de placebo qui non content de s’être illustré ainsi dans le secteur médical, a envahi les autres domaine. D’abord, bien sûr dans les psychothérapies, placebo est surpuissant, grâce à son quadruple pouvoir psychique cité précédemment, et en particulier au pouvoir de la relation entre le thérapeute et son client.
Ce pouvoir a été mis en évidence il y a longtemps déjà, par des études pour tester comparativement l’efficacité de plusieurs techniques psychothérapeutiques (2). Il a été mis en évidence l’importance des « facteurs communs » à toutes les techniques, beaucoup plus importants que les techniques elles-mêmes – cela a été développé aussi par Olivier Chambon et Michel Marie-Cardine dans leur livre important « les bases de la psychothérapie ». Dans ces facteurs communs on trouve tous les ingrédients de placebo cités précédemment. Cela peut expliquer qu’aucune technique psychothérapeutique ne peut se prévaloir en tant que telle, d’une efficacité supérieure aux autres – malgré les études qui voudraient faire croire le contraire, pour créer d’ailleurs un effet placebo collectif supplémentaire. Là encore, placebo est donc omniprésent et il intègre tous les critères subjectifs de la relation psychothérapeutique, variables selon le thérapeute, selon le client, selon le moment de cette relation, selon « l’effet mode » de la technique utilisée renvoyant aux croyances collectives du moment – par exemple il y a un violent effet nocebo sur la psychanalyse attaquée actuellement de tous côtés et un beau placebo au contraire pour les TCC, l’EMDR, l’EFT, l’ACT, TIPI? etc, bénéficiant de la publicité des médias.

Pacebo est partout

Mais cela va encore plus loin, toute chose ou toute activité, dont l’être humain croit qu’elle va lui procurer du plaisir, un bien-être, une satisfaction intérieure, peut être considéré comme un placebo qui influence positivement sa santé. Placebo s’est insinué partout : c’est un joli nom à donner à votre chien de compagnie si vous êtes persuadé qu’il vous fait du bien, les amis du samedi soir autour d’un bon repas, c’est placebo, le conjoint ou la conjointe surtout au début de la relation c’est un merveilleux placebo, les croyances sur les bienfaits de la Nature : placebo, sur les vertus de telle ou telle forme d’art : placebo, vous dis-je ! placebo partout !
D’ailleurs ce succès de placebo ne fait que confirmer une autre direction empruntée par les études scientifiques depuis bien longtemps déjà, et qui montrent l’influence du psychisme sur la biologie, et en particulier le poids des croyances, des émotions et des images mentales positives dans le processus de guérison ; c’est la voie initialisée par la psycho-neuro-immunologie dès les années 60-70, avec entre autres, le Dr Carl Simonton,soulignant l’importance du psychisme sur le système immunitaire via les systèmes nerveux et endicronologiques.
Il faudrait aussi parler des travaux plus récents de Bruce H. Lipton sur la « Biologie des croyances » – le titre d’un de ses livres, dont j’aimerais faire un jour le commentaire dans Santé Intégrative – où il montre par la mise en évidence de « l’épigénétique » comment les croyances vont jusqu’à transformer le code génétique de l’ADN.
On pourrait continuer longtemps ainsi à énumérer les succès de placebo, jusqu’à nous plonger dans la plus grande perplexité, dans des abîmes de relativisme : si tout est croyance, alors il y a le danger de ne plus croire à rien. Faut-il par exemple en conclure que tous les médicaments sont à jeter au panier et que les laboratoires peuvent fermer leur portes ? Non, bien sûr, ce serait tomber dans l’excès inverse, et tous les excès sont détestables. Ce serait de plus totalement irréaliste et sans compter avec le pouvoir faramineux des laboratoires pharmaceutiques, qui n’ont pas dit leur dernier mot et vont sûrement, soit mener une guerre sans merci à ce trouble-fête insolent, soit, de manière beaucoup plus astucieuse, se servir de cette importance de placebo pour mieux l’intégrer, en soignant leur communication ou en renforçant par exemple la formation des médecins à la psychologie et l’art de la relation.

Pacebo et la vision intégrative

Quant à la médecine intégrative et la psychothérapie intégrative, elles accueillent et intègrent avec beaucoup d’intérêt placebo et ses effets. On pourrait même dire que ce rôle des croyances et des émotions contenus dans placebo est au coeur de l’intégration thérapeutique qui s’occupe d’abord de relier et d’harmoniser le psychique et le physique. Il s’agit alors pour le thérapeute intégratif, d’être de plus en plus conscient de l’impact de la relation thérapeute /patient-client en soignant l’écoute, l’empathie, la bienveillance ; il s’agit de faire un travail permanent sur soi-même afin d’entretenir et de stabiliser la positivité de son mental et de son monde émotionnel, il s’agit aussi de comprendre et de savoir clairement exposer le système de croyances, sur lequel se fonde la vision intégrative .
Grâce aux succès de placebo, la conscience s’ouvre et s’élargit sur les différents ingrédients qui agissent sur le processus de guérison, et plus généralement sur la santé. Les thérapies deviennent plus complexes mais vont gagner en pertinence et en efficacité.

Cet article est paru dans le magazine Santé Intégrative n°26

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4 réponses à “Les succès de placebo”

  1. François butty dit :

    Est-ce-que les arbres artistes et la floraison du printemps n’auraient-ils pas un effet placebo sur la seine bétonnée et les horreur de Fukushima?

  2. merci François de votre question incisive.
    Il y a une dimension « placebo » dans les arbres artistes et la floraison de printemps par rapport aux horreurs écologiques que nous vivons actuellement, au sens où un certain nombres de croyances personnelles et collectives, relatives à la beauté des arbres ou des fleurs agissent comme une sorte de baume sur ces réalités porteuses de souffrances.
    Mais je crois qu’il n’y a pas que cette dimension « placebo » des croyances, il y a aussi une réalité de la nature en deçà ou au delà des croyances qui est porteuse de santé, de joie de vivre, d’équilibre, d’harmonie et qui fait que l’écologie et tout ce qui tourne autour, n’est pas seulement une croyance, mais une nécessité vitale de notre époque, si nous voulons que l’espèce humaine perdure.
    En ce sens, mon article est peut-être un peu exagéré : placebo n’est pas tout dans l’obtention de la santé, il y a d’autres niveaux qui agissent, dont le niveau matériel et sensible de la réalité, et c’est dans l’interaction de ces différents niveaux que l’effet de guérison ou de bonheur est le plus fort. Ainsi, l’écologie est une nécessité vitale d’ordre matériel, mais elle devient d’autant plus forte que l’esthétique, l’art, les croyances spirituelles ou d’ordre éthique viennent la conforter.

  3. catherine dit :

    Place, c’est beau!

    Facile, hein, oui, c’est l’un dit!

    Sous-rire!