Où qu’il aille, d’où qu’il vienne
L’oiseau aquatique
Ne laisse aucune trace
Pourtant, jamais,
Il ne perd son chemin.
Maître Dogen
C’est un poème de Maître Dôgen (1200 – 1253),
le fondateur de l’école Soto du Zen japonais.
Je ne vous parlerai pas de la vie de ce grand Maître qui a connu l’Eveil
dans la plus pure tradition bouddhiste, puisée à la source durant un long voyage en Chine,
Il a ensuite consigné cette expérience dans un long et monumental livre de toute une vie, le Schôbôgenzo (Le Trésor de l’Oeil de la vraie Voie),
– livre dans lequel pour le moment je ne me risquerai pas -,
mais qui a constitué la bible d’une sorte de renouveau du Zen malmené par l’érudition de l’école Rinzaî à l’époque,
pour en revenir à la pratique la plus épurée et la plus simple de « l’assise »
dans l’adhésion totale au moment présent.
Maître Dôgen avait bien senti aussi, qu’une manière privilégiée de rendre compte de cette expérience ineffable de la méditation dans le présent,
était de s’exprimer en poèmes, dont il a parsemé son oeuvre au fil de sa vie.
La poésie de Maître Dogen
Ce court poème est tiré de ce précieux livre au format de poche paru chez Albin Michel dans la collection Spiritualités vivantes,
au beau titre « Polir la lune et labourer les nuages »
tout un programme…
emprunté à un des poèmes du maître :
Retraite
La Voie des patriarches est venue de l’ouest, je l’ai transmise à l’est.
Polissant la lune, labourant les nuages, je me languis du vent ancien.
comment les rouges poussières du monde peuvent-elles être encore soufflées jusqu’ici
Jusqu’à ma hutte de paille, au plus profond de la montagne,
un soir de neige ?
Pour ces poèmes très courts, abrupts, ciselés selon la tradition japonaise
la plupart en cinq vers de trente et une syllabes,
il y a d’abord nul besoin de commentaire :
juste recevoir les mots et leur musicalité dans le silence de la conscience,
ou sur le blanc de la page
– un blanc qui inonde le poème de Vide.
Attendre qu’il se crée à l’intérieur de soi-même, sensations et ressentis,
peut-être les souvenirs de situations anciennes,
où se sont esquissés ces moments de grâce,
peut-être cette expansion de l’être indéfinissable
qui est la marque de la poésie réussie.
En ce qui me concerne je me suis rappelé ces promenades émerveillantes le long de la mer,
où la contemplation favorite consiste à suivre des yeux
l’envol des grands oiseaux marins
– je suggère d’ailleurs de changer la traduction de Jacques Brosse,
pour transformer « l’oiseau aquatique » un peu plat,
par l’amplitude des « grands oiseaux marins ».
Ils vivent dans les hauteurs du ciel avec grâce,
en semblant s’amuser de ses transparences, de sa vastitude.
Ils ne laissent aucune trace de leur passage, par légèreté ou humilité,
ils savent avec sûreté où ils vont, semblant connaître la Voie,
mieux que les hommes,
et ils peuvent parfois entraîner
dans leur sillage invisible,
celui qui les observe avec attention.
Pour terminer, un choix de poèmes :
Lorsque sans pensée,
Seulement j’écoute
une goutte de pluie
Au bord du toit,
C’est moi.Sous la neige
Ont disparu les herbes de l’hiver
Un héron blanc
Cache son corps
A l’ombre de la blancheur.Même si on l’appelle l’esprit
Il n’a aucune couleur
qui permette d’en faire une forme
Telles la rosée ou la gelée blanche
Il est vite évaporé.Dans le vaste ciel
Je contemple la lune
Image de l’esprit pur
M’énivre sa blancheur
Eclatante dans l’obscurité.Ce monde
A quoi le comparer ?
A la goutte qui tombe
du bec de l’oiseau d’eau
Et réfléchit le clair de lune.
Tags : maitres, oiseaux, poésie, spiritualité, zen
Quel beau cadeau de fin d’année vous nous faites!
Ces poèmes sont si purs!
Leur lecture et leur appréciation permettent un recentrage et un apaisement du mental immédiats…la contemplation.
Merci, Alain!
Tout à fait d’accord avec vous, Sabine!
Merci Alain!
J’ai des questions.
Mon mari est hospitalisé et donc il lit beaucoup. Je lui ai apporté le livre « Le scaphandre et la papillon » de Dominique Bauby. Et je viens de regarder sur internet, ce qu’était devenu J-D Bauby. Il est décédé 4 jours après la parution de son livre.
Juste avant de faire cette recherche, j’ai « dû » écrire au procureur de la République pour lui signaler un désagrément dont je ne suis pas la seule victime, et j’ai été surprise par ma formulation : je suis désolée de me plaindre. Oui, c’est bien la souffrance des autres qui me mobilise.
Alors la question est celle-ci: Les grands oiseaux qui ne laissent aucune trace, nous voudrions être comme eux. Mais comme Bauby, avons-nous à accomplir d’abord une tâche avant de quitter ce monde ? Et de nouveau cette question : quelle est notre fonction dans le règne du vivant ?
C’est une belle question Anne-Marie, je ne sais si je suis capable d’y répondre.
Je crois qu’il y a différents niveaux de réponse, quitte à ce que ceux-ci soient contradictoires, ça n’a pas d’importance.
A un certain niveau, oui, je crois qu’il nous est demandé de laisser une trace si possible positive et évolutive dans la mémoire des hommes, en ce sens Dominique Bauby que j’ai lu il y a longtemps, est un bel exemple et que dire de quelqu’un comme Nelson Mandela : quelle magnifique trace il laisse de son passage !
A un autre niveau et je crois que c’est là que se place Maïtre Dogen – même s’il a laissé lui aussi une monumentale trace dans l’histoire du bouddhisme au Japon – toute cela n’a aucune importance.
Plus il y a de conscience à l’intérieur d’une personne, plus celle-ci est pour ainsi transparente, invisible et ne laisse pas de trace de sa présence – la trace c’est juste dans la mémoire de ceux qui ont eu la chance de l’entrevoir. Un maître de sagesse est vide, il ne fait rien de particulier, au sens où il ne s’attache à rien de ce qu’il fait, ni à ce qu’il a. Il est comme un oiseau dans le ciel, le ciel symbolisant l’espace infini de sa Conscience /Amour.
Une autre réponse, Anne-Marie, rencontrée pendant la lecture d’un livre sur la poésie chinoise :
« Si vous voulez savoir ce qu’est la vie d’un homme,
cherchez à retrouver quand la mer se retire,
les traces des passants sur le sable mouillé. »
C’est parfait :
quand on lit ces mots, il y a un grand silence.
Les oiseaux (et les chats) ont beaucoup de choses à nous apprendre!
Ce sont les animaux que je préfère mais je les aime tous et suis une ardente défenseuse de leurs droits. Nous savons maintenant qu’ils ont une conscience, un psychisme, qu’ils peuvent souffrir, aimer, etc. Je milite énergiquement pour que cessent toutes sortes de maltraitances à leur égard, en priorité pour l’arrêt définitif des expériences en laboratoires et de l’élevage intensif où les animaux sont torturés, traités comme s’ils étaient des objets sans ressenti.
Bref, ce n’est pas ce que je voulais vous dire mais je n’ai pas pu m’empêcher…
C’est à propos des questions que vous posez à Alain :
Après avoir un réfléchi à ces questions essentielles que tous les gens qui pensent se posent, je me suis dit qu’il y avait une histoire de karma et comme celui-ci est absolument individuel, nous avons peu de chances, nous, « les autres », d’interagir dessus… Nous pouvons seulement peut-être donner des impulsions propices et bénéfiques qui permettent à l’autre de faire de meilleurs choix dans le cours de sa vie…
Alain, pensez-vous que j’ai raison de dire ça ?
Bonne journée à tous!
merci Brigitte,
non seulement vous avez raison de nous rappeler à l’infinie préciosité du règne animal et au scandale permanent de la manière, dont une majorité d’êtres humains continuent à les traiter
– je voyais hier soir un reportage sur l’élevage des saumons dans les fermes aquacoles de Norvège : une horreur ! Quand on pense que le saumon était l’animal le plus sacré de la culture druidique : le saumon « Bradan », le plus ancien des animaux, vivant dans le puits de la sagesse, à la source de la vie…
mais vous avez encore raison en nous parlant du « karma ».
Je pense comme vous, que la trace que nous laissons sur cette terre, c’est la trace de notre Karma, c’est à dire la trace de tous nos actes non résolus dans une vie, la trace de toutes nos absences de conscience qui ont semé leur cortège de souffrances dans la boue de la vie des hommes sur terre.
Seule la Conscience et l’Amour ne laissent pas de trace, ils s’envolent avec les oiseaux dans le ciel. L’homme peut en avoir la mémoire, mais il n’y a pas de trace, d’où la difficulté, peut-être…
Dans un autre langage, il semble que la conscience ne laisse pas de trace dans le cerveau humain, même si ce cerveau peut en être le récepteur.
C’est ce que j’appelle « individuation ». Mandela disait : »Etre libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres. »