Jon Kabat-Zinn dans ses livres sur la pleine conscience (mindfulness) parle souvent de « la méditation de la montagne ». C’est une métaphore aidante, car la montagne est porteuse de nombreuses qualités méditatives, inspirantes : la Force, la Beauté, la Majesté, la Puissance, l’Immobilité, le Silence, l’Assise, l’Enracinement, etc…
La méditation a besoin, surtout au début de la pratique, d’images, de métaphores, de symboles pour se déployer – bien plus que d’explications conceptuelles appartenant au monde de l’intellect et du mental qui lui est étranger. C’est pour cela que les maîtres et les instructeurs en méditation se plaisent à accumuler les métaphores pour en rendre compte, peut-être parce que celles-ci appartiennent au Cerveau Droit capable d’une connaissance intuitive et directe, sans les méandres compliqués de la pensée et du Cerveau Gauche.
Mais il n’y a pas que la Montagne pour nourrir la méditation, on trouve aussi souvent les métaphores de « la vague et de l’océan » ou celle « des nuages dans le ciel » et bien d’autres encore.
Mais écoutons Jon Kabat-Zinn nous parlant de « la méditation de la montagne » dans son livre « Au coeur de la tourmente, la pleine conscience » aux éditions De Boeck
« La plus longue assise de l’après-midi débute avec ce que nous appelons la méditation de la montagne.
L’image est inspirante, elle suggère que nous sommes assis comme la montagne, nous sentant enracinés, massifs et immobiles dans notre posture. Nos bras sont les flancs pentus de la montagne, notre tête le sommet élevé, le corps forme un ensemble majestueux et magnifique, comme tendent à l’être les montagnes. Nous sommes assis immobiles, étant simplement qui nous sommes, exactement comme une montagne se trouve là, non altérée par l’alternance du jour et de la nuit, les variations du temps et la succession des saisons. La montagne est toujours ancrée, enracinée dans la terre, toujours tranquille, toujours belle. Elle est belle en étant simplement ce qu’elle est, vue ou, pas, couverte de neige ou verdoyante, arrosée par la pluie ou couverte de nuages ».
Il faut aussi lire dans son livre « Où tu vas, tu es » aux éditions de poche « J’ai Lu », un autre texte sur la méditation de la montagne (p. 146) :
« Au cours de la pratique de la méditation, nous avons beaucoup à apprendre de la montagne. En effet dans la plupart des cultures du monde, elle représente l’archétype du sacré. Les sages ont toujours recherché dans la solitude de la montagne un renouveau et une quête spirituelle… »
Tags : cerveau, meditation, metaphores, nature, neuroscience, pleine-conscience, psychothérapies, spiritualité, terre
Merci pour ce beau texte, et ces photos annexes, Alain.
Cela me renvoie aussi à mes premières introductions à la méditation, 1000 mètres au dessus Chamonix, il y a bien longtemps. Pour quelqu’un qui vivait aux Pays-Bas (ou la plus grande montage mesure pas moins que 360 mètres, ce qui était déjà énorme pour moi…), c’était encore plus impressionnant, tu t’en doutes.
Aussi pour voir ma petitesse dans la grandeur de l’ensemble de la vie: Il y a quelques heures j’étais encore là-bas et maintenant ce là-bas semble si minuscule… Une belle exercice de prise de recul qui s’imposait spontanément.
Tout comme les méditations parfois très angoissants en regardant le ciel étoilé (toutes ces étoiles pas visibles en ville…) la nuit.
Mais bon, c’étaient d’autres exercices que cette belle pratique de l’identification avec la montagne que tu cites ici.
Une réflexion sur un plan un peu plus psychothérapeutique: cela me semble tout un art ou science de savoir proposer la métaphore la plus adaptée à la personne. Par exemple une personne psycho-rigide ou narcissique (« la majesté de la montagne ») risque de s’abuser de cette métaphore pour consolider sa névrose; une personne qui a du mal à s’ancrer dans son corps aimerait peut-être mieux les nuages dans le ciel, et cette préférence pourrait nourrir sa problématique, etc.
Est-ce Kabat-Zinn en parle dans son dernier livre (que je n’ai pas lu)?
Il y a d’autres questions encore, mais ce sera pour plus tard.
oui, Maarten, tu as raison de poser cette question relative au choix de cette métaphore de la montagne en relation avec la personnalité des clients. A ma connaissance, dans les livres traduits de JKZ, il n’en parle pas, sauf une allusion d’ordre très générale dans « Au coeur de la tourmente, la pleine conscience »p. 179 : « Les gens aiment la méditation de la montagne (…) Mais l’image connaît aussi ses limites, puisque nous sommes aussi une sorte de montagne qui peut marcher, parler, penser et agir, tout comme elle peut rester immobile ». Mais je prendrai comme toi, la question sous l’angle de l’adaptabilité de cette image selon les caractères ou personnalités. Cette image est comme un chemin qui conduit à l’état de pleine conscience, mais il y a de multiples chemins conduisant à cet état, et sous l’angle de l’image ou de la métaphore de multiples images. Je crois que le thérapeute doit savoir proposer plusieurs chemins selon la personne qui est en face de lui ou du moins lui laisser le choix devant plusieurs alternatives. Je me propose dans les articles suivants de présenter la métaphore du nuage, puis celle de la vague et enfin celle du feu, comme cela on fera le tour des quatre éléments de la nature.
Mais tu me parles d’autres questions, en particulier j’aimerais que tu nous éclaires sur cette histoire de cerveau droit et cerveau gauche : est-ce que c’est pertinent de parler de cela en ce qui concerne la pleine conscience ? Les recherches en neurosciences ont-elles remarqué quelque chose ?
Ah Alain, à propos de cette histoire de « cerveau droit/ gauche » je suis un peu nostalgique parfois des bons vieux temps où tout cela semblait si clair: quand on « savait » que le « cerveau gauche » était associé avec la rationalité et le conscient, et le « cerveau droit » avec l’intuition et l’inconscient, et quand on croyait que les aires différentes de notre cerveau avaient des fonctions clairement différentes. Il s’avère que c’est plus compliqué que cela. Néanmoins, ce qui reste valable, d’après ma connaissance: nos capacités langagières sont surtout associés avec des aires corticales temporales gauches (mais, vive la complexité: le cervelet joue un rôle important aussi dans la cognition), tandis que les aires droites sont plus directement connectées au corps et les régions cérébrales plus « primitives » (comme le régions limbiques et reptiliennes).
Je crois, et est-ce un hasard?, que ce qui compte, c’est le niveau de intégration et cohérence entre les aires différentes.
Pour la pleine conscience, le fonctionnement du néocortex préfrontal (directement derrière notre front, associé avec le « troisième œil?) semble essentiel. Entre autre parce que le préfrontal est la partie de notre cerveau le plus évolué, avec une densité de connexions incroyable; il est le mieux connecté avec, et donc le plus pleinement conscient de, la reste du cerveau et fonctionne un peu comme chef d’orchestre – si tout va bien. Et il est le plus associé avec notre capacité de rester ouvert au changement (créativité et ouverture d’esprit!), de prendre du recul et d’apprécier la complexité (= richesse) du réel.
Il y a bien plus à dire à ce sujet, mais ce sera pour un autre moment. Je t’enverrai un article sur le préfrontal que j’ai écrit il y a deux ans, dans la période où je travaillais encore dans l’équipe du dr; Jacques Fradin. Peut-être c’est intéressant de poster cet article sur ce blog, en ensuite on pourrait en discuter un peu plus.
Pour le moment deux métaphores: un des grands chercheurs des aires préfrontales Elkhonon Goldberg les appelait parfois « the angel lobes », les « aires des anges », et pour cause. Selon un autre neuroscientifique de grand renom: Anatonio Damasio, auteur de « L’erreur de Descartes », le préfrontal est le « lieu de rencontre entre le coeur et la raison ».
Merci Maarten sur ces précisions relatives au cortex préfrontal. si je comprends bien ma remarque sur le cerveau droit / cerveau gauche est donc complétement obsolète et à côté de la plaque – je m’en doutais un peu. J’avais repéré dans le livre de Jacques Fradin « L’intelligence du stress » l’importance du préfrontal. Ce qui est intéressant ici, c’est que tu le mets en relation avec la pratique de la pleine conscience. Est-ce que dans les travaux du Mind and Life Institut, on parle aussi de l’importance de ce préfrontal dans l’approche méditative ?
J’ai envie de revenir aussi sur ton 1er commentaire : « Par exemple une personne psycho-rigide ou narcissique (« la majesté de la montagne ») risque de s’abuser de cette métaphore pour consolider sa névrose ». Il me semble que cela nous renvoie à un précédent article « La mindfulness est-elle intégrative ? » et à nos commentaires, où nous défendions l’idée que cette pratique n’était pas une panacée et nécessitait souvent un travail préalable, d’ordre psychothérapeutique sur le « moi » – une sorte de nettoyage préalable, sinon il y a le risque de renforcer les névroses ou tout simplement le moi – ce que j’appelle le narcissisme spirituel, une maladie très en vogue dans une époque d’individualisme forcené.
C’est effectivement par le MindLife Institute – organisé largement autour de, et grâce au Dalai Lama, que sont initiées des explorations interdisciplinaires passionnantes autour de la méditation, les (neuro)sciences, la psychothérapie, l’éducation et maintenant l’économie – et… le rôle du préfrontal. Il me semble d’ailleurs que Matthieu Ricard a contribué aussi à ce projet intégrative; après tout il était docteur en sciences à l’Institute Pasteur avant de devenir bouddhiste et finalement traducteur du Dalai Lama.
Parmi les personnes très impliquées dans le MindLife Institute les deux les plus importantes pour la psychothérapie intégrative me semblent être Daniel Siegel, pédopsychiatre en neuroscientifique, qui s’est intéressé dans les liens entre les neurosciences et la pleine conscience, et dont les conclusions sur l’importance du préfrontal sont proches de celles de Jacques Fradin. Son livre « The Mindful Brain » est d’ailleurs exemplaire d’une autre façon aussi: des chapitres scientifiques et distanciées (« science dans la troisième personne ») sont alternés par des descriptions de ses propres expériences avec la pleine conscience (« science dans le première personne »).
L’autre personne est la magnifique Roshi Joan Halifax, auparavant co-auteur avec Stan Grof de « L’Human Encounter With Death », et maintenant abbesse d’un centre de méditation Zen très ouvert: « L’Uppaya Institute ».
Je viens d’entendre une série de présentations de Dan Siegel à « L’Uppaya Institute », et c’est non seulement très intéressant sur le contenu, mais les brèves interactions pétillantes et franches (au point que ils ont du rassurer le publique que oui, Joan et Daniel étaient des vrais amis) étaient pour moi un exemple comment « les grands » peuvent faire en sorte qu’ils restent ouverts, au lieu de se reposer sur leurs lauriers.
On entend ici plein de choses inquiétants sur les Etats-Unis; heureusement il y a aussi des projets, sources de vraies inspiration, comme ceux que je viens de décrire.
Peut-être on revient à un autre moment à ces deux Institutes (et à d’autres)?
Je partage tes réflexions sur le risque du narcissisme spirituel, quand une pratique de la méditation n’est pas associé à un travail psychothérapeutique sérieux.
Et ce que je me (et te) demande est: devrait-il s’agir d’un travail pré-alable, et pas concomitant?
Il y a même des personnes qui commencent par une pratique de méditation pour ensuite se rendre compte qu’il a « des trucs » qui ne vont pas, sur le plan émotionnel par exemple; ce qui les motive d’entamer une psychothérapie. C’était le cas de par exemple Jack Kornfield.
Je sais que Ken Wilber présente les choses de façon un peu plus linéaire dans ce domaine, ce que je regrette.
merci Maarten pour cette présentation du MindLife Institute et du centre Uppaya Institute dont j’ignorais l’existence. Pourrais-tu nous dire plus précisément ce que dit Daniel Siegel du rôle observé du préfrontal dans la méditation ; je pense que c’est ici en France quelque chose qui n’est pas encore connu.
Par ailleurs, j’ai envie encore une fois de défendre Ken Wilber – même si je ne fais pas partie des « gruppies » inconditionnels – en remettant les choses à leur juste place. Ken Wilber est un théoricien, un philosophe, ce n’est pas un praticien au sens thérapeutique – même si comme le laisse entendre Franck Visser dans son livre « Ken Wilber, la pensée comme passion » il a une longue pratique personnelle de la méditation. au niveau théorique. Il me semble donc, qu’il est plus cohérent de commencer par le nettoyage préalable (physique, émotionnel et mental) – et si l’on va plus profond encore le nettoyage « prépersonnel », dans les zones les plus profondes de ses déterminismes inconscients souvent préverbaux. Ensuite, quand le vase est nettoyé, on peut y faire venir les Lumières du « transpersonnel » par des moyens divers dont la méditation de la pleine conscience (aujourd’hui en vogue). Il faut nettoyer le vase avant d’y faire couler l’eau pure. Dans un autre langage, il y a aussi une espèce de hiérarchie théorique « prépersonnel – personnel – transpersonnel » qui est « le paradigme évolutif de la conscience » de Ken Wilber – qu’il appelle d’ailleurs une holarchie pour ne pas faire de confusion avec une hiérarchie.
Mais je suis d’accord avec toi pour dire qu’au niveau pratique, les choses sont plus complexes et ne sont pas si linéaires, et que l’on travaille souvent de manière concomitante les différents niveaux, comme dans l’exemple que tu donnes emprunté à Jack Kornfield qui est pour moi aussi une référence. Dans ma pratique personnelle thérapeutique, je pratique aussi de cette manière. Mais, en arrière fond de ma vision intégrative, il y a cette cohérence de l’holarchie des différents niveaux. Il y a donc comme une liberté pratique, fluide et imprévue, qui se joue en parallèle avec une vision cohérente assez cadrée et systématique, de sorte que finalement, malgré la liberté que je m’accorde, je m’aperçois qu’il y a des étapes dans ma pratique, des « phases » relativement cohérentes qui relèvent de ce que j’appelle la cohérence d’une psychothérapie intégrative, n’ayant rien à voir avec une liberté éclectique. Voilà encore un problème de fond que nous soulevons relatif à la complexité de la pratique intégrative.
Ce que j’aime surtout dans ce que tu dis, Alain:
cette distinction entre improviser de façon eclectique et travailler selon un modèle intégrative, comme orientation
de ne pas s’enfermer dans un « crédo », ne pas devenir dogmatique, même si la théorie est belle ou convaincante. C’est comme dans la méditation: ne pas s’accrocher aux idées, rester ouvert à ce qui se présente dans ce moment et observer les effets de nos actions.
A propos de Daniel Siegel et le préfrontal: peut-être on peut en faire un sujet séparé? Car ça nous amène un peu loin de ce beau sujet de « métaphores de la plaine conscience ».
bonjour
oui j’en fais également référence dans le dernier article publié sur mon blog qui analyse le livre « où tu vas, tu es. »
avec bienveillance
Guillaume Rodolphe
http://enpleineconscience.wordpress.com