Le nuage est une métaphore qui revient très souvent dans l’apprentissage de la méditation.
Au moment le plus délicat de la pratique méditative, quand les pensées commencent à faire irruption pour vous distraire et vous emmener au loin dans leurs mirages, il s’agit alors de les comparer à des nuages dans le ciel, volatiles, évanescents, insubstantiels, de manière à les laisser filer au loin, sans s’y attacher, et à tourner de nouveau sa conscience, doucement, avec bienveillance, vers l’observation de sa respiration dans l ‘ici- maintenant, de manière à retrouver progressivement le ciel bleu de cette conscience ayant été troublée momentanément par le passage des nuages.
Le nuage est donc une métaphore qui aide à la non-identification avec les pensées et au discernement subtil de la différence entre la conscience (le ciel bleu et infini) et les pensées appartenant aux constructions perturbantes du mental (les nuages qui passent).
Mais l’utilisation de la métaphore du nuage peut aller encore plus loin, comme dans ce beau livre de Osho Rajneesh « Mon chemin, le chemin des nuages blancs » (paru aux éditions « Le Voyage Intérieur » en 1988 et depuis longtemps épuisé) :
« Juste avant que Bouddha ne meure, quelqu’un lui demanda : « Lorsque un Bouddha meurt, où s’en va-t-il, survit-il ou disparaît-il simplement dans le néant ? » Bouddha, dit-on, répondit : « C’est comme un nuage blanc qui disparaît » (…)
Un nuage blanc n’a pas de racines – c’est un phénomène sans origine, qui ne se rattache à rien, ou qui se rattache au Rien. Mais pourtant, il existe.
La totalité de l’existence est pareille à un nuage blanc : sans aucune racine, sans aucune causalité, sans cause ultime, elle existe. Comme un mystère, elle existe.
Un nuage blanc ne choisit pas son chemin. Il se laisse emporter. Il n’a nul endroit à atteindre, pas de destination, aucune destinée à accomplir, aucun objectif final. Vous ne pouvez décevoir un nuage blanc, car où qu’il arrive, là est son but.
Un nuage blanc est emporté là où le vent le pousse – il ne résiste pas, il ne lutte pas. Un nuage blanc n’est pas un conquérant et pourtant il survole tout. Vous ne pouvez le vaincre, vous ne pouvez le soumettre (…)
Un nuage blanc vagabonde dans le ciel, en dehors du temps, car, pour lui, il n’y a pas de futur, pas d’intention. Il est ici et maintenant. Chaque instant est l’éternité entière (…)
Il existe une méditation au Tibet : les moines sont assis, seuls, dans la montagne, dans une solitude absolue, et méditent simplement sur les nuages blancs qui flottent dans le ciel, en une contemplation continue, jusqu’à s’y perdre et à s’y fondre peu à peu. Ils deviennent alors eux-mêmes des nuages blancs. Sans mental, simplement là, sans résistance, sans lutte, sans rien à attendre, sans rien à perdre, savourant simplement l’existence, célébrant l’instant, la joie de l’instant, l’extase de l’instant. »
Voilà une métaphore, très différente de celle de la montagne, presque à l’opposé. elle cherche à développer d’autres qualités : l’insubstantialité du moi, son impermanence, l’absence de but et de chemin pour apprécier l’instant présent, etc… Cette métaphore peut servir d’antidote au renforcement de l’ego que peut produire la méditation de la montagne dans sa majesté, sa grandeur et sa force.
Mais en même temps, il semble qu’il faille l’employer avec beaucoup de circonspection et de précaution. Un moi, une personnalité mal structurée ou schizoïde ou déréalisée, peut être aggravé dans son symptôme par une telle identification à l’évanescence du nuage.
Encore une fois, le thérapeute qui propose ce genre de métaphore pour faciliter le processus méditatif, doit faire des choix judicieux, en fonction de la personne se trouvant en face de lui. Ce qui revient à porter un questionnement sur les pratiques de groupe de méditation – surtout les groupes importants. Certes, la pratique est plus facile car on est porté par l’énergie collective, mais les suggestions de l’instructeur pour accompagner le processus méditatif ne sont pas neutres et peuvent occasionner quelquefois des dégâts, qu’il lui est impossible de prendre en compte, sauf s’il y a un temps suffisant de feed back – ce qui n’est pas toujours le cas – ou s’il y a un travail concomitant de psychothérapie.
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Le danger que tu mentionnes, Alain, me semble plus dans l’interprétation de Osho qu’en celle de Kabat-Zinn.
Voir ces pensées comme des nuages me semble nettement moins à risque que considérer son « moi » comme nuage. Ceci dit, cet accent sur l’élément « air » n’est probablement pas trop indiquée comme métaphore pour quelqu’un pas très « pied à terre ».
Pour tout dire, je me méfie un peu de l’interprétation d’Osho, mais je suis sûrement un peu biaisé (un petit détail, le titre de ce livre est piqué d’un livre de Lama Anagarika Govinda, livre culte sur Tibet, que Osho avait sûrement lu).
En tout cas je regrette que Osho parle plus du nuage comme métaphore du moi que du ciel / l’espace comme métaphore du soi/ conscience.
oui, tu as raison Maarten, le danger est évidemment dans l’interprétation d’Osho, plutôt que dans la métaphore relative aux pensées qui n’est pas le fait de Jon Kabat-Zinn – tu remarqueras que je ne le cite pas dans cet article. C’est une vieille métaphore que l’on retrouve partout, en particulier, je crois, dans la méditation Zen.
Au sujet d’Osho, il me semble que sa métaphore n’est pas plus dangereuse que la métaphore de la montagne ; elle risque de renforcer les tendances névrotiques déjà là potentiellement, au même titre que la montagne. Et si l’on prend pour hypothèse que l’environnement social actuel produit plus de névroses narcissiques et matérialistes, obsédées par le résultat, les objectifs d’efficacité, etc, la métaphore du nuage parait plus indiquée que la montagne comme antidote à cette tendance dominante, de même qu’ un très bon anti-stress. Enfin, que ce soit Osho qui reprenne cette métaphore à son compte est finalement secondaire et anecdotique. Le plus important me semble être son intérêt pour certaines personnes dans un choix judicieux.
Oui, cette belle métaphore de pensées comme nuages et le soi / la conscience comme espace est effectivement un peu de « partout ». Et elle complémente bien cette métaphore de la montagne.
Dans le thérapie de l’acceptation et l’engagement on fait une distinction que je trouve claire et utile entre « soi comme concept » (ou image de soi, ou « soi biographique »), « soi comme processus » (que je préfère traduire comme « flux ») et « soi comme contexte ».
Pour rester dans la métaphore: le « soi comme concept » serait parmi les nuages, le « soi comme processus » serait la météo et « le soi comme contexte » serait l’espace/ le ciel.
Cette distinction des différents « soi » de l’ACT me semble intéressante, à condition de mettre un S majuscule au « Soi contexte », pour bien marquer qu’il se situe sur une autre plan, un plan transpersonnel, un plan où il s’agit du Contexte de tous les contextes, du Contexte sans forme qui contient toutes les formes.
Je partage, Alain, ta proposition de parler de « Soi comme contexte» dans cette dernière niveau.
Pour revenir aux pratiques de groupes de méditation: je crois que beaucoup dépend de la place que l’on offre au partage et questionnement Je ne peux qu’espérer qu’il y ait un bon accueil pour le partage des « moins bons résultats » et surtout, surtout pour un vrai questionnement des instructions. Qu’il devienne évident que les « instructions » ne sont que de propositions, et que celles-ci ne sont pas pertinentes pour tout et chacun. Et où il ne s’agit donc pas, ou pas en premier lieu, de « motiver » les participants de continuer cette pratique prescrite; car là, la pression du groupe et le conformisme peuvent devenir redoutables, voire effrayants dans les atteints à la liberté – et donc à ce que nous entendons par spiritualité.
Ce qui me fait penser à une des choses que j’apprécie énormément dans la Gestalt- Thérapie, ou au lieu d’exercices on parle d’expérience – occasion d’expérimenter une autre option ou approche, pour ensuite y réfléchir quant à sa pertinence. Au lieu des « instructions transmises » on entre dans une processus de découverte partagée.
« … la pression du groupe et le conformisme peuvent devenir redoutables, voire effrayants… »eh oui ! on est d’accord, Maarten. Il suffit que le groupe soit silencieux, ait pris des habitudes de silence face à l’instructeur – les neurones miroirs ? – et alors, il ne sera plus possible de formuler ses malaises, ses problèmes, ses difficultés par rapport à la méditation de groupe. Mais il y a pire, je crois : il y a souvent cette étrange relation entre l’instructeur et les participants, quand cette relation a été entachée par la relation « maître / disciples » venant des Traditions, en particulier bouddhistes – relations archaïques, souvent infantilisantes, relations de soumission, relation d’allégeance d’un autre âge, où la parole n’est pas libre, souvent filtrée ou réglementée par des intermédiaires dans la hiérarchie. Un jour dans une séance de méditation groupale, je me suis fait exclure par « un second couteau » d’un maître relativement connu, parce que les nouveaux arrivants n’avaient pas le droit à la parole pendant un an, comme à l’école, pire qu’à l’école.
Alors, à choisir parmi la liste des instructeurs de la mindfulness qui ne devrait que gonfler, je me méfierai particulièrement de ceux qui viennent de la mouvance des traditions méditatives, car par dessus tout dans ce genre de pratique, il faut une parle libre, spontanée, adulte, délivrée des scories de la soumission silencieuse au « maître » et à son clergé.
Bon, comme on est dans « le pire » – et hélas, cela me semble nécessaire: même la suggestion de « libre parole » peut être manipulatrice. Car dans les thérapies psychanalytiques, par exemple, le patient a bien une grande liberté d’expression (expression verbale, bien entendu), mais sa critique et ses questionnements sur le cadre de la thérapie ou sur les interventions du thérapeute sont trop facilement « détournés » en les considérant des manifestations d’un transfert « pour lequel le thérapeute n’a aucune responsabilité ».
Heureusement il y a des thérapeutes et formateurs qui sont plus ouverts à une remise en question; j’aimerais seulement que leur nombre était plus grand…
Tout cela pour dire que le critère de la parole la plus libre possible est un critère de choix important dans un groupe de « méditation, pleine conscience, midfulness » ; de même aussi la possibilité d’alterner méditation de groupe et méditation individuelle pour la prise en compte de manière adéquate des difficultés personnelles.