Méditations insolentes

La méditation est d’abord le « non » d’une rébellion radicale

La méditation c’est d’abord oser dire « non »,
non à l’humaine folie qui nous menace de toute part,
non au charivari intérieur, au tumulte des pensées et des passions,

La méditation est le pouvoir de dire « non »
un non absolu à la trivialité de la vie commune,
un « pied de nez » au fonctionnel, au rentable, à la performance, à l’efficacité, au profit, au spectacle,
toutes ses pitoyables programmations contemporaines des esprits.

La méditation c’est le courage de dire « non »,
non à cet incessant bavardage des informations devenues informes,
non à ce déluge insensé des images,
quand chacun cherche à donner en spectacle
sa misère passagère.

Méditer c’est d’abord dire « non » pour s’arrêter, s’immobiliser,
refuser la course de cette foule tenaillée par le chaos des désirs,

La méditation, c’est oser avec détermination poser les limites d’une vie insatiable et toujours insatisfaite,
afin de se contenter de peu,
afin de se contenter du Vide.

La méditation c’est la volonté d’assumer ce « non », haut et fort,
pour s’absorber dans le silence et la solitude,
dans un lieu bien à l’écart,
au plus profond de soi-même.

La méditation en ce « non » flamboyant
est totalement inutile et gratuite,
le contraire de vouloir tirer profit de ce monde.

La méditation commence par ce « non » radical, sans compromission possible,
afin de tendre vers un espace intérieur où règne la Conscience
en sa transcendance distanciée et sereine.

La force de ce « non » méditatif vient de l’acuité de l’attention consciente,
capable seule de dire « non » à tous les pièges de l’ego,
exhaltés par une société au comble de la futilité :

non à l’avidité des désirs, non à l’addiction consumériste,
non à la possessivité, à la jalousie, aux plaisirs faciles,
non à l’absolutisme matérialiste et techno-scientifique,
non aux mirages du monde virtuel,
non à l’illusion du progrès.

La méditation c’est le « non »
face à cette involution actuelle de l’esprit,
que certains nomment parfois l’âge de fer (le Kali yuga) (1),
où c’est la démence la norme de l’être humain.

Quand tout vous pousse vers la reptation bruyante des foules anonymes,
la méditation est un « non » aux illusions du salut collectif,

car la méditation est un « non » individuel,
âme par âme,
au compte goutte.
pour se libérer du joug de l’humaine inconscience.

De même que la méditation n’a pas peur de dire « non »,
de même elle ne craint pas le négatif,
en visitant la part d’ombre de l’inconscience humaine
nichée au plus profond de chacun,
en son intériorité prédatrice.

Pendant longtemps la méditation du « non » s’occupe de cette négativité intérieure
cachée au plus profond de l’inconscient humain,
c’est un long travail sur soi-même, pour que la méditation apporte légèreté et fluidité
à ces blocs de mémoires pétrifiés, qui entravent la Conscience.

La terre est une perle de beauté
dédiée à la souffrance évolutive de chacun,
car le « non » émanant de la souffrance, est le levier de l’expansion de la conscience humaine.

Sans souffrance pas de méditation possible,
pas de remise en cause radicale de soi-même,
pas de « non » méditatif.

En ce sens, c’est dans ce monde devenant de plus en plus furieux,
en proie au retour des guerres et de la violence barbare,
qu’une grande floraison d’âmes méditatives est attendue,
capables de dire « non » à tout cela.

Les signes de ce « non » méditatif
sont donnés par tous ceux qui choisissent de vivre dans ce qui reste de la Nature,
pour une vie simple et sobre, vouée à la décroissance matérielle,
mais cultivant la croissance intérieure la plus radicale.

Le plus grave écueil de la méditation
C’est l’ego de lumière.
se croire devenu indispensable et supérieur,
se prendre pour un maître,
le « non » est alors plus que jamais de mise,
le non d’une conscience acceptant ses limites,
prête à accueillir l’humilité, l’humus de sa condition humaine.

Le Bouddha a commencé par dire « non » à la vie princière qui l’attendait,
pour s’échapper de sa prison dorée, seul dans la nuit,
et devenir un moine errant,
s’adonnant aux plus rudes ascèses.

Lao-tseu a dit « non » à la cour de l’empereur de Chine, dont il était l’illustre bibliothécaire,
pour s’en aller seul comme un vagabond,
trouver refuge et disparaître dans les montagnes les plus reculées.

Jésus a dit « non » aux rabbins rivés à leurs dogmes et leurs privilèges,
pour s’en aller jeûner quarante jours au désert,
puis revenir chasser les marchands du temple
et enseigner sa vérité aux gens les plus simples.
C’est ce « non » radical qui lui valut la crucifixion.

 

Quand le « non » de la méditation s’ouvre sur le grand « Oui »

Au plus profond du « non »,
la conscience méditative s’ouvre sur un « Oui » tout aussi radical,
paradoxe ultime,
intégration mystérieuse des contraires.

Au milieu de cette rude ascèse du « non »,
au milieu de la nuit intérieure la plus obscure,
le moment vient, où peut s’ouvrir la porte du grand « Oui » :

Oui à l’Absolu, oui au Tout, oui à tout,
oui à la Lumière de la Conscience qui illumine toute chose,
oui aux fragrances de l’Amour inconditionnel,
oui à cette Joie d’être que l’on appelle aussi Béatitude.

Mais ce Oui ne vient pas de l’intérieur de soi-même,
ce Oui vient du Ciel,

car dans l’ouverture du Vide préparé par  le « non » de la méditation,
le Oui du Ciel peut pleuvoir en fines gouttelettes de Lumière.

En ce grand Oui, tout est accueilli, tout est accepté, tout prend son sens :

même cette folie collective apparait comme un chemin
permettant la lente évolution individuelle de chacun,
même la souffrance incontournable permet l’émergence des chemins de la guérison,

même la mort, le mal et l’impermanence de toute chose,
semblent des passages nécessaires vers l’évolution irrésistible de la Conscience.

Par la grâce de ce grand Oui, tout devient précieux, tout devient nécessaire,
tout participe de l’évolution cosmique perpétuelle,

la méditation du Oui s’élève alors vers le Ciel comme un parfum de fleurs
afin de donner au Ciel l’envie de descendre sur terre.

Mais dans ce Oui méditatif radical,
veille aussi le « non » tout aussi radical,
ce qui donne  à cette méditation intégrative
une sorte de gravité derrière le sourire d’inconditionnelle acceptation.

Une gravité méditative bien loin de cette joie superficielle
ou de ce bonheur « à l’eau de rose »,
que prêchent actuellement certains pratiquants.

Ce sont les petits maîtres actuels de méditation
qui derrière leur « oui » de façade,
ne remettent jamais rien en cause
du leur monde intérieur et surtout extérieur.

C’est d’abord  Google qui prépare l’horreur du « Transhumanisme »,
entre deux méditations de « pleine conscience »,
afin de devenir plus efficace dans son projet,

ce sont aussi les cliniques du stress,
où l’on confond souvent méditation et relaxation.

Grâce au « non » et au Oui entremêlés de la méditation,
le chemin de terre est pleinement parcouru,
en son sens évolutif,

l’âme peut alors s’envoler ailleurs
vers des séjours plus lumineux,
en des galaxies lointaines,

en ces lieux où le « non » n’est plus un passage obligé,

là où le Oui brille éperdument,
éternellement.

Le merveilleux « non » de Tchouang-tseu

Alors que Tchouang-tseu pêchait dans la rivière P’ou avec sa ligne de bambou,
deux hauts fonctionnaires du roi Tch’ou vinrent et lui dirent en lui tendant un document officiel :
– Monsieur, le roi demande que vous veniez au palais et que vous le serviez en tant que Premier Ministre.

Tchouang tenant sa ligne de bambou et sans se retourner, répondit :
– J’ai entendu dire qu’à Tch’ou, il y a une tortue sacrée qui mourut il y a trois mille ans.
Le roi conserve sa carapace entourée de soie et enfermée dans une boîte en or massif sur un autel du temple.

Qu’en pensez vous ?
Si vous étiez cette tortue, préféreriez-vous être vénéré de la sorte,
ou plutôt être à nouveau en vie, à ramper de-ci de-là,
en traînant sa queue dans la boue ?

– Plutôt vivre et traîner sa queue dans la boue, répondirent les fonctionnaires

Tchouang-tseu dit alors :
– Retournez chez vous messieurs, faites mes compliments à sa Majesté
et dites-lui que je suis heureux ici à ramper et traîner ma queue dans la boue (2)
(1) le « Kali yuga » dans la tradition cosmologique hindoue de nature cyclique, est le dernier des quatre âges d’involution :
après l’âge d’or ou Satya yuga consacré à la Vérité, suivent l’âge d’argent, l’âge de cuivre, et enfin le Kali yuga, en fin de cycle, marqué par l’obscurité et la négativité de l’esprit humain à leur comble, mais où pointe heureusement les signes de Vérité d’un monde nouveau à renaître.

(2) Traduction (un peu remaniée) de Stephen Mitchell dans son excellent petit livre « L’éternelle sagesse du Tao, le rire de Tchouang-tseu » aux Synchroniques éditions

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32 réponses à “Méditations insolentes”

  1. Maarten Aalberse dit :

    J’aime beaucoup ce nouveau texte, Alain

    Et ça me fait penser à Gabor Maté et son bouquin: « Quand le corps dit non »:

    http://fr.sott.net/article/20497-Quand-le-corps-dit-non-Le-stress-qui-demolit-le-Dr-Gabor-Mate-demythifie-la-medecine-avec-erudition-et-compassion

    • Alain Gourhant dit :

      Oui, merci Maarten pour cette référence au Dr Gabor Maté que je ne connaissais pas.
      Effectivement il y a une belle analogie entre le corps qui dit « non » à sa manière aux mauvais traitements qu’il subit,
      et l’Esprit qui dit « non » à sa manière à toutes ces croyances, pensées et émotions néfastes, infligés par un environnement délétère et dont la méditation est une des meilleures formes de réponse et de guérison.

  2. Didier O. dit :

    Alors que certains hommes préparent l’obsolescence programmée de l’humanité,
    et que d’autres se résignent au nom du progrès inéluctable
    (par ex. Luc Ferry, dans son nouvel ouvrage, la révolution transhumaniste),
    quelques-uns continuent à perpétuer une pratique millénaire,
    sans cesse redécouverte et partagée

    Merci Alain pour votre rappel magnifique.

    https://www.facebook.com/MMindfulness.fr/videos/1575116292780362/

    • Alain Gourhant dit :

      Oui, ce pauvre Luc Ferry aurait du rester cantonné à la mythologie grecque, pour laquelle il a un certain talent.
      Dès qu’il s’aventure dans le monde actuel ses présupposés politiques et idéologiques l’aveuglent…

  3. Nounedeb dit :

    Peut-être un oubli, dans cette évocation très complète de la méditation? Les athées semblent, comme d’habitude d’ailleurs, ignorés, inexistants, transparents, des ectoplasmes?
    Il est important de les nommer, car eux aussi peuvent avoir accès à la spiritualité, par la méditation. Elle ne ne doit pas être confisquée par les seuls courants religieux.

    • Alain Gourhant dit :

      Merci de soulever cette question de l’athéisme.
      C’est vrai, je n’emploie rarement ce mot, au sens où l’athéisme a été malheureusement colonisé le plus souvent par le matérialisme scientifique, pour lequel je ne me sens aucune affinité, en tant que religion de la modernité.
      Par contre, si on donne à l’athéisme le définition large d’une non-croyance à dieu, c’est à dire ce personnage créé de toute pièce par les religions institionnelles et dont les caractères changent suivant celles-ci – du Père fouettard au Dieu amour -,
      alors, je me considère comme un athée, moi aussi, et l’expérience intime de la méditation n’a rien à voir avec une quelconque croyance à dieu.
      Un athée peut tout à fait méditer et faire l’expérience d’un état intérieur de transcendance inimmable et n’ayant rien à voir avec une croyance quelconque.

  4. hédouin dit :

    Bonjour
    Désolé Alain ,mais en méditation il n’ y a pas plus de « oui » que de « non ».Ces catégories binaires sont absolument étrangères à la méditation ,au moins dans sa définition athée,comme soulignée par Nounedeb ,merci à toi .
    Jean Pierre

    • Alain Gourhant dit :

      Oui, c’est vrai, vous avez raison, la méditation amène dans un espace intérieur au dessus de toute dualité – ce que vous appelez « catégories binaires ».
      Mais il nous arrive aussi de « biner dans le binaire », avant de découvrir les hautes sphères de la non-dualité,
      et puis j’aime bien m’écarter des chemins suivis par tout le « gratin » de la méditation actuelle ; c’est là mon insolence…

  5. hédouin dit :

    Merci Alain ,peu importe que certains viennent à la méditation par des techniques ou d’autres voies plus spirituelles.Si moi je persévère dans la méditation ,c’est tout simplement qu’elle ouvre en soi -et surtout en dehors de soi -un nouvel espace infini,illimité,intemporel .Jung est en Occident,c’est à dire dans notre tradition , pour moi ,celui qui a ré-éclairer ce nouvel espace ,qui depuis Paracelse était proscrit.

    • Alain Gourhant dit :

      Paracelse ?…
      C’est intéressant, Hédouin, cette référence à Paracelse surtout au sujet de la méditation ; pourriez-vous nous en dire plus ?

  6. Maarten Aalberse dit :

    Je ne suis vraiment pas sûr que, pendant la méditation, la plupart de nous ne faisons pas des choix (et donc disons « oui » et « non », d’une façon ou autre), sauf peut-être dans des stages très avancés ?

    C’est déjà évident dans le cas d’utilisation d’un mantra ou autre « objet » de méditation.
    Mais même si l’on fait une méditation « sans object », ouverte, en observant ce qui se présente, là aussi est actif un processus de prioritisation (ortho?), me semble-t-il. Ce qui ne veut pas dire que ces prioritisations soyent conscients…
    Qui parmi nous peut vraiment dire être au delà des condionnements (sauf peut-être pendant des moments rares) ?

  7. hédouin dit :

    Avons nous le choix de respirer ou de ne pas respirer ?non la question vitale ne se pose pas en terme de choix ,heureusement .

    Méditer c’est aussi percevoir que je ressente quelque chose ou rien à un moment donné n’a pa

  8. hédouin dit :

    ….pas d’importance ,hormis le fait d’avoir été attentif,présent , à ce qui se passait .

    • Alain Gourhant dit :

      Je crois que vous avez raison tous les deux, Maarten et Hédouin, au sens où il y a plusieurs niveaux de la méditation.
      Evidemment le « top », c’est quand il n’y a plus aucune distinction, aucune priorité, aucun choix, aucune dualité : tout est dans l’Un et tout se vaut, sans aucun choix possible, d’ailleurs Maarten en parle au sujet de certains « stages très avancés ».
      Mais avant cela il y a des étapes, il y a des échelons qu’il nous faut monter progressivement, j’ai envie de dire humblement.
      J’ai privilégié dans cet article l’étape, pour ainsi dire préliminaire, du « non » de la rébellion, comme une intention première, qui, si elle n’est pas là, entraîne que la méditation peut devenir suspecte de toutes les compromissions possibles avec ce monde d’ici bas ;
      mais il y a aussi l’étape du choix d’une technique de méditation. Il y en a des centaines : cela peut être la simple contemplation d’un paysage merveilleux de la nature ou, comme le dit Maarten la répétition d’un mantra, ou plus à la mode la méditation zen ou la méditation de la pleine conscience qui est une simplification de Vipassana bouddhiste. Tant qu’on est à cette étape, il y a des choix à faire, des priorités incessantes.
      Et puis, il y a l’étape finale, dont parle Hédouin, tout est devenu méditation ou méditatif, la dualité a disparu, ne reste que la pure conscience extatique du moment présent. C’est la Réalisation. Je crois que le Dalaï Lama a dit qu’il n’y avait pas plus de trois ou quatre personnes réalisés actuellement en ce monde.
      Peut-être ce que j’ai nommé « le grand Oui » a quelque chose à voir avec cet état ; mais il me semble, qu’il ne faut pas s’abuser soi-même de cela, qui reste, je crois, pour la plupart d’entre nous relativement rare et éphémère, comme des flashs de Lumière.

  9. hédouin dit :

    Merci Alain pour cette intégration .En ce qui me concerne ,mes références de pratiques peuvent être orientales,mais je ne le suis pas moi oriental .Donc ma référence majeure reste Jung qui exprime très bien que strate après strate, la dynamique d’intégration des opposés confronte, réunit et marie la personnalité consciente en transformation, à des plans de plus en plus éloignés de l’inconscient personnel et de l’inconscient collectif, jusqu’à produire le sentiment d’une union sous-jacente avec la nature entière et le cosmos .

  10. anny dit :

    Dire non pour moi, c’est dire « je t’aime » à un arbre ou à un être mal aimé, et ce n’est pas de la provocation. C’est dire oui aux esprits de la nature, à l’anticonformisme parfois, à la surconsommation. Oui à ma façon de vivre de de penser : être soi-même. Tout un art dans ce siècle de lobotomisés. Le droit de vivre sa spiritualité propre en dehors des sentiers rabattus.
    Le droit d’aimer ceux qui le méritent, de se méfier de ceux qui ne le méritent pas, d’aider qui le mérite tout en fuyant les profiteurs et les parasites de l’entraide. C’est un tas de choses, être libre penseur, être soi. C’est penser que les Indiens d’Amazonie sont plus sages que les géants de la civilisation. Que mon chien est plus loyal que l’humain qui ne pense qu’à lui. C’est lâcher prise sur le qu’en dira-t’on et le prêt à penser. Oui, de grands sages ont su renoncer pour vivre heureux, sans agresser, en donnant l’exemple. Tout simplement. Etre libre c’est aussi redevenir dépouillé et désapprendre tout, réinventer son monde et l’enchanter…

    • Alain Gourhant dit :

      oui, c’est cela, Anny, c’est comme si il y avait un état d’être, où le oui et le non sont entremêlés, un état au delà du oui et du non, comme si on agissait sans agir (Lao-tseu), dans la création permanente du moment présent, sans à priori et sans ego.
      C’est un peu comme cela que je traduis ce que vous dites : être soi-même dans le grand Soi.

  11. hédouin dit :

    Si la question du oui /non relève d’une ambivalence ,cela reviendrait à dire que les valences sont bien définies ,comme dans la chimie classique . Je souhaite bonne chance ,à ceux qui vivent ainsi!!!
    Si la question du oui/non relève de l’ambigüité ,alors nous sommes bien dans cet entremêlement dont nous parlons ,complexité assumée? par les approches systémiques ,holistiques ,mélant assertivité et intégration dans un joyeux bric à brac!!!

    • Alain Gourhant dit :

      Je comprends bien votre scepticisme ironique, Hédouin, devant les prétentions de « l’intégration » des contraires. C’est vrai, c’est une gymnastique de l’esprit assez délicate, et vous avez raison quand vous dites que, souvent, cela prend l’allure d’un « joyeux bric à brac ».
      Moi, j’appelle cela le danger de « l’éclectisme », où, par exemple en psychothérapie, toutes les techniques et les courants sont sur le même plan dans ce joyeux « bric à brac.
      J’essaie de montrer, surtout dans mon site consacré à la psychothérapie intégrative, que tout n’est pas sur le même plan et qu’il y a une hiérarchie ou plutôt une « holarchie » des niveaux de conscience en rapport avec ces différentes techniques.

      Dit autrement, l’intégration de deux notions différentes comme le « non » et le « oui », se fait par une élévation du niveau de conscience capable de transcender, dans un premier temps, ces deux notions contradictoires, puis, dans un 2e temps, de les intégrer harmonieusement.
      Si bien que, face au chaos actuel, dont l’éclectisme est une composante importante, je peux dire à la fois « non » pour m’en détacher et « oui » pour intégrer ce chaos dans une vision supérieure ou plus profonde.

  12. hédouin dit :

    Je me suis déjà exprimé le 12 avril sur ce sujet en décrivant mon évolution comme un mouvement vers le sentiment « d’une union sous-jacente avec la nature entière et le cosmos » .Pour moi cela demeure du domaine du ressenti ,de l’intuition ,de l’éphémère;les artistes nous les procurent aussi ces émotions .C’est corporel ,affectif ,plus que psychique et encore moins mental .Je suis dubitatif sur le terme de conscience ,je préfère l’attention ,la concentration,la respiration ,l’amour….n’y-a-t-il pas plus de vérités dans Dyonisos que dans Appolon?

    • Alain Gourhant dit :

      mon cher Hédouin, je trouve votre chemin spirituel tout à fait remarquable fondé sur le sentiment, l’intuition, l’union à la nature et au cosmos, etc,
      mais je suis un peu gêné quand vous vous mettez à discréditer d’autres voies que la vôtre, il ne faudrait pas tomber, faute de conscience intégrative, dans l’intégrisme spirituel, dont malheureusement l’histoire humaine est jonchée de cadavres…
      Désolé, mais pour moi, il y a mille chemins et mille manières d’atteindre les hauts sommets de la transcendance spirituelle,
      et dans cette multiplicité, le chemin de la méditation, qui est d’ailleurs actuellement une sorte de boulevard avec le regain d’intérêt pour la « pleine conscience », ce chemin fait sans cesse allusion à l’expansion de la conscience, ce qui devrait attirer toute votre attention et votre intérêt, en dehors de tout dogmatisme.

  13. Denis dit :

    Je suis vraiment satisfait de lire ce qu’est aussi d’abord la méditation et qui est si peu dit : un engagement pour le non et pour le oui.
    Cet engagement doit prendre une dimension sociale, collective et ne pas se réduire à son petit « moi » qui veut parvenir au grand « Soi ». Il y a un double jeu, un double combat qui agit : celui de la personne et celui du collectif.
    Je présente aujourd’hui l’article d’Alain sur mon blog en étendant cette vision du non et du oui à l’aspect collectif et sociétal : http://www.cielterrefc.fr/meditation-dabord-non-dune-rebellion-radicale/

    • Alain Gourhant dit :

      merci Denis de cet enrichissement en rappelant l’engagement collectif nécessaire.
      La méditation comme voie royale d’accès au Tout, à l’Un, à l’Amour, demande effectivement cet engagement, surtout que le système social actuel prêche le contraire : individualisme et égoïsme coonsumériste, matérialisme hédoniste, compétition à tout crin, etc, etc.
      Par contre pour cet aspect collectif et social de l’engagement méditatif, il faut être bien vacciné pour de profondes et répétées désillusions. C’est comme si le « collectif » ne permettait pas de gravir aussi vite les échelons de l’évolution de la conscience, que « l’individuel ».
      Pire, il semblerait qu’actuellement nous soyons de nouveau confrontés à de terribles régressions collectives, par exemple la montée du radicalisme religieux et de l’absolutisme du pouvoir politique.
      L’engagement est alors de plus en plus nécessaire, je suis d’accord, mais à condition d’agir sans aucune attente, comme le préconise Krishna dans la Bhagava gita – c’est à dire selon la voie du « karma yoga », « sans vouloir récolter le fruit de ses actions ». Ce qui est très difficile, mais particulièrement puissant pour l’ego.

  14. Marc dit :

    Tout d’abord,quelques excuses si ce bref message apparait un peu hors de propos,quoique.
    Me retrouvant,une nouvelle fois dans mon existence,dans une sorte d’ascèse due a ma « nature » depuis toujours,et surtout étant le fruit d’une souffrance assez conséquente actuelle,le grand sceptique que je pense être,a atterrit ici-bas.
    Pour avoir dévoré depuis quelques semaines d’innombrables lectures pour essayer de comprendre un état insupportable,je suis devenu mon propre sujet,une fois de plus. C’est alors que je me suis intéresser de plus près a la méditation,et j’ai tout simplement plonger. Comme une évidence irréfutable. Et ce malgré toutes les subtilités quelque peu piégées de tout un édifice qui n’a cessé d’abreuver toutes ces années la boite crânienne d’un esprit pyrrhonien,athée,et ainsi de suite.
    Il ne m’est absolument pas possible de définir quelconque chemin me correspondant,mais ce « Non »,m’a toujours paru assez évident. Quelque soit la forme qu’il peut prendre,il me semble bien plus saint que des oui asservis. En ce sens et en ce qui me concerne, vu mon approche toute récente de la méditation,oui il y a eu tout d’abord ce non. Ce non de ne pas céder. Ce non de ne pas sombrer. Et surtout ce non a une médiocrité qui n’a même plus de visages tant elle nous inonde de partout. Et dans des moments d’extrême fragilité,moi elle m’assassine. Ensuite, me sont apparus ces oui essentiels et légitimes.

    Pardon encore une fois si quelques égarements de ma part. Je retiendrai surtout ceci.
    « Sans souffrance pas de méditation possible. »

    Merci encore pour ce blog qui fait du bien,et pour tout le travail effectué.

  15. Marc dit :

    Pardon si fautes d’orthographe il y a. On ne peut rectifier ici-bas il me semble. Bien à vous.

    • Alain Gourhant dit :

      Merci Marc,
      votre message est émouvant et tout à fait dans la droite ligne de cet article,
      « sans souffrance, il n’y a pas de méditation possible », oui, j’ajouterai : « sans souffrance il n’y a pas de méditation authentique possible ».
      J’ai vécu dans pas mal de cours et sessions de méditation, beaucoup de singeries et de faux semblants : méditer, parce que ça fait bien, parce que c’est à la mode, parce que c’est un anti-stress puissant, parce que ça donne du pouvoir sur soi et sur les autres, etc.
      Il y a une souffrance irrémédiable de notre condition humaine terrestre, qui donne une certaine gravité, c’est à dire du « poids » à la méditation ;
      et grâce à une pratique continuelle de chaque instant, si possible, il n’y a plus alors aucune compromission possible avec le Système ambiant.
      C’est d’ailleurs pour cela qu’autrefois, à l’origine de la méditation, pour mieux pratiquer, comme le recommandait le Bouddha, on se retirait de ce monde, on devenait moine ou ascète.
      De nos jours, cela n’est plus nécessaire et tant mieux, mais il reste une volonté de ne pas se compromettre avec l’humaine folie collective de son époque, de toute époque… afin d’être capable de se retirer silencieusement à l’intérieur de soi-même, même dans le métro parisien aux heures de pointe !

  16. Maarten dit :

    Merci de vos contributions pertinentes…

    Et je trouve ce que Alain semble dire »que là où, auparavant souvent l’on se retirait +/- du monde, ce qui est aussi une façon de dire « non », on ne peut pas faire sans « non » plus explicite, maintenant,je crois.

    C’est pour ça aussi, que je trouve que l’on parle parfois un peut trop facilement d’amour inconditionnel…

    • Alain Gourhant dit :

      oui, c’est vrai Maarten, cette histoire d’amour inconditionnel qui marche comme résultat suprême de la méditation, est assez délicate, voire suspecte, mère de toutes les compromissions avec l’inacceptable.
      Est-ce que Jésus quand il s’en prend violemment au scandale des marchands du temple, fait un acte d’amour ?
      Pour moi, oui, c’est un acte de rébellion nécessaire, un non préalable qui introduit sa conception d’un authentique monde d’amour. Mais cela lui coûtera le vie…

  17. Marc dit :

    Comme l’étrange impression que tous les chemins empruntés,inconsciemment et avec une conscience plus qu’éveillée parfois,et aussi nombreux soient-ils,ne devaient que mener a cette simple évidence. Encore une fois,c’est un sceptique de la pire espèce qui le formule. Je ne peux qu’avoir des frissons lorsque j’entends Satprem,que j’ai découvert il y a peu, le prononcer.
    Les contemplatifs,rêveurs,amoureux d’instants immuables depuis la tendre enfance jusqu’à aujourd’hui,mais actifs et presque jamais passifs, le savent très bien je pense.
    Mais la poésie,l’art flamand et la messe en si mineur de Bach,ne peuvent malheureusement plus grand chose devant la réelle souffrance. Celle qui s’abat sur vous sans prévenir telle une furie gorgée d’angoisse ,et qui vous transperce absolument de partout alors que la veille,ma foi tout allait plus ou moins bien. Étrange,n’est-il pas… mais point de chapelles,jamais! Donc il faut chercher…Loin de moi l’idée de vouloir embarrasser quiconque ici,ou de m’étendre plus,ceci n’est pas dans mes habitudes,et je n’attends absolument rien sinon partager comme toujours. Mon état ne me le permet pas de la meilleure des manières en ce moment,mais lorsque j’aurai l’esprit plus paisible,je sortirai un peu plus de ce « je ». Cela ne soulagera pas que moi,je le sais.
    Et cent fois oui (pour le coup),dans le métro c’est possible! Puisqu’on est deux parisiens a vous le dire.

    • Alain Gourhant dit :

      merci Marc,
      la méditation, telle que je la conçois, va bien avec le scepticisme et l’athéisme.
      C’est juste une expérience intérieure, qui transforme peu à peu en profondeur, jusqu’à vivre ce monde de souffrances et d’illusions avec beaucoup d’attention et de conscience.

      Je suis content aussi que nous soyons deux à méditer dans le métro parisien.
      Cette pratique est sans doute d’un niveau supérieur à tout stage ou session de « pleine conscience », quand les silences sont trop faciles, les sourires trop artificiels, les tenues trop propres, les propos de l’instructeur trop convenus et la pleine conscience si vide, qu’elle en devient à la mode…

  18. hédouin dit :

    Bonsoir,je suis assez en phase avec ce qui précède ,je suisen train de relire « La pesanteur et la grâce  » de Simone Weil,qui représente pour moi un des sommets de la quête spirituelle ,sans système .En particulier ceci sur le choix « qui est une notion de bas niveau :Il faut être indifférent au bien et au mal ,mais vraiment indifférent,c’est à dire projeter également sur l’un et sur l’autre la lumière de l’attention,alors le bien l’emporte par un phénomène automatique » .La méditation fait cela :faire surnager le bien et enfoncer le mal ,alors que le mental fait l’inverse.Ou encore « Tant que je balance entre faire ou ne pas faire une mauvaise action (trahir ou non un ami ,humilier ou non un pauvre hère…),même si je choisis le bien ,je ne m’élève guère au dessus du mal que je repousse .Pour que ma bonne action soit vraiment « pure »,il faut que je domine cette oscillation misérable entre le bien et le mal et que le bien que j’accomplis au dehors ,soit la traduction exacte de ma nécessité intérieure. »