D’abord, lisons ces poèmes de Michel Camus tirés d’un de ses derniers recueils, à la fin de sa vie :
– « L’arbre de vie du vide » éditions Lettres Vives (2001) -,
mais lisons lentement, de préférence à voix haute, en écoutant la musique des mots et surtout le silence entre les mots…
S’ouvrir et attendre que s’écrive,
non pas un poème,
mais ce qui traverse et dépasse
« l’homme troué »
qui n’est pas quelqu’un,
mais une goutte de lumière,
un grain de silence,
un noyau fermé sur soi
de transpoésie inconnue :
quelque chose d’infiniment ouvert
seulement vers l’intérieur,
quelque chose d’abyssal à quoi
grâce à sa lumineuse ignorance
il se sent verticalement relié.
On vit sans savoir ce qu’est la vie.
On aime sans savoir ce qu’est l’amour.
On crée sans savoir ce qu’est l’inspiration.
On meurt sans savoir ce qu’est la mort.On vit. On aime. On crée. On meurt.
Pourquoi en parler ?Pour en sentir l’Enigme,
Pour nous rapprocher de la Source
de notre lumineuse ignorance.
Pour marcher encore et encore
vers ce que nous ignorons.
Pour apprendre à aimer et mourir.
Pour apprendre à nous taire
et nous ouvrir, nu et muet, à !
Seul le silence de l’amour peut combler
de lumière
les bouches d’ombre de nos pensées.
Le silence n’est pas la négation du langage,
mais son aura et le parfum de son âme.Le langage est à la nature de l’homme
ce que le silence est à sa transnature.Le langage qui, par nature, est distance
ne peut qu’évoquer de loin le silence
qui est coîncidence.Sans la langue,
comment ferions-nous allusion
à l’expérience du silence ?
Ensuite, j’ai choisi quelques extraits d’un autre livre de Michel Camus « Transpoétique« , écrit à la même période (2002),
un livre très dense, très riche, plein de références culturelles passionnantes, qui tente d’expliquer le sens de cette « Transpoésie » :
La création transpoétique n’est pas une fin en soi ; c’est un moyen opératif d’autotransformation orientée vers l’autoconnaissance transcendentale…
La poésie initiatique du silence ne se sert du langage que pour faire allusion à ce qui absolument, lui échappe.
La transcréation, c’est la création qui s’oriente du visible vers l’invisible, du fini à l’infini, du profane au sacré, du physique au métaphysique, du naturel au transcendantal, de la parole au silence.
Nous ne savons pas ce qu’est la métaphysique, ni ce qu’est la poésie, mais le fond de la poésie sera toujours métaphysique, et il est fort possible que le fond de la métaphysique soit également toujours poésie.
Parmi les voies de recherche qui convergent, chacune par sa propre voie de passage, vers l’inaccessible source de vie, on pourrait appeler transpoétique la voie du « poète sourcier » orientée vers l’unité de la connaissance.
Les rishis du Rig-Veda, possédaient le sentiment du chant secret de l’univers et le sens de l’Unité suprême du tout. Aujourd’hui, le savoir est atomisé, c’est la Tour de Babel. Chaque science possède son langage ésotérique, voire schizophrénique. On est passé du réalisme scientifique aux sciences de l’irréalité en ce sens que la Réalité ultime est devenue inaccessible. La science fait face à une sorte de non-référent absolu. C’est pourquoi elle s’ouvre à la philosophie, à la mystique, à la poésie.
Le paradoxe de la poésie, c’est de faire allusion à la transparence de l’infini dans le fini, avec-et-contre les mots de la tribu. le champ de conscience de la poésie, c’est l’infiniment ouvert à l’intérieur de la langue comme un « trou » dans la langue.
L’essentiel de la poésie se vit en amont de l’imaginaire, du côté de la corne d’abondance sa source d’inspiration. Source énigmatique dont on ne sait rien. Le paradigme de la « transpoésie », c’est avant tout la nécessité de l’éveil de l’homme à ce qui le fonde, à ce qui le traverse et le dépasse silencieusement.
Enfin, j’ajouterai quelques commentaires personnels :
Je me sens proche de la Transpoésie, comme si j’étais dans le courant de la même rivière,
dont la pureté de l’eau tient à cette intention première :
suivre le chemin ardu, dans l’autre sens, à contre-courant de l’entropie collective,
pour se rapprocher de la Source, de l’Origine,
cet espace incommensurable en amont de toute forme,
au delà de tous les langages, mais légitimant leur unité profonde.
Michel Camus a raison : le sens premier de la poésie,
tel qu’il est donné par le préfixe « trans », signifie le désir de « Transcendance ».
Il y a un deuxième sens à la « Transpoésie », où je me retrouve aussi.
Il ne s’agit pas d’une poésie enfermée dans la poésie,
c’est à dire dans un genre littéraire un peu / beaucoup suranné,
bien abîmé sans doute par les apprentissages fastidieux de l’école.
La Transpoésie – comme l’art intégral tel que le conçois –
est une poésie ouverte sur le monde et le réel,
elle établit en particulier des ponts pour entrer en relation avec les différents domaines de la connaissance humaine, quand cette connaissance s’intéresse bien sûr à l’Essentiel, c’est à dire s’occupe à décrypter le mystère de l’Etre en son unicité et ses différentes dimensions.
La transpoésie a la particularité de dialoguer avec la fine fleur des sciences actuelles en particulier la physique quantique et l’astrophysique – voir l’importance du physicien Nasarab Nicolescu, dont j’essaierai de parler plus tard -,
mais elle se nourrit aussi à la source de toutes les grandes traditions qu’elles soient orientales ou occidentales,
avec une mention spéciale pour le Rig-Veda et les Upanishads de l’Inde, les livres des morts égyptiens et tibétains, les soutras du yoga de Patanjali, les poèmes du Tao tö king de Lao tseu, la mystique chrétienne d’un Maître Eckhart , etc.
La transpoésie dialogue aussi avec quelques poètes partageant sa vision « trans » : entre autres, René Daumal, Antonin Artaud, Henri Michaux, Roberto Juarroz, Adonis, Jean Carteret, etc…
Tout cela me va très bien, aurai-je une critique à émettre ?
La « transpoésie »ne serait-elle pas un peu élitiste, au sens où ses idées et son langage seraient trop difficiles d’accès ?
Cela tient-il à ce qu’elle tombe trop facilement dans l’abstraction de la métaphysique ou de la philosophie ?
Comment exprimer la transcendance sans tomber dans le langage des traditions ?
Comment dialoguer avec la physique quantique, sans se perdre dans la complexité conceptuelle de cette science ?
Comment préserver cette fulgurance des images et des métaphores propre à la poésie, tout en parlant à notre époque devenue agnostique et prosaïque ?
Pourquoi Michel Camus est-il tombé si facilement dans les oubliettes de la poésie ?
En fait ce ne sont pas des critiques, ce sont des questions que je pose, des questions qui se posent à toute poésie voulant s’exprimer en une époque qui serait apoétique, c’est à dire perdue dans le jeu des apparences matérielles et la confusion prosaïque de la surinformation.
Tags : intégration, livres, poésie, sciences, traditions, vision
merci mamgnifique découverte, je partage un extrait ! bonne journée
J’aime les photos, qui me parlent de silence et de transcendance. Le texte en revanche me semble être un effort démesuré pour évoquer le silence, et se noye sous les mots, contredisant à mon sens son essais de silence et de trans…universel et trans…en dance!!
Martine
hé oui, c’est tout le paradoxe de la poésie que d’exprimer par les mots ce qui n’est pas exprimable par les mots, et il semble que ce soit plus facile par l’image ou la musique d’exprimer cette dimension transcendante de l’être humain. Néanmoins la poésie de Michel Camus – si on parle du 1er texte, et non du 2e qui est un essai philosophique – m’a semblé suffisamment dépouillée pour relever le défi.
Merci Alain, encore une perle… J’etais deja tombe sur la poesie de Michel Camus a plusieurs reprises… J’aime vraiment beaucoup… En revisitant sa bibliographie, je me suis par ailleurs rendu compte qu’il avait ecrit un livre sur le Grand Jeu, …
La richesse et la profondeur, la vie bouillonante, rayonnante des poetes du grand jeu m’a d’ailleurs souvent fait me poser ces memes questions, pourquoi tant de merveilles si peu diffusees… comment faire toujours plus de liens entre differentes approches, differents langages, differentes experiences de la vie…. Qui connait les poetes du Grand Jeu, peu importe les generations? Dans un sens, ces questions sont naturelles et legitimes lorsque l’on se place du point de vue de l’observateur, de l’anthropologue de la poesie… ! :) Par contre, des qu’il s’agit d’ecrire ce »qui traverse et depasse », il n’y a plus de questions au sens commun du terme, seulement un questionnement, une ouverture, un « éveil de l’homme à ce qui le fonde, à ce qui le traverse et le dépasse silencieusement » pour reutiliser les mots de Michel Camus…
J’aime bien considerer que notre esprit progresse et se questionne quotidiennement, on reflechit, on apprend, on doute, on se questionne, on s’arrete, en silence, on se repose, on se confronte, on aime, on ecrit, … et parfois jaillit ce besoin d’ecrire… ce paradoxe incroyable d’ecrire le silence… la poesie n’a rien a voir avec l’ecriture dans un certain sens… l’essentiel est dans ce que l’on vit et incarne, en ce qui s’incarne a travers nous depuis nos profondeurs…
Merci encore Alain pour toutes ces perles et un petit poeme a partager de mon cote qui m’est revenu a l’esprit en lisant le texte de Michel Camus.
marko
Dans les Creux de mon Cœur
Chaque jour, parcourir les gouffres de l’âme,
Chuter dans les vertigineuses profondeurs
De la solitude accompagnée.
Par qui ? Par Quoi ?
Je ne saurais décrire la présence,
Qui s’impose dans les creux de mon cœur.
Chaque jour découvrir les failles de la mémoire
Et laisser transpirer les fragments d’une autre histoire,
Bien différente de ces confusions qui agressent l’esprit.
Une histoire libre de ses mouvements, libre dans ses élans,
Elle, dont les trajectoires se dessinent à coups
De songes et de pensées, de rêves et de volontés.
En deux mots tracer la vie : amour et oubli ;
En deux mots tracer la mort : sablier de l’espoir.
Le sable coule dans le sablier des incantations,
Comme pour rappeler qu’il est des sources
A découvrir et inventer dans nos déserts.
Qui pourrait être assez stupide
Pour croire que tout cela est vain ?
Quel esprit dérangé ne saurait voir
L’or que l’on affleure dans le vin ?
Le temps nous est conté pour retrouver la mémoire,
Le temps nous est donné pour transporter l’amour.
Chaque jour, parcourir les sommets de la conscience,
S’élever dans les vertiges d’allégresse
De la solitude accompagnée.
Par qui ? Par quoi ?
Je ne saurais décrire la présence,
Qui s’impose dans les creux de mon cœur.
ML (2012)
merci Marko, j’aime beaucoup ce que tu écris.
oui, un jour il faut que je parle bien sûr du « Grand Jeu » et de René Daumal. Ils sont oubliés, car cette époque est oublieuse de l’essentiel, à moins que ce soit toutes les époques, que ce soit le drame de l’être humain que d’oublier l’essentiel de sa courte vie, afin de survivre…
En attendant je te conseille d’aller voir le blog de mon ami Olivier Breteau qui a consacré quelques belles pages à René Daumal et à Roger Gilbert-Lecomte :
http://journal-integral.blogspot.fr/search/label/Po%C3%A9tique
Merci Alain,
Je me rends très souvent sur le site du Journal Intégral… Ce blog se distingue par la qualité continue des articles présentés… Merci pour le lien avec tous les articles sur la poésie… J’ai déjà pris le temps de relire ton poème-manifeste sur l’art intégral, ce qui ne peut que me réjouir vivement comme lecture… J’en profite pour le partager largement et, sauf avis contraire de ta part (ce dont je doute fortement:)), je me permettrai de le poster et de le suggérer à quelques sites :)
J’attendrai avec impatience ton article sur René Daumal :)
Bien chaleureusement,
marko
Bien sûr, Marko, tu peux divulguer largement, sans compter, en émettant le voeu qu’il puisse naître de cette diffusion, un mouvement significatif de la poésie participant avec engagement à la destruction de l’ancien monde et à la construction du nouveau.
Quant à René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte, leur poésie et leur esprit sont tellement énormes, qu’il va me falloir beaucoup travailler pour en parler. Belle journée