Mohammad Yunus et le microcrédit

Je lis ce matin le numéro spécial du journal Libération, consacré à Mohammad Yunus, au microcrédit, à la microfinance, au business social.
Pour moi, il n’y a pas l’ombre d’un doute, tous ces moyens proposés par la profonde sagesse de Mohammad Yunus, me semblent être la seule solution cohérente face à la plus grave des pandémies qui menace notre planète et l’espèce humaine, la pandémie de la grande pauvreté, provoquée par un système économique inique, où les plus riches deviennent de plus en plus riches et les plus pauvres de plus en plus pauvres.
Mais la question que je me pose ce matin, c’est pour quelle raison : le microcrédit pour les plus pauvres et son pendant – le business social pour les plus riches – ne progressent pas plus vite, pire se voient critiqués, dénigrés ou dévoyés, en particulier en France.
Je vois deux causes, deux causes profondes, à rechercher dans le tréfonds du psychisme humain, pour expliquer cette forme de résistance au changement.
D’abord il y a les pulsions, les pulsions les plus archaïques de l’être humain, avec en tête, le réflexe de prédation et de possession égotiques, sur lesquels le système économique actuel et son obsession du profit personnel me semble basé, même s’il se revêt d’un manteau de bienséance rationnelle avec toutes ses théories économiques libérales et néo-libérales, qui sont là pour cacher la partie immergée et douteuse de l’iceberg.
Ensuite, il y a le réflexe de mimétisme, l’imitation de ce que l’on connait déjà – les neurosciences pourraient parler de l’importance des neurones miroirs. Pour l’être humain, malheureusement, il est plus facile d’imiter, de répéter, de copier ce qui existe déjà – même si ce qui existe déjà est absurde et générateur de souffrances -, plutôt que d’explorer le nouveau, d’inventer des voies nouvelles, de créer l’inconnu. Il est plus facile de répéter le profit personnel jusqu’à l’absurdité et la crise généralisée, plutôt que d’explorer toutes les promesses du microcrédit et du business social, tel que Mohammad Yunus nous y invite.
Heureusement, puisque rien n’a été fait de fondamentalement nouveau suite à la récente crise économique, à la prochaine crise – qui ne devrait pas tarder – nous n’aurons plus le choix et le prix Nobel de la paix nous souffle des opportunités à ne pas rater.

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7 réponses à “Mohammad Yunus et le microcrédit”

  1. Maarten dit :

    Je crois que l’on peut ajouter un autre facteur: depuis l’effondrement (nécessaire, je crois) des églises, la question « quel sens à donner à ma vie au delà mes besoins égoiques et à courte terme, au delà mon bien-être personnelle / hédoniste ?» se pose de moins en moins.
    Cette vide laisse plein de place aux réflexes de prédation comme tu les décrit et n’oriente pas non plus nos tendances mimétiques ailleurs que vers les pubs allèchants.
    Par contre, plus on devient conscient du sens transcendent que l’on veut donner à sa vie, plus on va s’orienter vers des personnes qui partagent ses idéaux et qui peuvent nous inspirer; et à ce moment, le mimétisme ne deviendrait-il pas une force plus salutaire?

  2. exact, Maarten, il y a aussi un mimétisme positif. Mais cela doit passer pour moi, par une étape difficile de la prise de conscience de l’absurdité de mon fonctionnement archaïque et répétitif. C’est l’étape de la grande crise intérieure, du nihilisme, du sentiment de l’absurde becketien, etc. Ensuite je peux me diriger vers la fine fleur de la conscience, ses valeurs et son engagement nécessaire. C’est peut être la difficulté de l’étape du nihilisme qui fait peur et empêche une évolution humaine plus rapide.

    • Maarten dit :

      Dans ton commentaire, Alain, tu touches à une question qui me semble très importante: dans quelle fase de la thérapie aborde-t-on la question clé des « valeurs » (ou « idéaux », ou « sens de la vie » ou « directions de vie »)?
      Dans le monde de l’ACT la position « classique » était: d’abord évoquer ce que l’on appelle « creative hopelessness » (désespoir créatrice): aider le patient à se rendre compte que ses « solutions » pour se débarrasser de ses problèmes (addictions et évitements, notamment) soulagent à courte terme, mais ont des conséquences néfastes sur le longue terme. Cela ressemble fort, je crois à ce que tu décris comme « l’absurde » et « la grande crise nihiliste ». Et ensuite on propose un autre option: celle d’accepter de ce que l’on a essayé d’éviter auparavant, et de s’orienter vers ses valeurs, et étant en quelque sorte prêt a souffrir pour ses valeurs, pour une plénitude plus profonde.
      Plus récemment, il y a une autre courant, qui maintient que l’on peut aborder l’identification des valeurs dès le début de la thérapie, se qui rendrait la crise nihiliste moins terrifiante.
      C’est finalement une question qui va être +/- répondue par la recherche, je crois. Mais je crois aussi que beaucoup dépend de la capacité du patient de traverser cette crise sans qu’il décompense trop.
      Qu’en penses-tu?

      • Je suis plutôt enclin à pencher vers le schéma classique qui est d’ailleurs un mouvement naturel ressemblant à une vague – on appelle cela aussi « la courbe du changement » élaborée par Elizabeth Kûbler-Ross : il faut aller au fond de la vague qui s’appelle d’ailleurs la « phase d’acceptation », avant de pouvoir remonter la pente et poser des objectifs, des nouveaux projets en relation avec ses valeurs profondes, et c’est tout l’art du psy d’accompagner la vague, pour aller plus vite, plus profond, tout en évitant les trop grandes souffrances, les décompensations. Mais en fait dans la pratique et la réalité des gens qui viennent nous voir, cela se passe différemment à chaque fois ; cela dépend de ce qu’ils recherchent où ils en sont et où ils veulent aller dans la découverte et l’acceptation de leurs déterminismes. Il y a en a beaucoup qui n’ont besoin que d’une vaguelette et avec ceux-là, on peut aborder assez rapidement la question de leur futur, de leurs objectifs, de leurs valeurs, de leurs engagements. C’est d’ailleurs cela le problème des études en sciences humaines, elles sont obligés, si elles veulent arriver à un résultat de simplifier, de réduire, de trahir la réalité multiforme. En fait j’aime connaître les études scientifiques et j’aime beaucoup tes contributions très bien informées sur ce sujet, mais en dernière analyse, dans la pratique, je me fie à mon intuition du moment présent, je ne sais pas trop à chaque fois, comment je vais procéder et à quelle technique je vais faire référence, j’essaie d’oublier tous les schémas – mais il est vrai que je les connais (étrange paradoxe).

        • Maarten dit :

          Je suis ravi de lire si clairement de ton ouverture pour les sciences, Alain.
          Ce qui m’amène aussi à ce que tu décris comme « paradoxe étrange », qui ne l’est peut-être pas: n’est-ce pas justement parce que tu connais ses schémas et modèles, et plus important encore: que tu les comprends, que tu peux faire confiance en ton intuition?
          Je suis d’accord avec toi; dans une rencontre réelle il est important de laisser les manuels et protocoles à côté, pour se laisser plus consciemment guider par le feedback qui vient d’une part de notre vécu intérieure et de l’autre part de cette personne en face de nous. J’aime bien la perspective de Kelly Wilson, pour qui la thérapie est surtout une pratique de la « pleine conscience à deux ».

          • oui maarten, c’est une belle définition de la thérapie ; j’ai envie de préciser une thérapie réussie est une accession à la pleine conscience à deux ou la thérapie en profondeur est une invitation à la pleine conscience à deux. Je crois que cela va dépendre beaucoup de la qualité du thérapeute et de sa propre accession à la pleine conscience, au delà de tous les schémas projectifs du mental, c’est à dire finalement au delà de toutes les techniques.

  3. Merci Alain.

    Je pense que nous sommes nombreux à être émerveillés par la beauté ton site, la pureté des images, la profondeur des textes…

    Quelles pages lire aujourd’hui ? Tous les mots-clés renvoient à des thématiques passionnantes, traitées dans cette dimension holistique, intégrative, qui permet l’évolution et le partage.

    Dans cet esprit, j’ai réalisé un livre sur un management éthique, humaniste, écologique et solidaire. Le défi est d’intéresser le monde de l’entreprise aux valeurs qui nous tiennent à cœur. On y retrouve Mohammad Yunus et le microcrédit, mais aussi des fiches sur les neurosciences, le sens du travail, la vision du monde, l’intelligence collective…

    Tu pourras en découvrir le sommaire et quelques pages sur ce lien : http://www.management-et-coaching-a-l-ere-du-verseau.com/

    Je suis entièrement d’accord : nous avons besoin de la profonde sagesse d’êtres comme Mohammad Yunus !