Il était tentant après les silences du cerveau de Krishnamurti, de parler des observations faites par les neurosciences sur le cerveau des méditants – on les appelle aussi les neurosciences contemplatives ou méditatives.
Une brève histoire des recherches sur le cerveau des méditants
Cela a commencé il y a de nombreuses années déjà. Dès 1960, la « méditation transcendantale » avait commencé des mesures physiologiques et chimiques sur la pression artérielle, la fréquence cardiaque, les ondes du cerveau de ses méditants : mais cela faisait toujours un peu « secte », même aux Etats-Unis.
A partir de 1970 le cardiologue américain Herbert Benson commence des études très scientifiques sur les effets de la relaxation par rapport au stress ; il poursuit avec la méditation, et cela donnera un congrès en 1995 « Science et tradition religieuse » qui aura beaucoup d’impact.
En 1980 arrive sur scène Richard Davidson, professeur de psychiatrie à l’Université du Wisconsin – il possède un labo de recherche ultramoderne en neuroscience. Dès 1992, il commence des recherches sur la méditation avec le Dalaï lama et une équipe de méditants tibétains dont Matthieu Ricard.
Il faut aussi parler de Fransesco Varela, neurobiologiste chilien au parcours compliqué, qui le conduit à Harvard puis au CNRS en France, et qui dès 1985 commence des études scientifiques pour établir un dialogue entre bouddhisme et sciences. Il fonde le « Mind and Life Institut » qui deviendra une sorte de plaque tournante de tout ce qui se fait d’intéressant sur la question, avec un congrès annuel, dont celui de 2003 au MIT (Massachussets Institute Technology) avec le Dalaï lama, qui sera très important. Varela meurt en 2001, mais il amène dans l’équipe des chercheurs, Antoine Lutz, un chercheur français du CNRS, dont les études vont devenir remarquées et remarquables.
Quant à Jon Kabat-Zinn, professeur de biologie dans le Massachussets, il va dès 1970, développer sa méthode de la pleine conscience, dans un souci de validation empirique des résultats, surtout par rapport aux symptômes du stress, ce qui l’amène à créer des cliniques de réduction du stress dans tout le pays. Jon Kabat-Zinn est un ami de Richard Davidson et tous ces gens vont former un petit monde qui va révolutionner notre regard porté sur la méditation.
Les observations scientifiques sur le cerveau des méditants
D’abord, à l’université du Wisconsin avec l’équipe de Richard Davidson et les méditants tibétains, il a été mis en évidence une activité accrue du cortex préfrontal gauche, zone correspondant à l’apparition des émotions positives, ce qui n’est pas étonnant puisque tous les méditants d’un certain niveau parlent d’un état intérieure de grande joie inconditionnelle appelée d’ailleurs « ananda » (venant du sanscrit béatitude) pour les hindouistes et bouddhistes.
Plus intéressant, c’est l’augmentation de l’intensité des ondes gamma, mises en évidence par Antoine Lutz en 2004, toujours dans le labo de Richard Davidson avec la même équipe des méditants tibétains. Plus les méditants sont avancés (40 000 – 50 000h de méditation), plus les ondes gamma sont intenses. Du coup, beaucoup de chercheurs en neurosciences sont en train d’interroger ces fameuses ondes gamma : elles sont présentes chez tout le monde quand il y a une activité soutenue du cerveau, comme l’attention ou les efforts de mémorisation, et dans ces activités, on s’est aperçu que ces ondes reliaient les différentes populations de neurones cérébraux pour les mettre en activité synchrone. Wolf Singer, directeur de l’Institut Max Planck à Francfort, parle d’une augmentation de cohérence de l’activité cérébrale ou de synchronisation du fonctionnement de différentes aires cérébrales. Mieux encore, cette augmentation de la cohérence cérébrale perdurerait après les séances de méditation, comme s’il y avait une restructuration à long terme du cerveau, et cela proportionnellement au niveau de méditation des méditants (en nombre d’heures).
Il faudrait aussi parler des recherches de Sarah Lazar – dont le Dr Rosenfeld dans son livre « Méditer, c’est se soigner » fait grand cas – qui, sur des méditants bouddhistes de la pratique « vipassana », a montré des transformations durables de certaines zones du cerveau qui tendent à s’épaissir, ou augmentent de taille, en particulier le cortex de l’insula antérieure droite spécialisée dans les sensations internes du corps et le sulcus supérieur et moyen du cortex préfrontal droit qui permet d’intégrer nos émotions et nos pensées au quotidien.
Cette liste de recherches n’est pas exhaustive, il y en a encore sûrement beaucoup d’autres, je compte sur les commentaires pour les signaler. En tout cas, je souhaite que dans l’avenir ces recherches se développent, malgré le scientisme pur et dur de certains, qui en entendant parler de méditation sortent encore les vieux révolver de l’inquisition, surtout quand cela se mêle à la politique, avec ces chercheurs américains au nom chinois, d’un nationalisme zélé, qui crient au scandale au sujet de la présence du Dalaï Lama dans ces recherches.
Tags : cerveau, compassion, Dalaï-Lama, maitres, meditation, neuroscience, pleine-conscience, psychologie, sciences, spiritualité
Un bon résumé, Alain…
A propos de l’interpretation de Davidson que le « préfrontal gauche » est associé avec des émotions positives – et celui de droite avec des émotions négatives (nb: la tristesse est dans ce modèle considérée une émotion négative! Ça se discute, non?), il est peut-être intéressant de savoir que c’est plus controversé que Davidson ne suggère.
Car d’autres recherches ont indiqué, par exemple, que le préfrontal gauche est aussi activé dans l’aggressivité.
Personnellement je crois qu’il nous aide à comprendre ces données un peu en pensant au fameux « yin et yang » taoïste. Et dire que le le « yang » soit positif (positif dans le sens utilisé par Davidson) et le « yin » négatif (pauvre tristesse)… cela frôle l’absurde, non?
Si l’on accepte les hypothèses que
1) le « cerveau gauche » (terme à utiliser avec beaucoup de prudence) est associé avec les activités de « l’hémi-corps » droit, et tandis que le « cerveau droite » l’est avec « hémicorps (par exemple bras et jambe) gauche »,
2) le mouvement corporel vers la gauche sur l’axe lateral est associé (selon entre autre Danis Bois, avec qui je suis en accord sur cette observation) avec le recul et l’intériorisation (le yin) – et donc une plus grande activité du système parasympathique – tandis que le mouvement latéral droite est associé avec l’engagement et l’extraversion et une relativement plus grande activité du système orthosympatique (le yang),
on saura mieux comprendre ces divergences entre Davidson et ses critiques.
Pour compléter un peu mon message préscédent: des émotions positives associées avec le « préfrontal droite » seraient par exemple l’apaisement, la calme, la paix, la silence (tout ce que l’on associé avec des symboles comme celle de La Nuit)
je suis assez d’accord avec toi, Maarten, ce manichéisme droite / gauche ne me plait pas du tout et pour moi il n’y a pas d’émotions vraiment négatives ; elle sont toutes leur utilité y compris la colère et la tristesse.
De plus, par rapport à la méditation, s’agit-il encore d’émotions, comme on le trouve partout écrit avec la relation au renforcement du système immunitaire… Là, je te suis encore, je suis beaucoup mieux avec ce que tu nommes le calme, la paix ; je rajouterai le terme de béatitude, de joie profonde de nature différente avec la joie- plaisir. C’est là, où l’expérience de la pratique méditative fait toute la différence et apporte des nuances subjectives enrichissantes.
Ce serait intéressant si tu pouvais apporter des références plus précises aux controverses actuelles au sujet de Davidson et son préfrontal gauche.
Alain, les données sur l’activation préfrontale latérale gauche, associée aussi avec l’agressivité (dérivé de ad-gredi: « aller vers l’avant ») sont dans une ordinateur que je n’ai pas avec moi… Hélas…
D’ailleurs: des recherches plus récentes ont montré que dans la méditation dite de « metta » = loving-kindness (« bienveillance » en français?), on trouve une activation importante des aires dites « limbiques » (encore un terme qui sert comme raccourci, à ne pas prendre trop facilement comme « le cerveau émotionnel ») chez les méditants expérimentés. Comme quoi, il ne faudrait pas médire ce soi-disant « cerveau émotionnel », il a sa place.
Je suis d’accord avec toi sur ce que tu dis sur les « émotions » en état contemplatif, il s’agit ici des expériences bien plus subtiles et nuancées que ce que l’on entend en général par « émotion ». Ces expériences méditatives contiennent une aspect « émotionnel » mais sont bien plus que ça: une autre exemple du fameux phrase de Hegel « inclure et transcender », reprise par Wilber.
Les liens avec les mouvements corporels, et le « vécu » associé, sont une synthèse que j’ai faite entre ce que l’on a écrit un peu partout en psychophysiologie sur le système neuro-végétatif d’une part, et les recherches par Danis Bois d’autre part sur les « mouvements de base ». A propos des travaux de ce dernier, la meilleure (et forte intéressante) introduction est disponible dans un livre de son élève Hélène Courraud-Bourhis : « La Biomécanique Sensorielle, Méthode Danis Bois »
J’espère que cela donne quand-même quelques clarifications supplémentaires.
nous sommes d’accord Maarten, pour ne pas employer cette expression « émotions positives » surtout quand elle est associée au préfrontal gauche. C’est une erreur de ma part de l’avoir employée dans mon texte ; j’ai recopié bêtement quelque chose qui traîne chez Thierry Janssen, par exemple, dans son livre « la solution intérieure » où il parle en parlant de la méditation : « …l’activité de la partie antérieure du cerveau gauche, associée aux émotions positives… Davidson en conclut que les émotions positives engendrées par la pratique méditative induisent un réel bénéfice immunitaire ». Tout cela est très approximatif au niveau conceptuel.
Par contre, je ne suis pas d’accord sur ta remarque au sujet du « inclure et transcender » attribuée à Hegel puis à Ken Wilber. La dialectique hégélienne ne parle jamais de cela, mais de « thèse – antithèse – synthèse » qui est une forme de rationalité. « Inclure – transcender » qui est le mouvement même de l’intégration évolutive (supra-rationnelle) vient d’Arthur Koestler ; il appelle cela aussi le mouvement « holarchique » ; tout cela a été repris par Ken Wilber qui cite une ou deux fois Koestler dans sa « brève histoire de tou ».
quant à Danis Bois je ne vois pas trop ce qu’il vient faire dans notre réflexion méditative…
« quant à Danis Bois je ne vois pas trop ce qu’il vient faire dans notre réflexion méditative… »
Et apparemment cela ne t’intéresse pas…
OK
oui, c’est un peu hors sujet.
par contre, je viens de lire un texte intéressant en fichier pdf sur internet, intitulé « Neurosciences et bouddhisme » d’un certain Trinh Dinh Hy, que je vous conseille de lire attentivement, car il est très bien documenté, en particulier par rapport à des études scientifiques récentes sur le cerveau des méditants.
http://cusi.free.fr/fra/tnp_Neurosciences_et_Bouddhisme/tnp_Neurosciences_et_Bouddhisme.pdf
La recherche sur la méditation transcendantale ne s’est pas arrêtée aux années 60 , en effet plus de 600 études scientifiques ont démontré ses bienfaits, certaines étant récentes..
Cette méthode ne demande que 2 fois 20 minutes par jour, Je l’utilise avec succès depuis plus de 30 ans……
http://www.mt-provence-mediterranee.fr/validation.html