Je viens de recevoir par l’intermédiaire d’un ami cet article intitulé « Soyez un peu plus négatif », écrit par Jean-Marc Dupuis, rédacteur en chef d’une newsletter intéressante sur internet, relative au domaine de la santé : la lettre Santé Nature Innovation.
J’en reproduis de larges extraits, car je voulais depuis longtemps écrire sur le sujet de la pensée positive, tarte à la crême de tout un courant de la psychologie actuelle, venant d’outre-atlantique et amplifié par les médias autour de la santé, du bien-être et du développement personnel.
J’ai rajouté un commentaire personnel, pour introduire quelques idées relatives à la psychothérapie intégrative.
C’est autour des années 1900 qu’Emile coué, pharmacien, inventa la fameuse « méthode Coué ».Grand promoteur de « l’autosuggestion », il rédigea un traité affirmant que, pour aller mieux, il fallait se répéter tous les soirs, dans son lit : « Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux ».
Ses théories, inspirées de Bernheim, connurent un succès international. Elles furent reprises aux Etats-Unis par Norman Vincent Peale, auteur de « The Power of Positive Thinking » (La puissance de la pensée positive). Publié dans les années 50, son livre fut interprété par le grand public comme une « grande nouveauté ». Il conseillait lui aussi de faire des efforts délibérés pour parler de tout de façon positive, ce qui ne tarderait pas, selon lui, à nous rendre plus heureux.
Et aujourd’hui, soixante ans plus tard, magazines et psys nous recommandent toujours, pour aller mieux, d’adopter la « positive attitude », nous présentant cette solution comme moderne.
Il n’y a pas de doute que, pour une partie de la population, s’efforcer de voir la vie en rose aide à maintenir le moral.
Mais il semblerait que, pour d’autres, ces efforts produisent l’effet inverse : imaginer que l’avenir sera forcément radieux renforce la peur d’échouer et de souffrir si ces attentes ne se réalisent pas. Et au contraire, se préparer à quelque accident peut provoquer un soulagement, et même des bouffées de bonheur, lorsqu’on s’aperçoit que, finalement, tout s’est bien passé !
La question est de savoir : à quelle catégorie appartenez-vous ?
Si vous êtes dans la seconde catégorie, celle des personnes qui préfèrent s’attendre au pire, il est probable que votre entourage vous reproche volontiers d’être pessimiste, défaitiste, triste.
Mais la réalité est que ce n’est pas forcément le cas.
Vous pratiquez peut-être, sans le savoir, ce que le psychothérapeute new-yorkais Albert Ellis, décédé en 2007, appelait « la voie négative vers le bonheur ».
Il s’agit d’un des principes clés de la philosophie stoïcienne, qui date de la Grèce antique : le meilleur moyen de se préparer à un avenir incertain est parfois d’envisager le scénario du pire, et non du meilleur.
Si vous craignez de perdre votre emploi, votre argent, votre « niveau de vie », le philosophe stoïcien Sénèque conseillait de passer régulièrement quelques jours dans la misère, vous nourrissant « de la nourriture la plus chétive et la plus commune, couvert d’un vêtement rude et grossier ». « Nous serons riches avec moins d’inquiétude, si nous savons combien la pauvreté est facile à supporter. » expliquait-il. (1)
Cela vaut aussi dans nos relations avec les personnes que nous aimons : si l’on ne place pas trop d’espoir ou de confiance dans ce qu’elles vont faire pour nous, on est moins facilement déçu. Ne rien attendre, ou peu attendre, élimine le ressentiment, la déception, et favorise au contraire les bonnes surprises.
Préparez-vous au pire
Le fait de réfléchir calmement au scénario du pire et de s’y préparer mentalement est un exercice bien connu des philosophes. Ils l’appellent le « Premeditatio Malorum », c’est-à-dire la préméditation des maux, ou des malheurs.
Le but est de s’imaginer dans la pauvreté, la souffrance et la mort. Vous devez considérer la réalité de l’existence face à face, ne pas nier que cela pourrait vous arriver, que cela va même sûrement vous arriver dans le cas de la mort. Mais vous devez en même temps bien avoir à l’esprit que ce ne sont pas des choses tristes ou injustes, puisqu’elles ne dépendent pas de nous. Ce sont des faits de la nature, et la seule manière d’y échapper aurait été de ne pas naître.
Cette technique peut aider à limiter l’anxiété. Un tiers de la population environ y recourt de façon spontanée. Les psychologues appellent cela du « pessimisme défensif ». La pensée positive, par contraste, vise à vous convaincre que tout ira bien, ce qui peut renforcer chez certains la conviction qu’il serait catastrophique que ce ne soit pas le cas.
Si vous êtes dans la catégorie des « pessimistes défensifs », vous serez en fait plus heureux si vous arrêtiez d’essayer de vous réjouir de l’avenir. En réduisant vos attentes, et même en vous préparant au pire, votre vie vous apportera plus de satisfaction.
Pourquoi les personnes vivant dans les pays pauvres se déclarent-elles souvent plus heureuses que les habitants des pays riches ? C’est parce qu’elles sont conscientes que rien ne leur est acquis, et sont prêtes psychologiquement à chaque instant à tout perdre : leur maison, leurs proches, leur vie…
La conséquence est que, tant qu’elles ne sont pas tuées, elles considèrent que, finalement, tout va bien, et remercient le Ciel tous les matins d’être toujours en vie, même si elles manquent de tout ! D’où leur capacité de sourire, rire, se réjouir, y compris au milieu de difficultés qui nous paraissent insurmontables.
Au contraire, dans les pays riches, nous avons des exigences extrêmement fortes. Nous considérons comme parfaitement normal, par exemple, de pouvoir déposer nos enfants à l’école tous les matins et que des gens s’en occupent jusqu’au soir. Ou que notre maison soit chauffée. Ou qu’il y ait de la nourriture dans les magasins, de l’essence dans les pompes à essence. Si jamais le moindre grain de sable se glisse dans la mécanique, nous éprouvons une énorme impression d’injustice, de colère. Il en va de même pour nos projets professionnels, nos projets de vacances, etc.
La question du niveau de bonheur que nous ressentons est donc en fait extrêmement lié à la question de nos attentes. Plus nous attendons des autres, et de la vie, plus haut est le risque d’éprouver de la déception, de la tristesse, si ces espoirs sont déçus.
La « voie négative » est donc une école de réalisme, et c’est peut-être ce qui explique que les personnes qui l’empruntent réussissent souvent mieux que les autres. L’avenir est en effet incertain, et il est vrai que les choses peuvent mal tourner, aussi bien que bien tourner. Si vous ne vous êtes préparés qu’à la deuxième hypothèse, vous vous retrouvez tout déconfit si les choses tournent mal.
Au contraire, si vous vous étiez préparés à ce que les choses tournent mal, et que vous avez la divine surprise de voir qu’elles tournent bien, vous êtes alors en position optimale pour profiter de la situation au maximum.
Sources :
(1)Sénèque [2,18] XVIII. Amusements du sage.
(2)Cité dans The Wall Street Journal, 7 décembre 2012, « The Power of Negative Thinking », par Olivier Burkeman.
Commentaires : ni positif, ni négatif, réaliste !
Cette dualité « pensée positive / pensée négative » ne me convient pas beaucoup.
Ni la pensée positive ne me parait efficace, ni la pensée négative.
L’auteur de l’article démonte bien les limites de la pensée positive, qui s’expose à de multiples déconvenues.
J’ajouterai que la pensée positive se fonde sur une erreur de conception de la psyché humaine, de nature mécaniste : selon une loi simpliste de cause à effet, il suffirait d’émettre et de répéter des pensées ou des croyances positives pour qu’elles se réalisent ou s’incarnent.
Ce n’est pas si simple, c’est oublier que notre psychisme est complexe ; en particulier il est sous-tendu ou fondé sur notre inconscient – la part pour ainsi dire caché et immense de l’iceberg.
Les différentes psychanalyses ont bien montré que cet inconscient est plutôt négatif, c’est à dire contient une masse de déterminismes anciens, où névroses, traumas, souffrances, dysfonctionnements de toutes sortes pullulent. Il y a de plus une loi très désagréable de ce psychisme, qui s’appelle le « retour du refoulé » : plus vous voulez vous cachez la réalité de cet inconscient, plus il risque de se venger en s’exprimant de manière inopinée et non-advenue. On pourrait dire que la pensée positive renforce cette loi et qu’elle démultiplie le risque du retour du refoulé. C’est le cas de nombreuses dépressions, où l’inconscient refoulé a besoin pour ainsi dire d’exprimer sa négativité, après des périodes d’euphorie pleine de succès.
Alors, vient le temps du travail thérapeutique sur soi-même par des méthodes variées, consistant principalement à accepter et à laisser parler ce négatif méprisé ou combattu.
Pensée positive peut-être, mais à condition d’avoir fait le nettoyage préalable du négatif de l’inconscient.
Mais la pensée négative du « pire », présentée par l’auteur de ce texte, ne me semble pas non plus très convaincante.
Pour le coup, il y a le risque d’une pensée sombre, défaitiste, difficile à vivre et pouvant aussi contribuer à déprimes et dépressions. Il suffit par exemple de penser à la vision désespérante de l’après-guerre avec le théâtre de l’absurde de Samuel Beckett ou l’existentialisme première manière de « La nausée » de Sartre ou de « L’étranger » de Camus – position intenable même pour leurs auteurs obligés d’évoluer plus tard vers un humanisme plus optimiste, porteur de valeurs positives.
Pensée négative ou pensée positive, ce choix simpliste serait méconnaître aussi cet étrange mélange de la vie et du réel fait d’oppositions et de dualité.
C’est la philosophie chinoise, issue du taoïsme qui exprime le mieux cette dualité yin / yang et la manière de s’en sortir, comme ce célèbre passage de Lao-tseu dans le Tao tö king – encore un livre de chevet que je vous recommande :
Tout le monde tient le bau pour beau,
c’est en cela que réside sa laideur.
tout le monde tient le bien pour le bien,
c’est en cela que réside son mal.Car l’être et le néant s’engendrent,
le facile et le difficile se parfont.
Le long et le court se forment l’un par l’autre,
le haut et le bas se touchent,
l’avant et l’après se suivent.C’est pourquoi le sage agit sans agir
et enseigne sans parole.
toutes les choses du monde surgissent
sans qu’il en soit l’auteur.Il produit sans s’approprier,
il agit sans rien attendre,
son oeuvre accomplie, il ne s’y attache pas,
et puisqu’il ne s’y attache pas,
son oeuvre restera.Tao tö king 2
Inutile donc de cultiver la pensée positive ou la pensée négative, de toute manière, elles se transforment en leur contraire,
telle est la loi du réel,
alors, mieux vaut choisir une autre posture, c’est à dire faire le saut intérieur au delà de la loi de la dualité inhérente au monde des formes,
une posture qui transcende le positif et le négatif.
La philosophie intégrative héritée, entre autres, d’Arthur Koestler et de Ken Wilber dirait : une posture hiérarchiquement ou holarchiquement supérieure de la conscience qui « intègre et transcende la dualité« .
Tout un courant de la philosophie orientale parle aussi de la « non-dualité ».
C’est d’ailleurs la posture méditative de la pleine conscience qui accueille tout ce qui se présente dans le moment présent avec la même acceptation bienveillante et sereine. Alors, le positif comme le négatif se transforment en une douce tonalité de bien-être, en une sorte de lâcher-prise qui ouvre la voie d’un bonheur intemporel, quoiqu’il arrive.
Cela ne veut pas dire que l’on choisisse de vivre dans une attitude passive de spectateur non engagé dans le monde, ni que l’on s’abstienne de formuler des projets, des souhaits et des voeux personnels – surtout dans cette période de début d’année -, mais on ne s’attache pas à leurs résultats – ce qui est d’ailleurs aussi l’enseignement millénaire de la Bhagavad- Gita, – encore un autre livre de chevet de première importance .
C’est « l’attente sans attente » ou « l’agir sans agir », les mots sont nombreux pour tenter de décrire cet état et les mots sont impropres à en rendre compte complétement,
c’est un état à ressentir et à pratiquer.
C’est très agréable d’être libéré du négatif et du positif.
Tags : intégration, psychologie, psychothérapies, taoïsme
» l’attente sans attente »
voilà qui bien me dit.
Pensées amicales de Michelle.
Oui, cela s’appelle l’union ou l’intégration des contraires, cela parle en effet à certain(e)s et surtout cela peut mettre dans un état très agréable une sorte de lâcher-prise.
Il y a aussi « agir sans agir », dont on a parlé précédemment avec Tchouang-tseu, ou vivre comme si l’on était déjà mort, bouger comme si l’on était immobile, etc…
l’attente sans attente, j’ai envie d’ajouter le présent sans attente
Martine
oui, bien sûr, le « sans attente » est un des caractères du présent, comme le montre très bien Eckhart Tolle, mais alors, c’est moins spectaculaire pour ainsi dire que « l’attente sans attente » qui exprime mieux l’union des contraires pour accéder à un autre état intérieur, qui est celui – on est bien d’accord – d’être pleinement dans le moment présent avec des attentes sans attente.
Je crois pour ma part, que lorsqu’il pleut, il pleut et lorsqu’il fait soleil, il fait soleil.
Il m’arrive certains jours de goûter la joie de la pluie comme il m’arrive d’autres jours de pleurer le soleil. Tout est possible bien sûr.
Et tout compte fait ce n’est pas tant les contenus négatifs qu’il faut araser et passer au rouleau compresseur pour orienter notre boussole interne vers ce que l’on appelle abusivement le positif que les capacités intrinsèques du vivant qu’il faut avoir l’audace de réveiller.
Le positif, comment se définit-il, quel est son maître étalon au positif?
Si c’est être positif que d’accepter de s’adapter au monde déliquescent dans lequel nous sommes alors ce positif ne vaut rien qui vaille. Car, à bien y réfléchir, le vrai maître étalon est celui du vivant et quand une société comme la nôtre s’oriente vers l’affaiblissement voire la mort de l’humain, alors tout est inversé et les valences se renversent, car désobéir à cette prescription du positif à tout crin c’est alors obéir à la loi supérieure de la Vie qui s’ordonne tout autrement.
Comme il est dit dans cette grande Geste indienne qu’est le Mahabharata
« La vertu qui détruit la vertu est une fausse vertu, je te le dis avec une vérité cruelle. La vraie vertu surmonte les contradictions nécessairement. Elle pèse le pour et le contre et décide pour ce qui est juste. Une vertu qui ne décide pas n’est pas la vertu »
Moi, je décide d’opter pour la vie! Et se rallier au oui à la vie nécessite de poser des nons aux mensonges qui nous font prendre des vessies pour des lanternes.
je suis d’accord, Catherine, avec ce que vous dites, sauf peut-être le dernier paragraphe qui me laisse sur ma faim : « Moi, je décide d’opter pour la vie… », car tous les êtres vivants finalement décident d’opter pour la vie. mais de quelle vie s’agit-il, pour cultiver quelle vertu, quelle dimension de l’Etre, quel défi se donner, etc, etc… ? Opter pour la vie, dans quelle option ?
Je me rends compte que je n’ai répondu qu’à la moitié de votre question Alain.
Alors bien sûr que non que tout le monde n’opte pas pour la vie, ça se saurait et ça se verrait si c’était le cas, bigre!
Vers quelle étoile dirige-t-on notre énergie, énergie per-sonne-lle dans laquelle coule l’énergie uni-vers-elle qui est totalité sans totalité comme dit si brillamment Maître Eckaert, énergie contenue dans l’espace déchiré de notre corps?
Vers ce qu’il y a de mieux ma foi et tout ce qui prend des majuscules, l’amour en tant qu’ouverture, la vérité, la justice, bref, toutes ces choses qui se déploient sous des noms différents dans notre relatif réduit du canal humain, mais qui ne sont qu’un dans l’absolu, le sans lien qui nous origine.
C’est nécessaire de le dire Alain, car on pense souvent que l’on est dans la vie mais le plus souvent on est dans la survie. D’ailleurs opter pour la vie, ça ne veut pas dire qu’on y soit installé dans cette vie, c’est par flamèche, par éclat, par instant que l’on s’y installe, c’est l’étoile vers laquelle on oriente notre énergie mais ce n’est pas quelque chose qui nous est coutumier, habituel, et on la trouve dans les chemins de traverse, en nettoyant les encombrants qui lui font obstacle, est-ce plus clair?
Quand j’ai dit que tous les êtres vivants optaient pour la vie, je pensais à ces étranges mollusques vus dernièrement dans une émission d’Arte, et qui sous 600 mètres au fond de la mer, dans la nuit éternellement noire, clignotaient tout de même une étrange lumière, qu’ils stoppaient à l’approche des prédateurs ; je pensais aussi à ces traders survoltés, qui spéculent fiévreusement à la Bourse, pour gagner toujours plus d’argent, eux aussi, finalement ils optent pour la vie.
Mais bien sûr, Catherine, vos propos teintés de poésie me disent que ce n’est pas de cette vie là qu’il s’agit, mais de la vie pour laquelle en tant qu’être humain nous nous sommes incarnés et qui a à voir avec toujours plus de Conscience et toujours plus d’Amour, et cela nous touche par moment par éclats par flammèche, comme vous le dites si bien.
Bonjour, je suis tombé sur votre blog un peu par hasard. Je suis moi-même une thérapie individuelle mais une thérapie « humaniste » : http://www.psy-33.com/analyse-psychocorporelle.php Je voulais donc savoir quelle était la différence ? Et si tout le monde pouvait suivre cette thérapie « intégrative » ? Merci d’avance !