Ce poème sous forme de prière,
– ce qui est peut-être une des formes originelles de la poésie -,
je l’ai trouvé cet été, dans une petite église, sur une île bretonne :
Notre-Dame du fond des âges,
Notre Dame du temps qui passe
prends pitié de nous
qui sommes de passage
sur la plage.Notre Dame des flux et des reflux,
Notre Dame des allées et venues,
marche avec nous sur le sable
avant qu’à jamais s’efface
la trace de nos pas.Notre Dame des dunes blanches
et courbes collines modelées par la main du vent,
apaise et guéris nos soucis,
avant qu’à jamais nous disparaissions
dans le sable du temps.
Notre Dame des airs, de l’air léger du matin,
du vent crissant dans les oyats tremblants,
emplis nos poumons de plein air,
avant qu’à jamais nous manque
le souffle de la vie.Au moment du dernier passage, O Notre Dame,
du dernier soupir comme du dernier regard,
et du dernier baiser comme de la dernière poignée de main,
souviens-toi de notre pèlerinage
sur la plage.
Et conduis-nous
dans l’éblouissement
de la lumière éternelle.
Amen
Une prière païenne
Cette prière est dédiée à Notre Dame,
celle qui protège, sur cette petite île, marins et pêcheurs, dans un univers voué totalement à la mer.
C’est un exemple surprenant du paganisme celte qui reste toujours vivant dans les esprits, malgré le rouleau compresseur séculaire du christianisme conventionnel.
La Vierge ne s’appelle plus Marie,
elle n’est plus reléguée à l’unique fonction maternelle de procréation,
– rôle unilatéral de mère qui a si souvent servi de modèle d’asservissement à la femme dans une société phallocratique -,
La Vierge s’appelle ici « Notre-Dame des reflux et des reflux »,
tout un programme dans l’émerveillement de la poésie retrouvée !
Si l’on veut un peu réfléchir sur cette Notre-Dame,
nous trouvons mise en exergue, la riche fonction temporelle consistant à régler les cycles de la vie : cycle de la mer et ses marées, cycle des saisons, cycle d’une vie humaine, cycle des jours et des nuits, etc…
Notre-Dame devient alors une présence bien incarnée sur cette terre, presque familière et intime,
présidant aux fonctions essentielles de la vie dans sa diversité et sa richesse – ce qui est d’ailleurs le propre de tous les dieux et déesses du paganisme.
Ainsi, elle est déesse des dunes et des collines, du vent et de l’air léger, des fleurs de la lande, du flux et du reflux de la mer, du sable de la plage, etc.
Ce n’est plus une Vierge dont la virginité et l’immaculée conception la tiennent à distance des humains,
c’est comme une personne proche, bienveillante et protectrice,
dont la divinité située dans un monde intermédiaire, mi-humain, mi-divin,
joue le rôle primordial d’aider au passage vers l’Autre Monde, le monde de la Lumière éternelle :
« Et conduis-nous dans l’éblouissement de la lumière éternelle ».
Eloge de l’écologie spirituelle
Mais que vient faire ce poème au beau milieu du monde actuel, matérialiste, scientifique et technique, ayant éradiqué toute vision spirituelle, oblitéré les dieux et les déesses des mondes intermédiaires, au point d’avoir fait d’ailleurs de la mort – cette question fondamentale de la conscience humaine à l’origine de sa dimension spirituelle -, un simple accompagnement technique, médicalisé, suivi de plus en plus d’une incinération rapide et hygiénique ?
En fait, quand il y a excès dans un sens, comme c’est le cas actuellement, avec cette croyance la plus folle d’un progrès matériel illimité, pointe à l’horizon la catastrophe, la catastrophe majeure, dont il n’est pas la peine d’être grand devin pour savoir qu’il s’agira de :
« la destruction irrémédiable de l’environnement »
mettant en question la survie de l’espèce humaine et peut-être même celle de notre belle planète Terre.
Comme le dit Jean Paul Jaud dans son dernier film « Tous cobayes ? » au sujet de l’horreur des OGM et du nucléaire :
« C’est la première fois qu’une espèce est capable d’empoisonner sciemment ses descendants »
L’urgence absolue, qui sera sûrement la question clé du 21e siècle, devient donc l’écologie. Elle est loin d’être encore reconnue, puisque dans les deux récentes campagnes présidentielles aux Etats-Unis et en France, elle est restée très secondaire, presque absente, dans une sorte de déni ou d’aveuglement sidéral.
Elle peut être aussi dévoyée dans une écologie pragmatique, adaptée au monde actuel des affaires, – on l’appelle outre atlantique le « Green Washing », c’est à dire une écologie qui ne met rien en cause de l’esprit qui préside à la destruction de la planète dans sa soif d’argent et de rentabilité.
En fait, ce dont nous avons besoin, à l’origine de cette transformation nécessaire :
c’est d’une nouvelle vision de la Nature et de la Terre – on appelle cela aussi un changement de paradigme -, dont il me semble que le fondement tient en une sorte de vénération spirituelle de la Nature et de la Terre.
On peut l’appeler : l’écologie spirituelle.
En fait il s’agit de renoncer consciemment au vieux combat contre Nature, issu des monothéismes du désert et surtout de l’arrogance des sciences et techniques conventionnelles, qui ont fait de ce combat violent un dogme du progrès matériel. L’homme doit renoncer à son rôle de gestionnaire de la Nature qui s’est transformé peu à peu en tyran destructeur,
afin de reconnaître, comme nous y invitent les peuples premiers, ou certaines traditions spirituelles bien étudiées par Jean-Marie Pelt, dans son livre prémonitoire « Nature et spiritualité » :
la Nature est divine, sacrée, expression d’une beauté, d’un ordre, d’ une perfection qui nous dépasse.
Il résulte de cette vision une relation complétement différente à la Nature et à la Terre faite de vénération et d’émerveillement, mais aussi de bienveillance et de douceur, dans la recherche d’une harmonie intégrative.
Ainsi dans cette transformation radicale, urgente et nécessaire de notre vision en écologie spirituelle, la poésie peut prendre une part de choix à cette conversion nécessaire.
Elle a toujours été là pour parler ou chanter la dimension supérieure de l’être humain, quand celui-ci se met à se tourner vers son être, vers son origine, vers sa divinité.
Cette prière trouvée loin là-bas, dans une petite île, m’a semblé participer pleinement de cette transformation nécessaire et urgente de la Conscience humaine.
Tags : catastrophes, ecologie, iles, nature, paganisme, poésie, religions, spiritualité
Ne créerais-tu pas un outil « imprimer »?
Un bon merci et salut !
Armen
C’est fait, et je trouve le résultat très bon.
Un grand merci pour nous avoir fait partagé ce très beau poème. Il correspond très bien à ce que j’ai parfois ressenti de façon fugace et plus ou moins subliminale, lors de promenades solitaires sur la plage déserte, mais je ne l’aurais jamais si bien exprimé. Les photos associées renforcent encore cette impression.
Un petit bémol cependant. Je ne pense pas que les religions du désert aient combattu la nature, tout au moins à l’origine. L’Ancien et le Nouveau Testament et le Coran plus encore sont pleins de métaphores empruntées à la nature, et la louange de Dieu y passe souvent par l’admiration de la nature.
Vous avez raison, Claudine, de souligner qu’en ce qui concerne les 3 monothéismes du désert, ce n’est pas si simple. On pourrait dire de manière plus nuancée, qu’il y a ambivalence et cela dès la Genèse. A côté de pages à la gloire et à la divinisation de la Nature comme dans le Cantique des Cantiques, il y a aussi la fameuse injonction de Dieu (Gn I 27-28) : « Multipliez, envahissez la terre, maîtriser la, dominez tout vivant, le poisson dans la mer et l’oiseau dans le ciel… »
Certes Jésus et les ermites du premier millénaire étaient du côté de l’amour de la Nature, le summum étant atteint par St François d’Assise, mais à partir du 13e siècle tout bascule dans l’autre sens, en particulier avec St Thomas d’Aquin, admirateur d’Aristote qui va peu à peu séparer le physique du métaphysique, laissant la porte ouverte à tous les excès de la science que l’on connait actuellement.
Pour ce qui est de l’Islam, je connais moins, mais j’attends vos lumières sur le sujet.
Pour répondre à votre question, j’ai été obligée de faire appel aux compétences de mon mari qui, intéressé à la fois par l’écologie et le dialogue entre les trois religions monothéistes, a beaucoup plus de connaissances que moi sur le sujet. Le texte qui suit est donc de lui:
Le Coran se présente comme une sorte de kaléidoscope illustrant en boucle quelques aspects essentiels du message biblique, et notamment l’appel à reconnaître le Créateur dans sa Création. Souvent il énumère les merveilles de la nature, et, même s’il récuse le terme de Père, il insiste sur la sollicitude divine inhérente à l’acte créateur:
« De la terre il a fait pour vous un lit de repos
Et du firmament un édifice.
Il fait descendre du ciel une eau
grâce à laquelle il fait surgir des fruits
pour assurer votre subsistance. » (II ,22).
N’en concluons pas que cette sollicitude autorise l’homme à exploiter la terre sans retenue, comme a pu y pousser une interprétation abusive des versets de Genèse I,28 invitant l’homme à remplir la terre et à la soumettre. Le Coran, au contraire, souligne la responsabilité de l’homme dans l’harmonie universelle:
« La corruption est apparue
sur la terre et sur la mer
par suite des actes accomplis
par la main des hommes » (XXX,41).
La visibilité de cette corruption dévoile aux hommes
« une partie de ce qu’ils ont fait »
pour les aider à retrouver librement le chemin d’Eden:
« peut-être reviendront-ils! ».
Ce retour suppose un abandon de l’anthropocentrisme au profit d’un émerveillement devant l’acte créateur portant en germe vie et conscience:
« La Création des cieux et de la terre
est quelque chose de plus grand
que la création des hommes:
mais la plupart d’entre eux ne savent pas. » (XL, 57).
Que parfois le Coran donne une hauteur nouvelle au message biblique, cela étonne la culture judéo-chrétienne. C’est pourtant le cas, me semble-t-il.
F.D.
Merci pour votre apport intéressant à cet échange.
Personnellement, je persiste à croire que les points de vue des trois monothéismes se ressemblent pour leur ambivalence par rapport à la Nature.
L’hypothèse d’un dieu créateur qui délègue son pouvoir à l’homme afin de s’occuper de la Nature, me semble prêter à toutes les confusions et interprétations différentes depuis la domination omnipotente jusqu’à l’émerveillement dans le non-agir. Dans un sens, les émirats arabes actuellement qui participent au pillage occidental des ressources fossiles de la nature (le pétrole), pour construire ensuite des villes ultramodernes complétement artificielles, me semblent participer de cette même ambiguité de l’islam, qu’on retrouve aussi dans le christianisme et en particulier le protestantisme.
Je crois que ce qui est en cause finalement, c’est cette vision d’un dieu créateur, transcendant sa création et dont le silence abyssal permet tous les dérapages. Je me sens plus proche de la vision d’une divinité immanente qui rend toutes choses divines et interdépendantes. Si une espèce manquant à tous ses devoirs, outrepasse l’harmonie et l’équilibre divin de la création, alors elle s’expose à toutes les catastrophes, en particulier les catastrophes écologiques, dont nous commençons à entrevoir les manifestations.
Tout à fait d’accord à propos du pétrole: il ne suffit pas de se dire musulman pour avoir compris la spiritualité du Coran et la mettre en pratique, ni de se dire chrétien pour pratiquer le sermon sur la montagne.
Ceci dit, je découvre en vous lisant que depuis ma jeunesse je fais de l’intégratif sans le savoir, et surtout à propos des conceptions de la vie, qu’elles soient notamment « orientales » , « athées » ou « monothéistes occidentales ». L’existence culturellement lourde de ce monothéisme occidental divisé en religions concurrentes exige un effort d’intégration pour lequel je me réfère personnellement à deux esprits intégratifs assez méconnus: Zamenhof et Michel Potay.
Ce qui est en cause, je crois, c’est moins « cette vision d’un dieu créateur, transcendant sa création et dont le silence abyssal permet tous les dérapages » qu’une infidélité des traditions religieuses au meilleur de leurs origines, ces origines reflétant à mes yeux un renoncement du »transcendant / immanent » à son silence verbal, faussement interprété comme « silence abyssal ». Malgré sa confiance en la liberté de l’homme (« peut-être reviendront-ils » répète souvent le Coran), je crois que le transcendant / immanent s’autorise parfois un coup de fouet historique par la bouche de « prophètes » ou messagers.
Quand je dis le « transcendant / immanent », je pense au verset II,186 du Coran que j’ai découvert avec émotion: Dieu y fait référence aux questions des hommes se demandant où il est, et ajoute simplement « alors que je suis tout proche… ».
La voie spirituelle monothéiste, à laquelle j’appartiens de fait, me semble valoir les autres et inversement, à condition qu’elle se situe dans l’effort intégratif de création dont vous parlez. Elle me semble notamment permettre, une fois honnêtement passée au tamis, de ramener tous ceux qui prétendent s’y référer à l’amour du prochain et de la nature pour limiter la casse pédagogiquement utile à une nouvelle élévation de la conscience.
C’est intéressant ce que vous dites et je crois finalement que nous nous rejoignons quand vous dites que toutes les voies spirituelles se valent, ce qui est effectivement pour moi une attitude intégrative, au sens où je picore à gauche et à droite, aussi bien en Orient qu’en Occident, avec une prédilection tout de même pour l’Orient.
Mais en fin de compte, ce qui prime c’est une expérience spirituelle intérieure et subjective, non réductible à tout langage, ou toute technique, ou tout protocole. Quand on est dans cette expérience intérieure que l’on pourrait appeler mystique, au coeur de toute spiritualité dans l’ouverture maximale de la conscience et de l’amour, alors toutes les traditions et toutes leurs disputes métaphysiques et théologiques apparaissent dérisoires.
L’émerveillement devant la Nature devient alors une expérience obligée puisant sa force dans cette expérience spirituelle primordiale, au-delà de tout système ou référence religieuse. Et cet émerveillement à forte connotation esthétique oblige spontanément l’être humain à se mettre au service de la Nature et non pas le contraire comme actuellement à une époque qui a perdu toute dimension spirituelle.
Vous m’obligez à approfondir ma réflexion sur l’histoire de l’occident. Le Moyen-âge, intégratif à sa façon, n’avait pas su prévoir l’orage du protestantisme, déclenché par l’inadéquation d’un système chrétien rigide et oppressif avec la soif de dignité spirituelle inhérente à l’homme. D’où le protestantisme.
Le protestantisme, dans sa marche intégrative, n’avait su prévoir les guerres de religion, malgré les expériences antérieures (hérésies, islam conquérant, croisades), d’où une nécessaire recours à la raison pacifiante chez Montaigne et Descartes, qui, après la condamnation de Galilée, « s’avance masqué » en limitant les incursions de la raison à l’universel consensus mathématique, malgré un certain mysticisme émerveillé patent à la fin de la Méditation Quatrième.
Descartes dans sa démarche intégrative soucieuse de « revues si générales » qu’on soit « assuré de ne rien omettre », n’avait pas su prévoir la lenteur de la raison à découvrir les effets pervers d’une science appliquée à l’exploitation consensuelle de la nature, et trop oublieuse du « coeur ». D’où, après Pascal, génial précurseur complétant l’esprit de géométrie par l’esprit de finesse, le romantisme dénonçant la machine à vapeur au profit de l’intériorité, avec cette « mystique » et cet « émerveillement » dont vous parlez. Mais le romantisme n’a pas vu venir le délire mystique qui, de la complexité d’Hegel et de Nietzche dégénère en délires de puissance d’Hitler à Staline. Il faut savoir raison garder, d’où notre Europe, pas bien enthousiasmante.
Comment alors intégrer à la fois la raison cartésienne engendrant coopération consensuelle et la nécessaire intériorité du « mysticisme émerveillement » et les féconder mutuellement? C’est ce que mon ami Michel Potay appelle « l’intelligence spirituelle ».
merci pour cette interprétation de l’histoire des idées en Occident. Elle a sa cohérence. Le seul problème, c’est qu’il y en a des dizaines et des dizaines d’autres, toutes différentes et chacune se réclamant de sa vérité. Aussi je m’abstiendrai de vous répondre sur ce terrain miné, qui d’ailleurs nous éloignerait du sujet : la relation de la culture occidentale à la Nature.
Il me semble juste que la « raison » dominante que vous semblez privilégier n’a pas actuellement de réponse satisfaisante à cette relation qui fait courir à la planète et à l’espèce humaine la menace d’un désastre écologique majeur. Peut-être sommes d’accord que « l’homo demens » comme l’appelle Edgar Morin, s’il veut mériter son titre de « sapiens », doit s’élever dans une dimension de conscience supérieure à cette « raison », et qui me semble relever d’une nouvelle dimension spirituelle à inventer, loin de toutes les religions et mysticismes du passé qui ont montré leur faillite.
Merci de me ramener au sujet, l’émerveillement devant la nature, dont je semblais s’éloigner.
Mais d’abord, « je ne privilégie » pas « la raison dominante », au contraire. Simplement je tâche de dialoguer honnêtement avec elle, y compris en moi-même.
Comme la vôtre, ma spiritualité est d’abord émerveillement, et je m’émerveille de vous voir, quasi le premier à mon humble connaissance, définir la spiritualité par ce mot que j’avais moi-même découvert pour exprimer mon vécu, et que je ne trouvais guère chez aucun philosophe.
L’absence du mot n’a pas empêché en occident de laisser parfois percer cet émerveillement. Je pense à la langue de Platon, si musicale, au « meilleur des mondes » de Leibnitz, à la joie de Spinoza, aux Psaumes… et mon âme d’avocat aimant à rendre justice aux méconnus m’a poussé à vous faire découvrir le Coran, et à rendre justice aussi à Descartes, à mes yeux caricaturé par une vision unilatérale qu’il m’a semblé retrouver chez vous. Il ya bien, chez Descartes, comme je l’ai montré, une spiritualité de l’émerveillement. Pas l’émerveillement romantique, celui produit par la mer chez Hugo et que vous évoquez également, ou par la montagne chez Rousseau ou chez moi. Mais cet émerveillement est bien spirituel lui aussi, comme celui de Montaigne devant le Créateur qui a fait « tout bon » y compris, oserais-je dire, son nombril, ou comme l’émerveillement amoureux, l’émerveillement devant un bambin, ou l’émerveillement devant un acte bon ou un « grand homme », avec là, le terrible risque des déviances fanatique, nazie ou stalinienne que j’ai pointées, et que je résumerai sous le mot d’idolâtrie.
Je souhaite pour ma part, reconnaître et encourager toute forme d’émerveillement, tant qu’elle évite cette idolâtrie.
Mais il y a plus: je vois des gens moins sentimentaux que moi et moins sensibles à l’émerveillement centrer leur spiritualité sur un dévouement à l’humanité, attitude qui n’est pas nouvelle, mais qui, désormais, intègre inévitablement un souci écologique.
Par ailleurs pour Michel Potay, il y a pollution pire encore que celle de la terre: celle des coeurs, qui, en admettant comme un fonctionnement normal de nos sociétés mensonge, haine, vengeance, soif d’argent et de pouvoir, risquent de conduire à nouveau l’humanité au désatre avant même la « catastrophe écologique » entrevue.
C’est pourquoi je fais bien la différence entre ma spiritualité intuitive, proche de l’émerveillement à la Montaigne, à la Descartes ou à la Rousseau, et ma spiritualité d’homme de dialogue capable d’accepter que d’autres puisent leur mystérieux amour de l’humanité et donc peu à peu de la planète à d’autres sources que cet émerveillement conscient, qui pour moi comme pour vous, je le sens, conduit tout naturellement à l’amour par renvoi d’ascenseur.
J’ imagine que ces quatre interventions de ma part vous auront suffisamment permis de comprendre mon point de vue, et vous remercie encore d’avoir accepté ce dialogue.
merci encore, pour la profondeur de vos propos que je partage en grande partie.
Je voudrais juste sur revenir sur deux points. D’abord, Descartes, qu’effectivement je n’apprécie pas beaucoup, parce qu’il m’a laissé de mauvais souvenirs pendant mes études de philosophie à la Sorbonne, alors que je préparais une maîtrise sur Nietzsche, et puis surtout : je le rends, avec d’autres bien sûr, responsable de ce maudit dualisme entre d’une part la raison raisonnante de manière privilégiée sur le monde sensible de la matière, et d’autre part, la métaphysique et tout ce qui touche au monde invisible de la dimension spirituelle de l’homme. Ce dualisme n’a fait par la suite que se renforcer en hégémonie de la raison, en réductionisme matérialiste de la science conventionnelle, repoussant, combattant, niant toute autre dimension. A l’opposé, il y a ce que j’appelle l’esprit intégratif qui tente au contraire l’unité entre les dimensions différentes en tissant des liens, en mettant en relation et en complémentarité.
Par rapport à l’émerveillement, c’est une dimension essentielle de l’écologie spirituelle, à condition, il me semble, qu’elle soit reliée à une sorte d’indignation devant tous les dégâts occasionnés à la Nature, dont certains sont irréversibles : épuisement et pillages des ressources naturelles, changement climatique, réduction de la biodiversité, péril nucléaire, etc, avec une insistance particulière sur la souffrance animale, en rapport en particulier avec notre consommation éhontée de viande. Il me semble qu’émerveillement et indignation sont les deux moteurs de l’action intégrant combat nécessaire et célébration face à la nature.
Je lis juste après votre message la phrase de parolesdhommes.org par une heureuse synchronicité :
« Les sciences bouleversent le regard que nous portons sur le monde. Mais elles ne peuvent, à elles seules, rendre compte de la splendeur de ce que nous appelons la réalité.
Il nous faut à la fois comprendre et ressentir. Mêler l’émotion et la raison. Les arts et les sciences. Monter sur les épaules des savants, des penseurs et des poètes. Sur les épaules des géants. Pour voir plus loin. Et redécouvrir, ensemble, notre commune humanité. »
Jean-Claude Ameisen
Sur les épaules de Darwin- les battements du temps, publié chez ‘Les Liens qui Libèrent (LLL) et France-inter’
Je me sens aussi bien en phase avec ce message et son émerveillement. Michel Potay a-t-il écrit un livre ?
En réponse à vos deux commentaires ci-dessus, je partage votre « indignation » devant la détérioration de notre planète, et m’efforce de vivre le plus possible en cohérence avec cette indignation. Sur Descartes, que pour ma part j’ai découvert grâce à un « merveilleux » professeur de tendance spiritualiste, je souffre qu’on ait non seulement caricaturé son dualisme, mais bien pire, comme vous le dites, oublié sa dimension spirituelle, et à la lumière de vos propos, je vous comprends parfaitement.
Sur la synchronicité, hier matin, douze heures avant votre message mentionnant Ameisen, j’avais justement acheté le livre d’Ameisen, qui m’a été demandé en cadeau de Noël. Autre synchronicité, dans cette série intitulée « Notre-dame du flux et du reflux »vous me demandez hier soir ce qu’a écrit Michel Potay, et amené aujourd’hui à relire dix pages de lui, j’y trouve par hasard un écho à ce poème. Pour suggérer en effet le monde nouveau duquel doit accoucher la crise actuelle, il a écrit ceci:
« Alors on humera sur les péninsules, où chantera le ressac, l’effluve ravivée du coquelicot blanc (…) ».
Chez Michel Potay, vous sentirez une complicité d’artiste et une complicité intégrative, mais n’abordez la moelle de ce message que si la rudesse de l’os ne vous prend pas trop à contrepied. Car il témoigne d’une expérience spirituelle se situant dans la ligne du prophétisme judéo-chrétien-musulman, en considérant que l’orient d’une part, l’Afrique noire de l’autre, auront leurs propres chemins prophétiques. Ensuite, ce qui prime pour lui, c’est l’amour évangélique et non l’écologie.
Ceci dit, même si l’on ne croit pas à la réalité de l’expérience prophétique, celle d’un homme non seulement bouleversé par le surnaturel mais même appelé, comme Muhamad, à noter au mot près une parole venue d’en haut, même si l’on n’y croit pas, on reste sensible à la profondeur de ce message, « reçu » du Ressuscité en 1974 et du bâton de lumière en 1977: dans sa crise, y lit-on, l’humanité ne peut plus faire confiance aux systèmes jumeaux de la religion et de la politique, et ne se sauvera qu’en atteignant un seuil suffisant de « pénitence », c’est-à-dire d’amour évangélique décomplexé et totalement libre, persévérant, pratiqué avec intelligence spirituelle et témoigné autour de soi, quelles que soient du reste les religions et/ou options philosophiques de chacun.
Les productions de Michel Potay, né en 1929, sont accessibles sur internet via google: faire « Michel Potay » ou « freesoulblog » (son blog) ou « La révélation d’Arès », nom de son premier ouvrage, Arès étant une bourgade de Gironde. On y satisfait sa curiosité, y compris malveillante.
Bonne découverte si vous le souhaitez.
Merci pour ces précisions. Je vais me procurer le livre de Michel Portay que vous indiquez.
Je ne suis pas contre les prophétismes de tous bords, au contraire, à condition qu’ils ne soient pas trop déifiés par leurs zélateurs. Pour moi le plus beau prophétisme reste quand même celui du « Zarathoustra » de Nietzsche, – qui d’ailleurs va passer en ce moment à la maison de la poésie à Paris.
Je lis aussi dans le dernier « Le Monde des livres » qu’il vient de sortir un livre sur les talents psychothérapeutiques de Descartes, où il est montré justement que son dualisme est une idée fausse. Dans cette correspondance rééditée, il n’arrête pas d’unir l’âme et le corps.
Titre du livre : « Une liaison thérapeutique.Du thérapeutique entre Descartes et la Princesse Elisabeth de Bohême » de Yaelle Silbony-Malpertu .
Vous écrivez aussi : « ce qui prime pour lui, c’est l’amour évangélique et non l’écologie. » J’ai envie de dire que l’écologie sous son angle spirituel, est une déclinaison actuelle de l’amour évangélique, de toute première nécessité et de toute urgence, car la Nature qui se meurt à cause de notre prédation généralisée a besoin de beaucoup d’amour pour survivre. Je me demande quelquefois si l’amour évangélique a senti cette urgence et cette « conversion » nécessaire. Qu’en pensez-vous ?
Avec retard, voici quelques éléments de réponse.
1) Dans le commerce, la Révélation d’Arès (rapportée par Michel Potay) ne se trouve guère que dans les FNAC, rayon ésotérisme. Sinon le texte est disponible sur internet par l’intermédiaire de son éditeur, Adira, à qui on peut le commander.
2) La Révélation d’Arès reproche aux religions d’avoir, comme vous le dites « déifié » l’institution issue de leur propre prophétisme, et le principal défi des « Pèlerins d’Arès », c’est d’être fidèles à leur idéal d' »assemblées » sans chefs ni religion.
3) Il faudrait que je lise Ainsi parlait Zarathoustra. Quant à Descartes, j’ai moi aussi vu l’article du « Monde des livres ».
4) Sur les rapports entre écologie et amour évangélique, j’y ai beaucoup réfléchi.
D’abord je vois quatre motivations possibles pour respecter la planète: le sentiment de la nature, bien léger chez beaucoup, l’argumentation scientifique, plus fiable, mais en partie discutable et sans force contre l’argent et les pouvoirs, les catastrophes, longues à réveiller les consciences comme on le voit aux USA, et l’amour universel sans lequel on piétine.
Quant aux autorités chrétiennes, elles ont depuis les années cinquante évolué vers l’oecuménisme en même temps que vers l’écologie, en approfondissant le récit biblique. J’y reviendrai. Cependant je ne suis pas le seul à déplorer que l’Eglise catholique continue à prôner une politique nataliste, notamment par sa morale sexuelle.
Pour Michel Potay, l’écologie est bien « une déclinaison de l’amour évangélique »: comment aimer son prochain, dirait-il, si l’on pille sa maison? Je l’ai entendu souvent parler de surexploitation de la planète et, à l’opposé des catholiques, de surpopulation; mais, même si la Révélation d’Arès, comme le Coran, réhabilite la grandeur de la nature, le passé de Michel Potay le conduit à mes yeux à trop oublier la dimension écologique de l’amour, et à surestimer peut-être les capacités de la planète à s’autoréguler. Lui et moi avons échangé à ce sujet dans son blog.
Par ailleurs je ne le conteste pas lorsqu’il désapprouve la forme politicienne de l’écologie, comme il désapprouve toute prétention politique à gérer les problèmes par de nouvelles lois plutôt que par la volonté d’aimer tout homme en se mettant à sa place.
Je ne le désapprouve pas non plus lorsqu’il admet la hiérarchie spirituelle inspirée par la Bible entre la nature et à son sommet l’homme créé libre et « à l’image de Dieu ».
Venons-en justement au début de la Genèse: « remplissez la terre et dominez-la ». On a trop oublié le verset suivant, qui donne en nourriture à l’homme et aux animaux le seul règne végétal. La viande et le vin ne sont accordés que dans l’alliance avec Noé, comme une sorte de consolation à une humanité déjà malheureuse du mal qu’elle a semé. Quant au verset précédent, il parle de l’homme créé par Dieu « à son image », pouvant non seulement se multiplier comme y ont été invités plus haut oiseaux et poissons, mais aussi imiter son créateur, et donc lui-même créer, aimer, et « dominer » la terre à son gré… sans oublier pourtant qu’il s’agit là d’un don divin à exercer soit dans une liberté totale et arbitraire en mangeant le fruit défendu, soit en gardant la référence équilibrante au façonneur parfait de l’univers. La Bible, livre humain ou livre sacré? sacré mélange des deux oserais-je dire, à ne pas lire trop superficiellement en tout cas.
oui, François, – je me permets de vous appelez par votre prénom -, ainsi que je le fais pour tous les chercheurs du chemin de conscience qui s’expriment sur ce blog – je suis d’accord avec la plupart des choses que vous partagez avec beaucoup de pertinence, sauf quand vous dites :
« Je ne le désapprouve pas non plus lorsqu’il admet la hiérarchie spirituelle inspirée par la Bible entre la nature et à son sommet l’homme créé libre et “à l’image de Dieu”. »
Là je dois avouer que je ne comprends vraiment pas comment ce dieu, dont vous parlez, a créé l’homme à son image, c’est à dire libre, Je trouve que c’est tout le contraire, si je rentre dans l’hypothèse d’un dieu créateur – chose que j’ai par ailleurs beaucoup de mal à me représenter – alors il me semble que ce dieu est un parfait sadique qui a créée une espèce, l’espèce humaine, totalement inaboutie, dangereuse et inconsciente, perdue dans un réflexe de prédation collective généralisée, mettant actuellement la planète Terre etr toute sa biodiversité en danger de disparition.
Je crois que je me situe, si on parle de traditions à ce sujet, dans la tradition des « gnostiques », dans la lignée de ce très beau livre écrit il y a longtemps par un homme que j’ai beaucoup admiré aussi et qui s’appelle « Jacques Lacarrière ».
A noter que, dans cette vision totalement pessimiste de dieu et de l’espèce humaine, les gnostiques reconnaissaient tout de même la possibilité d’évolution intérieure à une petite minorités d’hommes éclairés, empruntant divers chemins de connaissance – d’où leur nom de gnostiques – loin de toute foi et croyance aveugle ou infantile.
Finalement je me sens proche de ces hommes et je sais par mon métier qu’il existe pour quelques uns un chemin d’évolution, mais qui exige un très long travail exigeant sur soi-même, avec son inconscient (le prépersonnel) et avec la pleine conscience / amour (le transpersonnel) – ce que j’appelle dans mon jargon le chemin intégratif.
Je découvre aujourd’hui votre site avec une joie non dissimulée. Tant d’articles et de sujets m’interpellent ici. Psychologue et sensible à la poésie, je trouve ici un creuset pour l’intellect qui sait se mêler à la beauté au lieu de l’exclure. Merci à vous.
Concernant l’article lié à ce commentaire : je suis d’accord avec votre regard qui voit ici une prière païenne. J’ai personnellement une position assez radicale concernant les monothéismes : ce que j’apprécie en eux se rattache à des éléments païens (et poétiques), éloignés de la sclérose unilatérale et de la violence interne contenue par l’universalisme des religions du Un.
J’ai beaucoup aimé, Alain, la spontanéité émotionnelle de votre réaction, et j’avais d’abord pensé répondre du tac au tac, mais venant de lire le message de Michaël, j’ai changé d’avis. Malgré leur justesse sur le fond, les expressions « sclérose unilatérale » et « violence interne » m’ont blessé par leur tonalité, et je crois en homme de paix qu’il vaut mieux parfois échanger avec la faculté de raison qui nous est commune.
Vos propos renvoient à quatre questions de fond: la liberté, optimisme et pessimisme, le rôle et la nature des élites, et le choix d’un maître.
Sur la liberté, à partir d’une adolescence fataliste, j’ai évolué non pas jusqu’à l’autre extrême, celui de Sartre, mais jusqu’à la position médiane d’Edgar Morin pour qui, si j’ai bien compris, nous avons une part de liberté plus ou moins importante, ce qui fait que le pire n’est pas sûr. La grande catastrophe écologique ne me paraît donc pas plus sûre que ne me paraissait sûre il y a cinquante ans la guerre atomique.
Optimisme ou pessimisme? Entre l’excès d’optimisme ou naïveté et le franc pessimisme qui éloigne joie et santé, je fais le choix d’un optimisme raisonnable, avec ses deux pôles, Leibnitz et Voltaire, ou pour reprendre vos termes, émerveillement et indignation. Leibnitz fait une confiance absolue au Dieu parfait, s’en émerveille, et c’était ma position d’adolescent. Voltaire s’indigne et décide de « cultiver notre jardin », ce qui laisse la porte ouverte à la confiance en l’homme. J’ose maintenant être à la fois leibnitzien et voltairien, ça dépend du niveau où l’on voit les choses, mais je suis en empathie avec tout sensibilité sur ce point.
Alors « sadique » le Créateur? En tout cas l’indignation contre lui, de Job à Hugo, est humaine. Il y a de quoi! et de quoi s’étonner, si l’on croit en lui, qu’il ne s’indigne pas plus du travail qu’il a fait. Remarquez que dans la Bible, les Evangiles, Il ne cache pas son indignation contre ceux qui semblent la mériter. Oui, mais la liberté de semer le mal, dans le monothéisme, c’est bien lui qui l’a donnée à l’humanité. Il aurait pu éviter!
Une des choses que j’apprécie dans la Révélation d’Arès, c’est bien cette reconnaissance par l’Intéressé que oui il aurait pu éviter, et que faute de l’avoir fait, il doit reconnaître qu’il a une « dette » envers sa créature, pour la « démesure » de son projet « trop aimant » qui lui a fait donner à son chouchou d’animal pensant le don « à son image » de produire un bien qui doit être choisi librement, ce qui suppose la liberté du mal.
En lisant ça, je me suis dit « mais alors, si Dieu n’a pas su garder la mesure, il n’est pas parfait. » Et puis, un peu plus loin, le même livre m’a rappelé aux limites kantiennes de la raison avec ce rappel des insondables voies de l’Eternel: « Ma sagesse (…) est démesure pour l’homme, Ma Sagesse Que tu ne peux pas comprendre ».
Par rapport à la gnose, ma démarche pose la question du maître à choisir, question d’ailleurs posée par la Révélation d’Arès elle-même. Plutôt pascalien et kantien que gnostique, plutôt que d’un maître, même si, randonneur, j’aime bien Lacarrière, je fais le pari du Maître, parce que je ne puis en trouver de meilleur. Je tâche d’écouter avec un regard critique les témoins historiques de cette transcendance, dont il faut tenter d’évaluer la fiabilité relative. Et là, le phénomène Michel Potay me fascine depuis 23 ans.
Le point commun entre ce que vous dites et Michel Potay, c’est que l’humanité est sérieusement menacée d’aller à sa perte, et que les gens lucides et profondément engagés pour que le monde change sont trop minoritaires pour influencer visiblement le cours de la planète. Doha l’a encore confirmé. Plus que sur la spécificité gnostique d’une démarche intellectuellement réservée à un petit nombre, Arès table sur un effort vers le bien à répandre par la parole et l’exemple. Mon optimisme raisonnable me fait croire que l’humanité est faite pour le bonheur et peut y parvenir même si « quatre générations ne suffiront pas ».
Je suis d’accord sur la nécessité des maïtres ou plutôt des instructeurs, mais à condition qu’il n’y ait pas trop de disciples pour faire écran. Je reste optimiste sur le chemin individuel possible vers ce que j’appelle « l’éveil », mais totalement pessimiste sur le collectif, le groupe, l’espèce humaine. Je vais essayer de m’exprimer là dessus dans un prochain article.
J’ai exprimé ma gêne devant les termes abrupts de Michaël, mais il m’oblige, comme vous-même Alain, à réfléchir sur le paganisme.
De fait, athéisme et paganisme se justifient notamment par les tares du monothéisme: peur chrétienne du plaisir, hiérarchies, notion dogmatique de la Vérité dont chaque religion s’attribue le monopole, rivalités parfois violentes nées de cette prétention.
Paradoxalement, la Révélation d’Arès se présente comme une lumineuse dénonciation de ces tares par Celui dont les religions se réclament, et invite à une spiritualité sans chef ni rivalités, parce que « la Vérité, c’est que le monde doit changer ».
Le paganisme, lui, chante aussi l’élan vital cher à Nietschze et à Lucrèce, et donc donne voix à l' »émerveillement intérieur » sensible dans « Notre-Dame du flux et du reflux ». Mais la reconnaissance d’une intelligence créatrice me paraît enrichir l’harmonie de cet émerveillement d’un nouvel instrument, implicite chez Kant avec « le ciel étoilé au-dessus de moi, la loi morale en moi », explicite chez Abraham tout comme dans la prose rythmée de Leibnitz et dans le « Tout bon, il a fait tout bon » de Montaigne. Pourquoi mon coeur bat-il en écrivant ces mots? Qu’en pensez-vous?
J’aime bien le message de Michaël, il exprime bien une sensibilité nouvelle vers un retour du paganisme, certains diraient aussi du chamanisme, face aux excès des monothéismes réducteurs et répressifs, qu’ils soient religieux ou scientifiques.
Néanmoins, je crois qu’il faut trouver une intégration harmonieuse entre le Un et le Multiple, l’Unique et la variété de ses modes d’expression, dont les éléments primordiaux de la Nature sont à diviniser de nouveau. Si nous voulons sauver la Nature, c’est à dire la planète, la Terre, Gaïa, nous devons de nouveau la sacraliser, comme le font très bien les cultures chamaniques et paîennes.
Je suis désolé, François, d’avoir heurté votre sensibilité ; j’ai exprimé le cœur de ma pensée, j’admets que ce n’est pas une position nuancée, mais je la fais mienne. J’avoue une certaine méfiance face aux concepts qui unifient à tour de bras, et l’idée même de Vérité (ou d’Universel, entre autres) me fait reculer de quelques pas.
La question du Un et du Multiple est intéressante, mais j’ai peur que ce soit encore une orientation qui se fasse à la faveur de l’intellect, lequel nous ramène si aisément au Un, au détriment d’autres instances. J’ai conscience ne de pas être très clair dans mon propos, mais je ne veux pas trop m’éloigner du sujet.
Il me semble que notre rapport au monde (plutôt que parler de Nature, mais c’est un autre débat) se doit d’être beaucoup plus pragmatique et « sensoriel », il me semble qu’une pollution tenace nous affecte, et qu’elle est liée à la puissance de notre esprit, de notre capacité spéculative et d’abstraction. Loin de moi de vouloir jeter tout cela, hein, mais plutôt d’en prendre conscience afin d’être moins prisonnier de nos modes de penser. Ces derniers propos, à mon sens, concernent de très près la relation de l’Occidental à ce qu’il a catégorisé comme « Nature ».
Merci, Michaël de cette mise au point.
Le langage me paraît effectivement un outil dangereux, avec des risques de mauvaise interprétation.
Vous vous expliquez sur le contexte de vos propos, que vous assumez, je m’explique donc sur les miens que j’assume également.
Je distingue vérité et universel, ça ne me paraît pas pareil. Je suis toujours en désaccord avec celui qui présente son opinion ou sa croyance comme universelle. En revanche, je suis très attaché à la vérité avec un petit v, fondement de la confiance, indispensable en société.
J’ai, c’est vrai, reproduit sans la critiquer la phrase avec un grand V: « la Vérité, c’est que le monde doit changer ».
Qu’est-ce que je pense de cette phrase? elle ne choque pas vraiment ma sensibilité formée au moule occidental et chrétien, et de plus elle me permet de me situer dans la lignée venue du judaïsme et consistant à croire que l’histoire a un sens, qu’avec ses hauts et ses bas le monde change en bien, et peut et doit continuer en ce sens, notamment grâce à moi et à tous ceux que je fréquente, au lieu de me situer en fataliste ou penseur de l’Eternel retour.
Mais ni moi ni l’auteur de cette phrase ne la conçoivent comme universelle, notamment parce qu’il existe une autre conception du temps, celle de l’Eternel Retour. Le Livre d’où est tiré ma phrase est d’abord destiné à un homme et à un public chrétien, enfoncés dans leur dogmatisme théologique, et les sort de cette prison en leur ouvrant une fraternité avec juifs, chrétiens, marxistes, philosophes des lumières, anarchistes ou soixante-huitards. Mais ce livre précise bien qu’il ne s’adresse pas aux orientaux, ni à d’autres, qui ont leur propre voie d’évolution spirituelle. C’est donc à prendre comme un chemin, qui peut ne pas vous concerner du tout.
Quant à votre propre contribution, je me retrouve dans votre orientation « pragmatique » vers le « sensoriel » se méfiant de l' »abstraction » et remettant en cause la notion qu’a l »occidental » de la « nature ». Ceci dit je serais curieux qu’en cohérence avec vos idées, vos propos puissent dépasser « ce pas très clair », qui me semble lié à des préoccupations abstraites. Le débat sur « un ou multiple » par exemple ne me semble présenter aucun intérêt quand il reste au niveau abstrait.
Merci donc si vous êtes prêt à en dire un peu plus.
Vous vous dites, Alain, « totalement pessimiste sur le collectif, le groupe, l’espèce humaine ». Ce que je ne saisis pas encore très bien chez vous, ce sont les tenants et aboutissants de ce degré de pessimisme. Je vous lirai donc avec attention.
Vous invitez par ailleurs à « diviniser » et « sacraliser » « de nouveau » , « les éléments primordiaux de la nature » notamment « la Terre, Gaïa », ce qui me donne l’impression de redonner au paganisme, qui a son intérêt, le rôle d’une religion. Personnellement hostile à toute religion parce que toute religion me semble une sorte de crime de lèse majesté à l’égard du mystère, je serais curieux de mieux comprendre votre point de vue, et la cohérence entre votre manière de dire la chose et une vision « intégrative ».
oui, François, le comportement de l’être humain en groupe généralement me navre et l’être humain en tant qu’espèce, encore plus, je n’en attends rien de bon, mais plutôt le pire, et d’ailleurs malheureusement il me semble que son histoire me donne raison.
Par contre l’être humain pris isolément en tant qu’individu aurait au contraire tendance à m’intéresser, voir me passionner et quelquefois à m’émerveiller, c’est d’ailleurs pour cela que j’ai choisi mon métier.
en ce sens je ne suis pas un total pessimiste;
Pour la nature à sacraliser, je fais une différence entre la religion et la religiosité : pas de dogme, de croyance de clergé, juste une expérience intérieure face à quelque chose que je ressens comme divin et que j’ai envie de partager, c’est tout. J’aimerais que ce ressenti soit le plus possible partagé, car cela me semble un bon chemin pour tenter de sauver la terre, mais il est vrai que mon pessimisme pour le collectif me fait craindre que cela devienne une religion.
J’apprécie, François, votre ouverture au dialogue, offrant ainsi la possibilité d’approcher nos vues, nos divergences et nos points de concorde.
Je me suis senti embarrassé avec la question du Un et du multiple, peut-être en raison de souvenirs de lectures complexes et vertigineuses de Proclus ou de Plotin, et leurs tentatives de traduire philosophiquement une expérience spirituelle vécue.
Je crois qu’il n’y a rien à dire du Un, et qu’à le faire nous passons complètement à côté : il n’est pas de l’ordre du pensable et du saisissable ; des expériences mystiques ineffables amènent certainement dans cette région, mais tout discours qui tente de le traduire est voué à l’échec, on croit parler du Un alors qu’on n’en aborde qu’un aspect. Penser que nous témoignons parfois du Un est illusoire, car alors nous sommes comme possédés par une impression très forte qui contient un puissant potentiel d’égarement (être convaincu que la vérité est une, vouloir convertir l’autre, dérives fanatiques…).
Le multiple est notre monde, fréquenter le Un (ou plutôt se l’imaginer) crée de la séparation (du type : matière et esprit, bien et mal, homme et nature, etc), et certaines formes de violence. Les monothéismes sont particulièrement imprégnés des ces effets d’une vision de l’Un ; noble tâche, mais dangereuse.
Or nos chants sont beaux d’être multiples.
Je suis assez d’accord avec ce que vous dites Michaël, sur l’expérience mystique et ineffable de l’Un, mais quand vous dites : « Je crois qu’il n’y a rien à dire du Un, et qu’à le faire nous passons complètement à côté « , il me semble que c’est un peu exagéré et que ça oblitère tous les témoignages des maïtres et des sages de toutes les époques qui ont essayé de rendre compte de cette expérience pour la partager.
Par contre, nous sommes d’accord, quand le UN est récupéré par les monothéismes, alors ça se dégrade et ça se dévoie et mieux vaut se réfugier dans le Multiple païen.
Sur paganisme, religion et religiosité, merci de m’avoir éclairé. J’admets totalement votre point de vue, même si ma sensibilité monothéiste me fait plutôt, comme Montaigne ou Leibnitz, enrichir mon émerveillement devant la nature d’un émerveillement devant ce mystère créateur qui crée en même temps mon émerveillement.
Sur le comportement en groupe, en revanche, je crois utile d’approfondir.
Se grouper en tribus, nations, religions, à voir les résultats, moi aussi « généralement » ça me « navre ». Mais mon expérience complète la vôtre: à côté du travail sur l’individu (je ne suis pas pro comme vous), je pratique beaucoup depuis longtemps un travail dans et sur des groupes, autrefois syndicaux, maintenant associatifs, où je me situe comme partie prenante gardant toujours un « quant à soi » d’objecteur de conscience cherchant à élever le groupe vers plus d’humanité, et il y a des groupe intéressants comme des individus intéressants.
Des groupes ou individus apparemment minoritaires peuvent renverser le pouvoir plus ou mois nocif d’un groupe établi, ce qu’on peut appeler « révolution », voire « implosion » comme en Russie en 1989, mais dont l’intérêt dépend du niveau d’humanité propre au nouveau groupe.
Pour élever le niveau d’humanité (dont le respect de notre terre), j’hésite personnellement entre deux « stratégies »: l’effort intérieur permettant à terme un rayonnement fructueux, et la coopération associative. Par exemple, les « patients » qui avec vous ont fait un « patient » travail d’élévation intérieure et constituent pour notre terre une dynamique, dans quelle mesure pensez-vous qu’ils pourraient se regrouper? après tout ce blog est peut-être un lieu de regroupement suffisant pour des gens qui gèrent individuellement leur équilibre entre rayonnement et investissement dans tel ou tel groupe?
Vous avez raison, François, de vouloir approfondir cette relation individu / groupe, d’ailleurs je vais y revenir dans mon prochain article et donc nous aurons l’occasion d’en parler encore.
Bien sûr, des individus éclairés peuvent avoir un impact énorme sur des groupes humains, comme par exemple de Gaulle pendant la dernière guerre, Nelson Mandela, Martin Luther King, Gandhi, etc, mais j’ai l’impression que cette influence ne dure pas, elle est éphémère et le groupe retombe bientôt dans ses errements, sitôt que l’individu éclairé décroche.
De toute manière, je pense qu’en terme d’évolution de la conscience le travail personnel, individuel prime toujours sur le groupe, c’est ce qu’on appelle aussi le travail sur soi-même, même si ce travail peut passer aussi ponctuellement par le groupe – mais dans ce cas il y a nécessité d’une sorte de leader éclairé qui élève le niveau de conscience du groupe, sinon ça dégénère rapidement. j’ai vécu cela en Gestaltthérapie où l’apprentissage du travail sur soi-même se fait essentiellement en groupe, tout va dépendre de la personne qui dirige le groupe.
Quant à ce blog, bien sûr, je souhaite que ce soit un lieu de regroupement de personnes éclairées partageant leurs lumières et leurs questionnements, mais tout va dépendre de la qualité de conscience de chaque individu qui participe et de celui qui donne le « la » ou le « fa ».
Merci, Michaël de m’éclairer un peu plus. Je n’ai pas lu Proclus, et ne connais Plotin que par les on dit. j’ai rencontré un athée en admiration devant sa pensée, et je considère tout philosophe comme ambivalent, susceptible d’éveiller les consciences ou de nourrir de dangereuses dérives. En philosophie je préfère les réflexions en balancier ou balançoire.
Ainsi sur le beau. Parfois on dit d’une oeuvre « ça manque d’unité », et la règle des « trois unités » au théâtre, venue d’Aristote, a connu une longue postérité. Rebalançons. Elle allait trop loin, et je préfère la définition latine du beau « in unitate varietas »: la variété dans l’unité.
Qaunt à ce que que vous répond Alain, ça me paraît tout à fait sensé.
Ce que vous dites de la relation individu/groupe, Alain, j’y adhère pour l’essentiel, et en même temps me sont apparues des points à creuser. Plutôt que de prolonger indéfiniment cette entrée sur ND du Flux et du Reflux, qui ne doit plus être très lue, j’attends donc votre nouvel article pour y revenir.