Objets abandonnés sur le trottoir

Depuis presque un an, maintenant,
il prend des photos d’objets abandonnés…

C’est ainsi que commence le nouveau roman de Paul Auster : « Sunset Park »,
et c’est en lisant cette phrase au détour d’une librairie,
que j’ai eu envie moi aussi de prendre en photo
les objets abandonnés sur le trottoir de mon quartier…

Il y a d’abord une certaine poésie
à cet « inventaire » digne de Jacques Prévert,
où s’accumulent abandonnés sur le trottoir,
meubles et étagères brisés, livres et cahiers déchirés,
vieux sommiers à ressorts rouillés,
matelas maculés, couvertures infectées,
postes de télé éventrés, etc
C’est comme une dernière exposition pour se faire voir,
pour prendre l’air encore une fois,
peut-être même, être sauvé par quelque « chineur » avisé.

En tout cas, c’est une exposition à la mode, en plein dans l’air du temps,
le commissaire ou le designer ont vu juste, « le concept est bien ficelé »,
il s’agit de montrer avec quelques symboles forts,
disposés aux quatre coins des rues
le grand gâchis, la grande gabegie,
d’une société qui ne sait plus que faire de son trop plein d’objets,
et qui les jette là, n’importe où, en vrac, sur le trottoir, comme des déchets,
sans ménagement, ni accompagnement,
dans l’indifférence, le mépris et peut-être souvent la honte.

Du coup, je me suis mis à comprendre pourquoi
le personnage principal du roman de Paul Auster,
s’est mis à collectionner ainsi les photos de ces objets,
encore plus emblématiques, puisqu’il s’agit des objets abandonnés
dans ces maisons désertées par les victimes des subprimes.

Et puis toujours, il y a les objets, les choses qu’on a possédées et oubliées, les choses abandonnées.
Les photos que Miles a prises se comptent déjà par milliers et , dans ses archives qui ne cessent de se multiplier, figurent des images de livres, de chaussures, de tableaux peints à l’huile, de pianos et de grille-pain, de poupées, de services à thé, de chaussettes sales, de téléviseurs et de jeux de société, de robes de soirée et de raquettes de tennis, de sofa, de lingerie en soie, de pistolets à calfeutrer, de punaises, de figurines d’action en plastique, de tubes de rouge à lèvres, de carabines, de matelas décolorés, de couteaux et de fourchettes, de jetons de poker, d’une collection de timbres ou encore d’un canari mort couché sur le sol de sa cage. Il n’a aucune idée de ce qui le force à prendre ces photos. Il sait bien que c’est une activité vaine qui ne peut rien rapporter à quiconque, et pourtant, chaque fois qu’il rentre dans une maison, il a la sensation que les objets l’appellent, lui parlent avec la voix des gens qui ne sont plus là, qu’ils lui demandent de les regarder une dernière fois avant qu’ils ne soient charriés ailleurs.

En fait photographier devient alors un ultime hommage à ces objets,
une sorte de rituel nécessaire avant leur disparition définitive,
avant qu’ils ne soient emportés rapidement par la fourgonnette verte
qui les conduira sans commentaire vers le Grand Incinérateur.
Alors, ces objets perdus, ces objets abandonnés de tous,
dont l’obsolescence est programmée,
ces objets qui sont l’opprobre d’une société devenue folle de sa consommation matérielle
ne sachant plus que faire de tous ses déchets,

ces objets, ils semblent vous remercier
de cette attention que vous leur portez,

et comme le personnage du roman de Paul Auster,
vous n’arrêtez plus de les photographier…

 

 

 

Tags : , , , ,

3 réponses à “Objets abandonnés sur le trottoir”

  1. catherine dit :

    C’est génial CE qui se dit sur les trottoirs, justement dans un blog la dernière fois il y a un monsieur qui disait ceci à propos d’un AUTRE monsieur qu’il faut écouter absolument tellement il est plein de bon sens. Je vous mets le message de celui qui a trouvé ce papier perdu sur le trottoir et puis le monsieur qui dit des choses sensées très sensées et tellement sensées qu’elles paraissent insensées, mais normal, dans ce monde où tout est inversé!

    « J’ai connu Louis Even en ramassant en 1988 un papier journal en mauvais état, sale et repoussant, que le vent poussa sur le trottoir à mes pieds, on ne ramasse pourtant jamais les “saletés” sur les trottoirs! mais j’y lu pour la première fois L. Even! C’était un article assez court, stupéfiant de clarté, concis, sur les problèmes sempiternels, jamais vraiment décryptés ni élucidés par les “spécialistes”, cet article traitait des ouvriers perdant leur emploi et leurs revenus à cause de l’automatisation. Depuis que j’ai connu L. Even dis-je, j’ai eu une bien meilleure et “excitante” appréciation de tout ouvrage d’économie et de finances ou audition de problèmes relatifs à l’économie et aux finances, et comme j’ai énormément cotoyé les entreprises: PME, PMI, industries relatives au bâtiment et son second œuvre, etc, les investigations pédagogiques de L. Even furent comme un ‘soulagement’ et un tremplin d’énergie. »

    Puis le lien qui lie à ce monsieur EVEN

    http://www.youtube.com/watch?v=VJCIEsjhK_A

  2. Claudine DEGOUL dit :

    Je vois qu’il n’y a pas que chez moi que la marée des rebus enfle de manière sensible depuis quelque temps. On peut l’attribuer aux excès de la société de consommation , comme à ce que vous appelez ailleurs l’obsolescence programmée des objets; tout cela est bien réel. On peut l’attribuer aussi à une perte de sens de la valeur des objets fabriqués, dans une société où le jetable devient la norme; il n’est que d’observer le comportement de beaucoup d’enfants ou d’ado pour s’en apercevoir.
    On peut l’attribuer aussi, et de plus en plus je pense, à la montée de l’incivisme, du « je m’enfoutisme », vis-à-vis du reste de la communauté urbaine, qui n’a qu’à se débrouiller avec ce qui m’embarrasse.
    Tout cela est bien pessimiste. Il nous faut de temps en temps une piqûre de rappel pour nous souvenir qu’un monde plus beau existe encore. Pour cela il n’est pas nécessaire d’aller bien loin: promenez-vous jusqu’au fond du Parc Floral, et vous aurez l’impression d’être en pleine campagne

  3. merci Claudine, votre analyse est bonne, tout à fait complémentaire de mon approche plutôt poétique ; pour moi, dans mon jargon, cela signifie une belle intégration. Et bien sûr, il y a partout des lieux où se ressourcer à la beauté de la nature, c’était le sens du précédent article sur « les algues abandonnées sur la plage », dont cet article est une sorte de contrepoint.
    Merci aussi Catherine de m’avoir fait connaître ce Monsieur Even, qui avec son accent et son bon-sens québécois, fait partie de tous ses indignés qui je l’espère vont se multiplier.