Je me suis arrêté sur ces pensées de Jon Kabat-Zinn
tirées de son livre « Méditer, 108 leçons de pleine conscience »
paru aux éditions les Arènes en 2010 et accompagné d’un CD audio
avec la voix émouvante de Bernard Giraudeau – aujourd’hui disparu, et qui s’était très impliqué à la fin de sa vie dans la diffusion de la « pleine conscience » en France,
Dans les langues asiatiques, un même terme désigne
la conscience et le coeur.
Aussi, quand on entend « pleine conscience »,
il faut aussi entendre intérieurement « plein coeur »,
si l’on veut saisir sa portée comme concept,
et surtout comme façon d’être.Rester seul, assis et silencieux,
l’espace d’un instant
est effectivement un acte d’amour
radical.
Cela pourrait se passer de commentaires et juste donner lieu pour chacun à un approfondissement du sens de la pleine conscience,
ainsi que le désire vraisemblablement Jon Kabat-Zinn dans ce petit livre si différent de ses livres précédents, plutôt très prodigues en commentaires et développements conceptuels, en particulier « Au coeur de la tourmente, la pleine conscience » aux éditions De Boeck (un pavé de 560 pages au demeurant très intéressant).
La méditation est-elle egocentrique ?
Néanmoins, ces mots sont interpellant, car la pleine conscience n’est pas habituellement reliée à l’amour, de manière si explicite. C’est plutôt une activité solitaire, tournée vers soi-même, une technique permettant une sorte d’approfondissement de la connaissance de soi, afin de faire émerger une dimension essentielle : la conscience.
Cela conduit facilement à une tendance egocentrique de la pratique méditative, qui, à mon sens, a été renforcée avec l’assimilation de la pleine-conscience à un moyen thérapeutique de plus, afin de gérer le stress de la vie quotidienne, au même titre que les différentes méthodes de relaxation, le yoga ou le qi gong.
Et c’est d’ailleurs Jon Kabat-Zinn, lui-même qui, dans ses cliniques du stress aux Etats-Unis, avec son programme accéléré de 8 semaines d’entrainement à la pleine conscience, a introduit cette conception laïque et pragmatique de la méditation comme outil thérapeutique au service d’un moi stressé.
Il faudrait ajouter l’aspect très « tendance » et à la mode de la pleine conscience qui trône dans les magazines branchés comme Clés ou « Psychologies », à côté des recettes nutritionnelles pour ne plus avoir de ride ou pour mincir, tout cela bien sûr au service du paraître et de l’image du moi.
De la même manière que la tradition, comme dans certains courants du bouddhisme, met l’insistance sur la « bodhicitta » (la compassion), pour équilibrer ou compléter la méditation, on comprend mieux cette insistance de Jon Kabat-Zinn au sujet de l’amour, comme qualité nécessaire à la pleine conscience. Lui aussi ressent-il sans doute le besoin d’équilibrer les tendances egotiques de sa méthode.
La méditation est-elle un acte d’amour ?
Que signifie donc cette affirmation : « rester assis silencieux est un acte d’amour radical » ? En quoi la pratique méditative peut-elle faire penser à un acte d’amour ?
A mon sens, il y a au moins deux éléments importants qui tirent la pleine conscience vers l’amour. Il y a d’abord l’accueil inconditionel et sans réserve de tout ce qui est là dans le moment présent, c’est à dire tout ce qui se présente à la conscience, à l’intérieur et à l’extérieur de soi-même, et cela de manière aussi bien agréable que désagréable. C’est sûrement dans cet accueil, cette acceptation totale et sans condition, que l’amour est en apprentissage, c’est à dire que le méditant s’exerce à une nouvelle relation à soi-même, au monde et aux autres. Peu à peu émerge une nouvelle manière de voir et d’être au monde qui se différencie de l’attitude réactive habituelle, consistant sans cesse à faire le tri entre ce qui m’est agréable ou désagréable – ce qui entraine les réactions de fuite , de combat, de conflit, de rejet, de déni, aux antipodes de l’amour.
Ainsi l’exercice de la pleine conscience, non seulement travaille à l’émergence de l’amour inconditionnel, mais il le met sans cesse à l’épreuve, car il n’y a finalement rien de plus désagréable, surtout au début, que de rester ainsi immobile dans le moment présent, quand partout se font entendre les sirènes de la société de l’hyperconsommation, pour nous inciter sans cesse à courir en tout sens vers toutes ces choses agréables qui nous appellent. En ce sens d’ailleurs, la méditation de la pleine conscience est non seulement « un acte d’amour radical », mais aussi un acte d’insubordination radicale face à la compulsion du « faire » et de l' »avoir » de la société actuelle.
Il y a à mon sens un deuxième accès à l’amour dans la méditation de la pleine conscience. En prolongeant suffisamment la méditation au delà de la simple acceptation, il peut arriver d’expérimenter l’Unité de tout ce qui est là dans le moment présent. Cela passe par l’expérience très subtile d’être conscient de la conscience, c’est à dire par une expérience difficilement traduisible en mots, de l’extension infinie de cette conscience méditative, qui n’est plus mienne, mais sous-tend la diversité de toutes les formes présentes, en leur donnant une sorte d’interdépendance unitaire, une reliance, un ciment invisible qui les intègre toutes. En d’autres termes, s’étend peu à peu le champ infinie de la conscience en une sorte d’énergie très subtile, proche du vide lumineux ou de la vacuité, et dans lequel toute chose baigne d’égale manière – y compris soi-même. Et c’est cette expérience d’une Unité sous-jacente à toutes les formes de la création, qui entraîne ou favorise tout naturellement – et non intellectuellement – l’apparition de l’amour, et cela par une prise de conscience de l’illusion de la séparation, au profit de la vision que tout est Un et interdépendant – ainsi que nous le montre aussi scientifiquement les développements de la physique quantique.
Pratique « plein coeur »
Il y a donc une forte présomption pour que l’amour soit lié à la méditation. Mais pour que cela ne soit pas lettre morte (ou intellectuelle), et que la méditation ne risque pas de sombrer en une simple activité contemplative et solitaire, loin de tout rapprochement avec le monde et les autres, comme y incite l’amour, il semblerait qu’il faille insister encore plus sur cette dernière dimension, non seulement par des pensées, mais par des pratiques plus spécifiques.
C’est ce que fait Jon Kabat-Zinn de manière plus pragmatique encore, en proposant par exemple dans son livre « Au coeur de la tourmente, la pleine conscience« , cette méditation de la bienveillance (p. 240), avec laquelle je me sens complétement en phase.
Au cours de la session d’une journée, nous faisons une méditation de la bienveillance pour faire goûter aux participants le pouvoir qu’un esprit calme et concentré peut générer en évoquant des sentiments de bonté, de générosité, de courtoisie,d’amour et de pardon (…)
Nous commençons par stabiliser l’esprit et l’apaiser par la pleine conscience de la respiration. Puis nous éveillons consciemment des sentiments d’amour et de bienveillance envers nous-mêmes (…)
Puis nous poursuivons en évoquant quelqu’un d’autre, peut-être une personne précise qui compte pour nous. Nous pouvons visualiser cette personne ou la garder dans notre coeur pendant que nous lui souhaitons du bien… Nous pouvons alors inclure d’autres personnes que nous connaissons et que nous aimons…
Nous identifions ensuite une personne avec laquelle nous sommes peut-être dans une période difficile (…) Nous cultivons délibérément des sentiments de bienveillance, de générosité et de compassion envers elle, abandonnant nos sentiments de rancune et d’aversion (…) Nous lui pardonnons délibérément dans notre coeur, abandonnant notre colère, notre rancune et notre peine (…)
Nous pouvons continuer en dirigeant la bienveillance vers d’autres, peut-être vers ceux chez qui nous sentons le besoin d’énergie positive, qui ont moins de chance que nous. Nous pouvons ensuite élargir notre champ davantage encore, laissant rayonner nos sentiments de bienveillance vers tous les gens qui souffrent (…) La méditation peut porter plus loin encore, étendant le champ de bienveillance de notre coeur dans toutes les directions jusqu’à ce qu’il inclue toute vie sur la planète (…)J’ai toujours pensé que cette pratique était un peu étrange et forcée jusqu’à ce que j’en observe le pouvoir. Pratiquée régulièrement la méditation de la bienveillance adoucit le coeur. elle peut vous aider à être meilleur avec vous-même et avec les autres (…)
Tags : Amour, bouddhisme, compassion, meditation, pleine-conscience