La rencontre tragique avec l’Occident
L’île de Pâques n’est pas le vrai nom de cette île perdue au milieu de l’océan pacifique, à 3700 kilomètres des côtes chiliennes et à plus de 4000 kilomètres des premières îles polynésiennes des Marquises.
C’est un nom du hasard, plaqué sur elle de la manière occidentale la plus impérialiste, par le commandant hollandais Roggewen, qui aborda cette île en 1722 et la baptisa ainsi en hommage au jour saint qui précéda sa découverte. D’ailleurs, comme partout, le sang et la violence allaient marquer les premiers pas de la « civilisation de l’orgueil » , car, après un malentendu et plusieurs petits larcins dérisoires, dont quelques chapeaux dérobés, l’ordre fut donné de tirer et l’on dénombra treize tués parmi les indigènes.
Ainsi commença l’histoire tragique de l’île de Pâques et de sa rencontre avec la civilisation occidentale, dont l’apothéose fut la déportation au Pérou en 1862 d’un millier d’hommes emmenés en esclavage dans les mines de guano. La plupart allaient mourir, le plus souvent de la variole, et ce n’est qu’une quinzaine de survivants qui put regagner l’île, propageant bientôt la terrible maladie. Plus de la moitié de la population restante mourut en quelques mois, transformant l’île en un charnier indescriptible et ne laissant en vie qu’une centaine d’habitants.
Toute l’histoire, toute la mémoire, toute la prodigieuse culture de cette île avaient quasi disparu dans ce massacre.
Mais cela n’a pas ému les colonisateurs français, anglais, chiliens qui se succédèrent et transformèrent bientôt l’île en une vaste industrie à moutons pour produire de la laine, ravageant la terre et la maigre végétation et parquant les pascuans dans leur seul village, derrière des fils de fer barbelés, comme dans un camp de concentration.
Les différents noms de l’île de Pâques
– Pour revenir au nom de cette île, le vrai nom utilisé de nouveau actuellement par un réveil de la conscience identitaire de ses habitants, c’est Rapa Nui, la grande Rapa, en souvenir d’une île polynésienne des Australes, Rapa Iti, la petite Rapa, dont ils seraient lointainement originaires et qui lui ressemble.
Mais il y a aussi d’autres noms plus poétiques, plus évocateurs :
– Matakiterani, littéralement : « les dieux regardent les étoiles » ou encore, « les yeux regardent le ciel » car, sur cette île dénudée seule face à l’océan rugissant, le ciel toujours changeant, apparait immense, omniprésent, inspirant. Et l’on peut faire aisément l’hypothèse que les hommes ayant érigé toutes les statues géantes qui donnent à l’île tout son mystère, possédaient une connaissance ancienne et des pouvoirs magiques, tirés d’une longue contemplation du ciel et de ses astres. De plus, la référence aux dieux qui regardent les étoiles, est bien sûr une référence à ces statues géantes, les Moaïs, dont les grands yeux évidés semblent regarder ailleurs, au loin, dans une contemplation éternelle tournée vers le ciel et ses étoiles.
– L’île des géants : c’est le surnom de cette île qui semble le plus évident. Sans rentrer dans le débat qui agite toujours les archéologues pour savoir comment des hommes démunis de tout, réussirent il y a à peu près dix siècles, à fabriquer autant d’immenses statues, mais surtout à déplacer ces colosses de pierre pesant souvent plus d’une dizaine de tonnes, il reste une question intéressante – à laquelle Francis Mazières dans son beau livre « Fantastique île de Pâques » répond, je trouve, d’une manière pertinente – mais pourquoi donc ces hommes se lancèrent-ils dans une telle entreprise gigantesque, alors que nulle part ailleurs, aux alentours, on n’en trouve la moindre trace ?
Il faut s’imaginer la silhouette impressionnante de ces statues, dominant et regardant toujours le village. Le dos tourné à la mer, ces géants semblent avoir voulu maintenir les hommes captifs sur ce rocher du bout du monde. Disproportion grandiose qui remémore la force religieuse avec laquelle, en sculptant ces géants, ces hommes se dépassèrent eux-mêmes.
Il y a ici ce syndrome d’affolement de ceux qui, se sentant à jamais prisonniers, se jetèrent dans l’évasion d’un monde gigantesque.
– L’île du Vent : Rapa Nui est une île ouverte aux grands vents du large. Ils soufflent sans cesse sur la lande rase, apportant tous les parfums de l’océan, le sel, l’iode, mais aussi sûrement l’énergie, cette énergie qui a permis de réaliser la grande oeuvre. La légende dit aussi que dans les songes, pendant la nuit, le vent apportait les nouvelles du monde extérieur, la vie des autres îles…
– L’île du silence : ici, dès que l’on s’éloigne du village où se trouvent tous les habitants et les pensions des touristes, le silence est partout, mais ce n’est pas n’importe quel silence, c’est le Silence avec un S majuscule, celui qui rôde tout autour du Sacré, et que l’on ressent particulièrement dense aux abords des ahus, ces plate-formes de pierre, sous lesquelles étaient enterrés les arikis, les rois et les prêtres initiés, et sur lesquelles on érigeait les géants de pierre.
– L’île du nombril du monde : ce nom fait allusion bien sûr à la position géographique de l’île placée comme au centre de l’océan pacifique, mais il suggère aussi une posture intérieure qui étaient sans doute celle des sculpteurs et des prêtres initiés, qui, il y a à peu près dix siècles disposèrent sur les flancs du volcan-carrière, où ils étaient fabriqués, 276 statues fichées en terre, comme si elles montaient la garde du volcan, mais dont la position et la direction des regards ne tient pas du hasard. A cette énigme posée par Francis Mazières à un des derniers vieux sages dépositaire de la mémoire et des légendes de l’île, du nom de Veriveri, celui-ci répondit :
Non, ces statues n’étaient pas la projection de la carte du ciel – comme pourrait le faire penser le nom de Matakiterani.
Tous les Moaï du Rano-Raraku sont sacrés et regardent une partie du monde dont chacun tient le pouvoir et la responsabilité, c’est pour cela que cette terre fut appelée « le Nombril du Monde ».
Tous les Moaï qui regardent le Sud sont différents. Ils gardent les forces des vents de l’Antarctique et transmettent tous leurs pouvoirs à une énorme pierre rouge qui limite le triangle des îles du Pacifique.
J’aime beaucoup cette archéologie capable d’intégrer les données scientifiques du monde sensible et les intuitions d’ordre spirituel et énergétique déposées dans la mémoire des vieux sages.
Voici, tiré du livre de Francis Mazières, le plan de la direction des regards de ces statues levées de la falaise de Rano-Raraku, sur les parties du monde dont elles portent la responsabilité. Je rajouterai juste, qu’il n’y a pas de regard dans la direction comprise entre le Nord et l’Est ; cela correspond à toutes les grandes traditions les plus anciennes qui faisaient du Nord la direction du Vide Originel, que nul devait regarder.
Tags : archeologie, catastrophes, iles, paganisme, traditions, voyages
Bonjour, Pierre Duriot, auteur du roman « Le syndrome Rapa-Nui », un thriller politico-financier, à découvrir sur mon blog http://duriotpierre.wordpress.com sur la thématique de l’autodestruction sociale, financière et environnementale.
Bien cordialement
L’auteur