Satish Kumar, un maître à penser

au sujet du livre de Satish Kumar « Tu es, donc je suis »
paru récemment aux éditions Belfond

Ce livre ne sera jamais en tête de gondole à la FNAC, au milieu de tous les objets clinquants de la société de consommation matérielle et informationnelle, car ce livre vient d’ailleurs, il vient de très loin, il nous emmène là-bas, au coeur de la tradition indienne, dans ce berceau de la plus haute culture, là où l’auteur est né ; et cette sagesse originelle dont il s’est nourri nous revient comme un boomerang, dans une trajectoire juste et parfaite, pour nous interpeler et nous faire réfléchir – de manière intégrative, bien sûr !

Le moine Jaïn

Avec beaucoup de talent et de conviction, Satish Kumar nous invite donc à cheminer auprès de lui, pour parcourir sa vie, d’abord en Inde pour découvrir le jaïnisme, une tradition religieuse peu connue, proche du bouddhisme, dont sa mère, une femme d’exception, sera la plus parfaite porte-parole pour lui inculquer les valeurs éternelles de l’altruisme, de l’humilité, de la non-violence et de la simplicité de vivre dans la joie. L’auteur nous emmène ensuite auprès d’un maître jaïn qui lui fera embrasser la vie monastique dès l’âge de neuf ans.

La marche pour la paix

Mais, à dix neuf ans, en entendant parler Gandhi, il rompt brutalement ses voeux monastiques, pour transformer sa spiritualité en un engagement social. Alors, va suivre une étonnante aventure : une marche à travers l’Inde, près d’un maître qui lui enseigne une spiritualité pratique, active, ouverte sur la vie, afin de participer à son évolution, selon les enseignements de Gandhi et de la Bhagava Gita. Bientôt cette marche en Inde va se transformer en une longue marche pour la paix, durant deux ans, à travers le monde, pour rejoindre Moscou, Paris, Londres et Washington, les quatre capitales de l’armement nucléaire de l’époque. Cette épopée à deux, avec un ami, se fait sans un sous, dans le dénuement le plus complet, en comptant uniquement sur l’hospitalité des pays traversés ; elle est émaillée de belles rencontres : Krishnamurti, Bertrand Russel, Martin Luther King, l’économiste Fritz Schumacher, rencontres qui sont autant d’invitations passionnantes à une réflexion en profondeur sur notre monde actuel.

Le retour en Inde : déception face à la mondialisation et plaidoyer pour Gandhi

Installé en Angleterre depuis 1973, Satish Kumar, dans la dernière partie du livre, nous convie à voyage de retour dans l’Inde actuelle. C’est pour lui une grande souffrance et une grande déception de voir la mondialisation économique à l’oeuvre, âbimer les campagnes indiennes, défigurer les grandes villes et paupériser son peuple. Mais c’est aussi un plaidoyer vibrant pour les principes de Gandhi, que de courageux disciples tentent encore de faire perdurer : communautés villageoises vivant en autosuffisance, microentreprises locales respectueuses de l’environnement, agriculture traditionnelle diversifiée, artisanat ancestral respecté, et surtout valeurs spirituelles inspirant une économie de coopération et de don ; bref, tout le contraire de ce que l’auteur dénonce avec virulence comme un néocolonialisme instauré au nom de la mondialisation : »la mondialisation du commerce alimentaire nous impose un nouveau type d’esclavage… la monoculture à grande échelle, centralisée et mondialisée est une violence faite à la nature et aux hommes… »

Une vision holistique et intégrative


Ce beau livre se termine par une explication de son titre. C’est d’abord une critique sans complaisance de la vision cartésienne du monde, symbolisée par la formule « je pense donc je suis », c’est à dire l’avénement d’un moi séparé du monde environnant, en combat avec la nature, en compétition avec les autres qui nous méne à un monde en crise, « perpétuellement en guerre avec lui-même ». Comme antidote, Satish Kumar nous propose l’expression « Tu es, donc je suis » tirée du « so hum » indien, c’est à dire une vision où c’est l’autre – ou plutôt l’interdépendence avec l’autre quelqu’il soit -, qui devient le principe directeur de vie. C’est la vision holistique d’un Tout où toutes les parties sont solidaires, c’est l’importance du lien et de la mise en relation des différences, de la coopération nécessaire des humains entre eux, de l’avénement d’une écologie révérencielle fondée sur le caractère sacré de la nature, bref une vision intégrative et holistique, que nous n’arrêtons pas de prôner dans ce blog.

Cet article paraitra dans un prochain numéro du journal Santé Intégrative.

Satish Kumar passera une 2e fois au Café de l’Amour à Paris, le lundi 13 décembre 2010

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16 réponses à “Satish Kumar, un maître à penser”

  1. bouvry dit :

    en cours de lecture ,en cours de découverte et de retour d’une petite marche pour apprivoiser ces etonnantes decouvertes merci

  2. bouvry dit :

    en cours de lecture ,en cours de découverte et de retour d’une petite marche pour apprivoiser le tout merci

  3. Maryline Hubaud dit :

    j’ai adorré ce livre, c’est une très belle quête, un très beau chemin qui nous est offert par cette lecture.

  4. colarossi dit :

    Espérons que nous serons nombreux à le prendre…

  5. Yasmina dit :

    Oui, je connais bien l’Inde pour y avoir été 13 fois, je connais leur culture, leur philosophie, ler mode de pensée, les védas, les upanishads, le Baghavad Gîta, le Mahabarata, le Ramayana….et puis Krishnamurti, Ghandi, Aurobindo, RamaKrishna…L’Inde a tant à offrir et nous avons tant à donner !
    Je n’ai pas lu Satish Kumar, je le lirai…après les examens :-)
    Merci, pour ce petit bout de voyage souvenir…
    Yasmina

  6. Gwenved dit :

    Je viens de lire ce très beau livre refletant une profonde et juste réflexion distillée par un récit autobiographique d’une richesse et d’une simplicté étonnantes.
    C’est le seul document en français qui expose avec clarté les grands principes du Jaïnisme.
    Néanmoins, j’ai été heurté par une critique systématique et caricaturale de la culture et de la civilisation occidentales ce qui témoigne d’une difficulté non règlée.
    En respect du principe d’anekantavad, je lui conseillerai humblement de rédiger maintenat un nouveau et beau livre consacré à un pays qui lui est cher et à qui il doit beaucoup: la grande Bretagne.
    Les lumières du monde étant universelles, il n’y a pas de face cachée de la terre!
    « Je pense donc je suis » comme « Tu es donc je suis » sont les facettes d’une même réalité qu’il convient (en toute cohérence) de ne pas opposer. La validité d’une de ces deux assertions ne peut s’évaluer qu’à la lueur d’une subjectivité, c’est à dire d’une vie avec son lot de souffrance, contextualisée et temporelle.
    En conséquence, il eut été intéressant de mieux connaître la vie de Satish outre sa jeunesse Jaïne et ses nombreux « faits d’armes », ce qui a été soigneusement évité. L’homme privé révèle des vérités souvent insoupçonées et permet de mieux apprécier le contenu d’un livre, au-delà même des désirs de l’auteur. N’est ce pas à cette fragile et précieuse limite que l’inspiration s’anime?
    Gwenved est le monde libéré où les contraires s’équilibrent, si contraire il y a. A quoi servirait une balance avec un seul plateau?
    Sur les pentes du Pays de l’été jaillissent des sources d’Awen. Satish aime s’y désaltérer… Et j’aime l’y retrouver/|\
    Gwenved, un lecteur passionné de la revue « Resurgence ».

    • Votre commentaire est intéressant, Gwenved, Je crois qu’effectivement il serait juste que Satish Kumar écrive un 2e livre pour nous expliquer pourquoi il a choisi de vivre dans le monde occidental et en particulier en Grande-Bretagne, malgré toutes les critiques de ce livre pour ce même monde occidental.
      Par contre, pour moi, ces critiques restent justes et pertinentes : la dénonciation du colonialisme anglais en Inde – ne pas oublier qu’il a été disciple de Gandhi -, la lutte contre la prolifération des armes nucléaires, – funeste rejeton de la barbarie occidentale -, la dénonciation du néo-colonialisme en Inde en particulier par l’envahissement de l’agriculture industrielle menée par les lobbies de l’agro-alimentaire, etc.
      Je crois par ailleurs, que l’on peut être dans le « Gwenved », c’est à dire dans le cercle de lumière où les contraires et les conflits s’apaisent, tout en en dénonçant vigoureusement l’injuste, le laid et le faux. Nous pouvons être des « indignés spirituels ».

  7. Gwenved dit :

    « En posant l’égo comme le moteur de l’être humain, votre Descartes a institué un dangereux dualisme » S. Kumar
    L’auteur tombe ici dans le piège qu’il dénonce lui.même. L’utilisation de l’adjectif possessif « votre » Descartes me semble pour le moins maladroit. Comme cela ne témoigne ni d’une méconnaissance de la pensée, voire de la spiritualité, occidentale, dans toute sa diversité,ni d’une erreur de traduction, le lecteur est en droit de s’interroger.
    La notion jaïne de la multiplicité des points de vue, l’Anekantavada, a cela de lumineux qu’elle conduit à plus de tolérance, de simplicité, de non violence et donc de liberté.
    Enfin, ce que je ressens vivement, c’est que l’Indignation ne doit pas être un effet de manche qui n’ajouterait que conflits à un monde déjà bien en clin aux discordes, mais un acte de compassion qui ne conduirait qu’à plus de respect et de compréhension mutuelle.
    Voilà ce que m’inspire également la lecture de ce beau livre et la personnalité attachante de son auteur.
    J’espère que ce commenraire écrit avec bonheur en ce beau matin pluvieux n’heurtera personne. Si tel n’était pas le cas, je vous présente par avance toutes mes excuses et l’assurance de mes cordiales pensées.
    Gwv /|\

    • Certes, Gwenved, la formulation de Satish Kumar pour critiquer le cogito de Descartes est un peu maladroite, mais pourquoi pas ? J’ai l’impression qu’en le critiquant ainsi, vous faites un peu ce que vous lui reprochez, c’est à dire condamner une personne pour une opinion sommes toute assez banale, car partagée par beaucoup de personnes – dont moi. Je ne vois pas pourquoi cette critique ne pourrait pas prendre place parmi la multitude et la variété des opinions au sujet de la célèbre phrase de Descartes.
      Personnellement j’ai plutôt envie de dire : « merci Satish Kumar de nous donner ainsi par votre engagement intellectuel, l’occasion de discuter entre nous de cette question de l’ego ».
      Par ailleurs l’indignation lancée par Stéphane Hessel me semble être une bonne 1ère étape pour réagir à ce monde malade et assez anesthésiant. Bien sûr, il ne faut pas en rester là et la compléter par la recherche de propositions alternatives.
      Il y a une forme de spiritualité qui consiste à dire que tout est beau et bien dans le meilleur des mondes du moment présent, qui entraîne une sorte de guimauve d’acceptation molle de tout, et que je ne partage pas. La confrontation et le conflit me semblent assez stimulants, à condition bien sûr qu’ils ne dégénèrent pas.

  8. Gwenved dit :

    Il n’y a pas d’anekantavad sans Ahimsa ni d’Ahimsa sans Anekantavad. De même en ce qui concerne Aparigraha (pratique millénaire qu’on appelle de nos jours la simplicié volontaire). L’interdépendance des piliers du Jainisme comme celle des chemins de la voie octuple est une réalité. La mollesse n’a rien à y voir…
    La mollesse ou la vision de la mollesse ne peuvent faire appel qu’à « autre chose ».

    • Oui, c’est vrai, vous avez raison, on ne peut pas accuser le jaïnisme de mollesse et je n’y pensais pas en disant cela, mais plutôt à certains courants spirituels venant du new age et qui proclament un peu rapidement la perfection inconditionnelle du moment présent.
      On peut même dire que le Jaïnisme est à l’opposé de cela : c’est une sorte d’ascèse, de discipline très volontariste de chaque instant, fondée sur une morale stricte et des interdits, ce qui entraînerait parfois une certaine rigidité.
      Personnellement je suis pour la voie du juste milieu.

  9. Philippe dit :

    La voie du milieu c’est celle du confucianisme qui faisait rire entre eux les sages taoïstes. C’est exposé clairement dans Tchouang-Tseu.
    ‘Tu es donc je suis : rien n’est plus faux!. A commencer par ce ‘donc’ calamiteux qui nous a déjà gâté tout Descartes, et un seul pas posé au coeur des ‘enseignements’ nous le révèle sans conteste : un titre imposé par l’éditeur ? – Pourquoi citer Satish Kumar et négliger Nisargadatta qui dit mieux que personne dans une langue et un témoignage tout à fait contemporains, la vérité de la tradition védantique et comme il serait précieux de l’entendre à nouveau ». Raymond Oillet (dans son dernier article publié sur son blog: jeudemeure).

    • oulala ! ça devient une discussion d’experts et de spécialistes de la spiritualité orientale, qui peut vite tourner au dogmatisme à coup de citations érudites, et je ne préfère pas, Philippe, m’aventurer là-dedans. Pour moi la voie du milieu c’était la voie du Bouddha, mais je me trompe peut-être, qu’importe !

      • Philippe dit :

        Non! c’est très simple : veiller sur son intériorité (« shou chung » dans le Tao Te King) n’a absolument rien à voir avec le juste milieu confucéen qui est psychologique, doctrinal, et plus ou moins prosélyte d’un concept d’ intégration sociale. Il importe d’examiner de près la teneur du discours que tiennent ces personnalités « new age » qui jouent sur la confusion, les apparences, les contresens habilement masqués. Bien des prétendus « maîtres » et « sages » contemporains ne sont que des hypnotiseurs.

        • je m’excuse Philippe, mais je n’aime pas ces invectives doctrinales sur mon blog, cela va à l »encontre de l’esprit intégratif que je défends ici. Je préférerai que vous n’insistiez pas. Merci

  10. Damien dit :

    Pas très intégratif comme réponse ! Krishnamurti disait que ceux qui prêchaient la non-violence révélaient ainsi leur violence (pas besoin d’être non-violent quand on n’est pas violent). Comme prêcher la tolérance est signe de l’intolérance de celui qui la prêche. Vouloir être intégratif, c’est donc ne pas l’être en fait ? Mais c’est vrai qu’intégratif ne veut rien dire : cela ne donne que l’illusion d’être quelque chose.