Tomas Tranströmer, vous connaissez ?

Qui connaît le prix Nobel de littérature 2011 ?
C’est un poète,
un poète suédois du nom de Tomas Tranströmer.

Voilà une bonne nouvelle pour la poésie :
non seulement celui-ci est  populaire dans son pays,
mais il a été traduit dans cinquante quatre langues,
et on trouve facilement ses oeuvres complètes « Baltiques »
en livre de poche dans la collection « Poésie / Gallimard.

Depuis 1990, suite à une attaque cérébrale,
Tomas Tranströmer est quasiment aphasique,
il ne dit plus que quelques mots,
mais cela ne semble pas du tout lui peser, au contraire,
la poésie n’est-elle pas en intimité avec le silence ?
Il a d’ailleurs écrit  quelques haïkus bien frappés
après son attaque.

Les pensées sont à l’arrêt
comme les carreaux de faïence
de la cour du palais.

De toute manière sa poésie a toujours été pleine de silence,
elle exige d’être lue tout fort, lentement, plusieurs fois,
avec de grands silences entre les mots ou les strophes,
pour en déguster tout le sens ou le mystère.
Et cela vous donne parfois « la chair de poule »,
car autour de ces mots étranges où plane l’onirisme,
dans un silence profond plein du vide de l’Autre Monde,
on reconnait parfois, par bribes et lambeaux,
tout l’effroi de notre époque
et ses espaces urbains cruels et dévastés.

En refermant le livre, j’ai reçu une réponse à la difficile question :
« qu’est-ce que la poésie ? »
C’est un langage autre,
un langage qui n’est pas ordinaire,
mais il nous donne le goût du réel,
parce que le langage ordinaire l’a perdu,
à force de trahison.

alors cela peut devenir
extraordinaire
et nous illuminer quelquefois de l’intérieur :

Service de nuit

Cette nuit je suis descendu voir le lest.
je suis un poids du silence
qui empêche le caboteur de chavirer !
Des visages dans l’ombre, indistincts comme des pierres.
Qui ne savent que siffler: « Ne me touchez pas. »

D’autres voix se bousculent comme une
ombre étroite, l’auditeur se déplace sur la bande
lumineuse des stations d’une radio.
Le langage marche au pas avec les bourreaux.
Voilà pourquoi nous devrons chercher un autre langage.

Le loup est là, ami de toutes les heures,
et il effleure les fenêtres de sa langue.
La vallée est remplie de manches de hache reptiles.
Le grondement du vol de nuit s’écoule sur le ciel,
morne, comme un fauteuil aux roues de fer.

On défonce la ville. Mais le silence s’est fait.
sous les ormes du cimetière :
un bulldozer vide. La pelle posée au sol –
geste de l’homme somnolant sur la table,
le poing devant lui. – Cloches qui sonnent.

Baltiques
Visions nocturnes 1970

 

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12 réponses à “Tomas Tranströmer, vous connaissez ?”

  1. Merci pour votre site et votre blog, il est parmi mes favoris « favori » .Je me sens accompagnée. Encore merci

  2. Pascal Caro dit :

    Une belle découverte. :) Très fort ce poème.

  3. Pascal Caro dit :

    La force d’un poème ? … C’est un mélange, un mixe entre la beauté, le rythme des mots, les silences… Ce que cela lève en nous d’intuition et d’instinct rapport à celui qui l’a écrit. Cela « sent » le vrai à plein nez, comme si une évidence frappait soudainement à la porte du cœur, du corps, de l’esprit ou des trois à la fois.

    • oui, je suis d’accord, Pascal, avec cette idée de « mélange » que moi j’appelle intégration de plusieurs dimensions de notre monde intérieur, qui rentrent en résonance en même temps et donnent sa force au poème ou à toute oeuvre d’art réussie. Quelque chose résonne qui a à voir avec nos instincts, notre corps, nos émotions, nos croyances et notre dimension spirituelle, notre Esprit et ça peut donner une sorte d’état modifié de conscience, ou plutôt un pic de conscience comme le disait très bien Maslow.

  4. Pascal Caro dit :

    Oui, une écriture, une musique qui ramène derechef dans le présent avec intensité. Une œuvre d’art objectif comme disait Gurdjieff.

    • « qui ramène derechef dans le présent avec intensité. » oui, je suis d’accord, pascal, par contre j’aimerais savoir où tu as trouvé cette référence de Gurdjieff à « l’art objectif ». Parce qu’il faut faire attention et bien préciser le sens que l’on donne à objectif qui est un terme surtout utilisé par la science matérialiste, toute orientée vers le monde sensible. L’art serait une manière d’unir au contraire par le Beau, la division subjectif / objectif, c’est à dire le monde intérieur dans ses multiples dimensions, -comme on l’a déjà dit – et le monde extérieur, lui aussi multidimensionnel. Cette intégration, on pourrait l’appeler le Réel pour qu’il n’y ait pas d’ambiguité langagière. Qu’en penses-tu ?

  5. Pascal Caro dit :

    La définition que Gurdjieff donnait à « l’Art objectif » va complètement dans cette direction. Il disait que la plupart du temps, le prénommé art n’était rien ou pas grand-chose. L’art objectif touche au Réel.

  6. catherine dit :

    Je ne sais pas bien pourquoi mais ce poème ne me touche pas, à part peut-être les trois premières strophes, un peu, peut-être, quand même, mais pourquoi ne vient-il pas résonner sur mon cadre, sur ma forme pour laisser tinter une sonorité?

    C’est un mystère auquel j’assiste, pourquoi n’y a -t-il pas de rencontre, c’est un vrai mystère!

    Parce que je n’y suis pas peut-être dans ses évocations, pas prête, pas ceci, pas cela, mais pas là, absente, pas présente à ce qui est là, son son ne s’unit pas au mien, sa cloche ne vient pas tinter la mienne, c’est peut-être ça, du coup, la cloche est mu-ette, ou si elle tinte, mes or-eilles ne l’entendent pas, d’autres l’en-tendent, mais pas moi!

    Car la poésie est le pont entre le singulier et le multiple, et s’il n’y a qu’une seule berge, alors le pont n’est pas construit, aucune danse n’est possible!

    ça ne veut pas dire qu’elle n’est pas bonne la circulation, ça veut dire qu’elle tient toujours d’une rencontre particulière la rencontre, qui ne saurait se prévoir, se présentir, se j’sais pas quoi, ça tient toujours d’une cuisine un peu mystérieuse, comme une marmite sur le feu dont on ne sait trop ce qu’il en sortira de ses subtils mélanges, un brouet insipide ou une fabuleuse harmonie de saveur, c’est toujours l’étonnement et c’est tant mieux, car si tout tombait juste et à point nommé, la vie serait terriblement ennuyeuse je trouve, non?

    • oui, c’est ça Catherine, la rencontre avec l’Art ou avec le Beau ou avec la Poésie, est très mystérieuse, elle dépend d’un nombre infini de paramètres, dont les plus importants sont subjectifs.
      Moi aussi, ce poème il ne m’a pas parlé à la première lecture et c’est quand je l’ai relu récemment pour chercher un texte à mettre sur le blog, que tout à coup, il m’a comme « sauté à la figure », je suis resté comme sidéré et sans hésiter je l’ai recopié, car il me parlait complétement, il me parlait du Réel tel que ma subjectivité du moment était prête à recevoir.

  7. catherine dit :

    ça veut peut-être aussi dire que ce n’est pas nous qui décidons, mais quelque chose en nous qui décide et c’est peut-être là, en ce lieu, du mi-lieu, du lieu du singulier qui rencontre possiblement un autre quelque soit sa forme, que tient la magie d’une rencontre, se laisser rencontrer par ce qui est là c’est notre boulot, mais après quant à savoir (ça-voir!) ce qui se passera, fichtre, ça, c’est pas notre boulot, c’est le Mystère!